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[ 6 novembre 2025 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Congés payés : la France rentre enfin dans le rang !

Le salarié en situation d'arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant ses congés payés a le droit de bénéficier d’un report des jours de congé payé coïncidant avec la période d'arrêt de travail pour maladie. (1re espèce). Un salarié, en situation de congé sur une partie de la semaine, peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu'il aurait perçues s'il avait travaillé durant toute la semaine. (2e espèce).

Soc. 10 sept. 2025, n° 23-22.732 B

Soc. 10 sept. 2025 pourvoi n° 23-14.455 B

À la suite du spectaculaire revirement opéré par la Cour de cassation le 13 septembre 2023, le législateur a été contraint de mettre le droit français en conformité avec le droit de l’Union européenne. Il a ainsi consacré, d’une part, le droit à l’acquisition de jours de congé au cours d’un arrêt maladie, et d’autre part, le droit au report des congés payés lorsqu’un arrêt maladie survient avant la prise de ce congé (L. n° 2024-364 du 22 avr. 2024 ; v. A. Gardin, « Le volet « congés payés » de la loi du 22 avril 2024, une adaptation du droit de l’Union », RJS 8/9 24 ; Y. Gontier, « Acquisition, report et prescription des droits à congés payés du salarié malade : réflexions autour de la mise en œuvre opérationnelle de la loi du 22 avril 2024 », JCP S. 2024. 1296). Toutefois, deux questions demeuraient problématiques : celle de la survenance d’une maladie pendant les congés payés, et celle du déclenchement des heures supplémentaires en cas d’absence pour congé payé au cours d’une semaine de travail. La Cour de cassation vient récemment d’apporter les clarifications attendues par l’Union européenne sur ces deux points.

■ La maladie pendant les congés payés

La difficulté peut être formulée simplement : que se passe-t-il lorsqu’un salarié déjà en congés payés tombe malade ou est victime d’un accident ? Traditionnellement, en cas de concours de deux causes de suspension du contrat, la Cour de cassation faisait prévaloir la première. Autrement dit, le salarié, bien que malade, restait en congés payés. L’employeur était par conséquent considéré comme ayant exécuté son obligation : il avait bien accordé les congés (Soc. 4 déc. 1996, n° 93-44.907) et le salarié supportait le risque d’une maladie. Or cette approche n’est pas celle du droit européen (CJUE 21 juin 2012, n° 78/11). Constatant cet écart, la Commission européenne a ouvert, le 18 juin 2025, une procédure d’infraction contre la France en lui adressant une mise en demeure. Pour éviter une condamnation, la Cour de cassation décide donc d’aligner sa position sur celle du droit européen en consacrant un droit au report des congés payés en cas de maladie survenue pendant ceux-ci.

Les faits de l’espèce étaient relativement complexes mais l’intérêt essentiel réside dans le raisonnement de la Cour. Celle-ci rappelle que, selon le droit européen, les congés payés ont pour finalité d’offrir au salarié une période de repos et de loisirs, tandis que le congé maladie vise à lui permettre de se rétablir. Ainsi, lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses congés, il ne bénéficie pas de la période de détente à laquelle il a droit. Il doit donc pouvoir reporter ultérieurement les jours de congé non pris. Du point de vue de la technique juridique, aucun texte national ne s’oppose formellement à ce report puisque le législateur n’a rien prévu. Aussi, la Cour se contente d’opérer un revirement de jurisprudence en livrant une nouvelle interprétation de l’article L. 3141-3 du Code du travail, à la lumière de l'article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003. La Cour de cassation assortit toutefois ce droit au report d’une condition : le salarié doit avoir notifié à l’employeur l’arrêt de travail délivré par un médecin.

Si ce revirement n’est pas surprenant au regard de la jurisprudence européenne, il soulève néanmoins plusieurs difficultés. Il convient notamment d’articuler les règles du droit du travail avec celles de la sécurité sociale, notamment le délai de carence de trois jours, applicable en cas d’arrêt maladie (CSS, art. R. 323-1). Durant cette période, le salarié pourrait ne percevoir ni indemnité de congé payé de l’employeur ni indemnité journalière de la sécurité sociale. Par ailleurs, demeure la question du délai accordé au salarié pour reporter les congés non pris. Il est probable qu’une intervention législative soit nécessaire pour harmoniser le régime avec celui déjà prévu par la loi du 22 avril 2024, qui fixe à quinze mois le délai de report des congés pour les salariés en arrêt maladie avant leur départ en congé (C. trav., artL. 3141-19-3). 

■ Le déclenchement des heures supplémentaires en cas de congés payés

Sauf aménagement spécifique du temps de travail, le salarié est soumis à un module hebdomadaire : son temps de travail est décompté sur la semaine. Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire est une heure supplémentaire ouvrant droit à une majoration salariale pouvant éventuellement être remplacée par du repos (C. trav., L. 3121-28). Le seuil de déclenchement des heures supplémentaire est donc actuellement fixé à 35 heures La référence, dans la définition de l’heure supplémentaire, à la durée légale renvoie incidemment à la notion de travail effectif (C. trav., L. 3121-27). Aussi, la Cour de cassation estimait jusqu’à présent qu’il fallait tenir compte uniquement des heures de temps de travail effectif et écarter les heures non travaillées dans la semaine, quand bien même elles seraient rémunérées à un autre titre. Ainsi, sauf usage ou disposition conventionnelle contraire, les congés payés n'étaient pas assimilés à du temps de travail effectif pour le décompte des heures supplémentaires. Par exemple un salarié travaillant 7 heures par jour du lundi au samedi effectue 42 heures dans la semaine. Mais s’il place une journée de congé le lundi, il n’a effectivement travaillé que 35 heures et ne peut prétendre à une majoration pour heure supplémentaire (par ex. Soc. 25 janv. 2017, n° 15-20.692, v. pour la même solution en cas de jour férié chômé : Soc. 4 avr. 2012, n° 10-10.701).

