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Droit des régimes matrimoniaux
Conséquences de l’inefficacité de l’un des cautionnements simultanément souscrits par les époux communs en biens
Il résulte de l'article 1415 du Code civil que lorsque les cautionnements d'époux communs en biens ont été simultanément recueillis au sein du même acte pour garantir la même dette, ce n'est que si l'un des cautionnements est annulé que la seule signature au pied de cet engagement ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l'autre conjoint, emportant engagement des biens communs. Cette règle prétorienne ne s’étend pas au cas où seule l’inopposabilité de l’un des engagements de caution a été prononcée.
Com. 5 nov. 2025, n° 24-18.984
Une banque avait consenti à une SCI un prêt garanti par le cautionnement solidaire du gérant de cette société et de son épouse, tous deux associés de la société Le cautionnement du couple, marié sous le régime de la communauté légale, avait été souscrit en des termes identiques, sur le même acte de prêt, et en garantie de la même dette. Ultérieurement, un jugement devenu irrévocable déclara le cautionnement de l’épouse manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Un an plus tard, la banque fit saisir un immeuble commun aux époux cautions, puis les assigna en justice en sorte de voir fixer sa créance définitive et d’obtenir la vente forcée de l'immeuble saisi. L’épouse opposa à la banque son absence de consentement exprès au cautionnement de son mari qui ne pouvait, à raison de l’inefficacité de son propre cautionnement, engager que ses biens propres. Elle excipait ainsi de l'article 1415 du Code civil, selon lequel chacun des époux ne peut engager par un cautionnement que ses biens propres et ses revenus, à l’exclusion des biens communs, sauf à ce que ce cautionnement ait été contracté avec le consentement exprès de l'autre conjoint. La cour d’appel ordonna toutefois la vente de l'immeuble commun au motif que la circonstance qu’un jugement définitif ait jugé la banque inapte à se prévaloir du cautionnement de l’épouse en raison de son caractère disproportionné n'avait pas remis en cause la validité de ce cautionnement, qui n'avait pas été annulé et qui valait toujours consentement exprès de cette dernière au cautionnement de son conjoint. Devant la chambre commerciale de la Cour de cassation, l’épouse rappela la règle que celle-ci a elle-même posée (Com. 29 sept. 2021, n° 20-14.213), selon laquelle lorsque les cautionnements d'époux communs en biens ont été recueillis au sein du même acte et dans les mêmes termes pour garantir la même dette, et que l'un des cautionnements est annulé ou, ajoute la demanderesse au pourvoi, déclaré inefficace en raison de sa disproportion, la seule signature au pied de cet engagement par l’époux dont le cautionnement est irrégulier ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l'autre conjoint, en sorte que le créancier ne peut, en application de l'article 1415 du code civil, saisir les biens communs du couple. Précisant sa jurisprudence, la Cour juge ici, pour rejeter le pourvoi, que lorsque les cautionnements d'époux communs en biens ont été simultanément recueillis au sein du même acte pour garantir la même dette, ce n'est que si l'un des cautionnements est annulé que la seule signature au pied de cet engagement ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l'autre conjoint, emportant engagement des biens communs. Partant, ayant relevé que le cautionnement de l’épouse avait simplement été déclaré inefficace en raison de son caractère manifestement disproportionné, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que la validité de son engagement restait inchangée, et en a exactement déduit que sa signature au pied de l’acte de cautionnement valait consentement exprès de l’épouse à l’engagement, par le cautionnement du mari, de leurs biens communs.
La communauté réduite aux acquêts est un régime matrimonial équilibré dans lequel le créancier doit ménager la titularité d’un droit de gage général avec des règles protectrices de la masse commune, qui viennent limiter le principe d’engagement des biens communs de l’article 1413 du Code civil au stade de l’obligation à la dette. (« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelle cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, et sauf récompense due à la communauté s’il y a lieu »). C’est ainsi que l’article 1415 vient restreindre le gage des créanciers d’un cautionnement ou d’un emprunt pour un époux contractant seul. Lorsque le cautionnement est consenti par un seul époux sans le consentement exprès de l’autre, l’assiette du droit de gage général du créancier se limite aux biens propres et aux revenus de la caution. En pareille situation, seule la masse propre de l’époux caution ainsi que ses revenus peuvent être saisis, le reste de la masse commune étant mise à l’abri par le législateur. Cette limite est d’importance notamment dans le cas, qui était celui de l’espèce, d’un cautionnement solidaire : en effet, une dette solidaire est en principe réputée entrée en communauté du chef des deux époux, en sorte que le droit de gage du créancier s’étend à l’ensemble du patrimoine du ménage et que le paiement de la totalité de la créance peut être réclamé à l’un ou à l’autre des époux sur les biens communs comme sur les biens propres (C. civ., art. 1418, al. 2). Pour protéger la masse commune, le législateur exige alors du créancier qui entend saisir les biens communs de l’époux caution d’avoir recueilli le « consentement exprès » de son conjoint. La jurisprudence a pu interpréter très largement cet article afin de maximiser la protection offerte à l’époux commun en biens n’ayant pas consenti au cautionnement. Dans l’hypothèse de l’espèce où les deux époux se portent garants de la même dette, il convient de distinguer selon que le cautionnement a été souscrit par deux actes distincts ou par un acte unique. Lorsque les engagements résultent d’actes séparés, la Cour de cassation veille à un consentement exprès de chaque époux pour engager la communauté, conformément à l’article 1415 du Code civil (Civ. 1re, 8 mars 2005, n° 01-12.734). Lorsque les engagements sont, comme dans le présent arrêt, souscrits dans un acte unique, l’article 1415, n’incluant pas l’hypothèse d’engagements conjoints, ne trouve pas à s’appliquer, en sorte que chaque époux engage ainsi non seulement ses biens propres et revenus, mais également l’intégralité du patrimoine commun, sans que soit exigé le consentement exprès de l’autre. Dans ce cas l’article 1415 n’a tout simplement pas vocation à s’appliquer (Com. 5 févr. 2013, n° 11-18.644), si bien que le consentement du conjoint n’a pas à être recherché. Toutefois, cette recherche redevient nécessaire en cas d’annulation d’un des deux engagements, l’anéantissement rétroactif du cautionnement souscrit par l’un des époux renouvelant le cadre de la garantie offerte par le couple : en effet, dans ce cas, la situation relève à nouveau du champ d’application de l’article 1415, puisque seul un époux s’est porté caution, la nullité rétroactive de l’engagement de l’autre impliquant de faire comme s’il n’avait jamais été garant. Autrement dit, en cas d’annulation d’un des deux engagements de caution, le consentement exprès du conjoint de l’époux dont le cautionnement est maintenu doit avoir été obtenu pour emporter l’engagement des biens communs. L’article 1415 du Code civil retrouve en pareille situation sa fonction de cran de sécurité pour protéger la communauté, à travers la recherche d’un consentement exprès. Dans cette optique protectrice, la jurisprudence se montre stricte : après la nullité prononcée de l’un des cautionnements simultanés des époux, il ne saurait être tiré de la présence, en bas du document, de la signature de celui dont l’engagement a été