Là encore, la solution de la Cour de cassation était en contradiction avec un arrêt de la CJUE (CJUE 13 janv. 2022, n° C-514/20). En droit européen, le droit à un congé annuel vise, on l’a dit, à permettre au salarié de se consacrer à des loisirs, mais il permet également de se reposer et donc de préserver sa santé. Le congé et sa rémunération sont dès lors étroitement associés. Le paiement permet de s’assurer que les salariés prendront effectivement leurs congés. Aussi, tout mécanisme légal, toute pratique ou omission patronale incitant les salariés à renoncer à ce congé est incompatible avec la finalité de ce droit. Un désavantage financier est ainsi considéré comme ayant un effet potentiellement dissuasif et doit être abandonné (CJUE 22 mai 2014, Lock, n° C-539/12, pt 21). Priver le salarié d’une majoration pour heure supplémentaire peut s’analyser comme un tel désavantage. La chambre sociale de la Cour de cassation opère dès lors, là encore, un revirement. Elle énonce qu’il convient désormais de juger qu’un salarié en congé payé pendant une partie de la semaine peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu'il aurait perçues s'il avait travaillé durant toute la semaine.

Du point de vue de la technique juridique, la Cour de cassation ne pouvait cette fois se contenter d’une interprétation du droit français à la lumière du droit européen. La référence au temps de travail effectif par les textes du Code du travail entre en contradiction avec la solution européenne. Faire primer le droit européen implique donc d’écarter le droit national contraire. Or une directive n’a pas d’effet direct dans les relations entre particuliers. Mais la CJUE a ouvert une brèche s’agissant du droit à congé payé car il est non seulement prévu par l’article 7 de la directive 2003/88 mais également l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. La Charte ayant la valeur juridique d’un traité, certaines de ses dispositions peuvent être appliquées directement en droit interne (CJUE 6 nov. 2018, n° C-570/16). Pour en assurer le respect, un juge peut, si nécessaire, écarter une réglementation nationale contraire. La Cour de cassation écarte donc partiellement l’article L. 3121-28 du Code du travail en ce qu’il exige l’exécution d’un temps de travail effectif pour identifier les heures supplémentaires.

Reste à apprécier la portée de la solution. La Cour limite ici son raisonnement aux salariés en congés payés et soumis à un décompte hebdomadaire du temps de travail. Ne sont donc pas concernés les salariés soumis à une modulation du temps de travail. La question reste ouverte pour les salariés soumis à une convention de forfait (Soc. 25 juin 2025, n° 24-16.317 : une convention de forfait en heures sur le mois n'emporte pas dérogation au principe du décompte du travail dans le cadre hebdomadaire). Il conviendra également de cerner les conséquences de la solution sur le contingent d’heures supplémentaires. Par ailleurs, pourrait-elle être étendue à d’autres causes de suspension du contrat, comme les congés pour événements familiaux (C. trav., L. 3142-2) ou les arrêts maladie (C. trav., L. 3141-5) ? Rien n'est moins sûr. La nouvelle solution est dictée par le respect du droit à congés payés énoncé par la Charte de l’Union. Il faudra donc continuer à distinguer d’une part, les périodes assimilées à du temps de travail effectif de manière générale, prises en compte pour le calcul des heures supplémentaires et, d’autre part, les périodes assimilées à du temps de travail effectif pour l’ouverture de droits spécifiques et qui ne s’imputent pas sur le calcul des heures supplémentaires (pour un exemple concernant les temps de délégation ou de formation des salariés protégés : Soc. 31 janv. 2024, n° 22-10.176).

Références :

■ Soc. 4 déc. 1996, n° 93-44.907 P D. 1997. 18.

■ CJUE 21 juin 2012, n° 78/11 : D. 2012. 1064.

■ Soc. 25 janv. 2017, n° 15-20.692 

■ Soc. 4 avr. 2012, n° 10-10.701 P D. 2012. 1064.

■ CJUE 13 janv. 2022, n° C-514/20 RDT 2022. 392, obs. M. Véricel ; RTD eur. 2023. 431, obs. F. Benoît-Rohmer.

■ CJUE 22 mai 2014, Lock, n° C-539/12 : D. 2014. 1204 ; RDT 2014. 696, obs. M. Véricel ; RTD eur. 2015. 179, obs. F. Benoît-Rohmer.

■ CJUE 6 nov. 2018, n° C-570/16 : RTD eur. 2019. 387, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 401, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier.

■ Soc. 25 juin 2025, n° 24-16.317

■ Soc. 31 janv. 2024, n° 22-10.176 B : D. 2024. 216.

 

Auteur :Chantal Mathieu


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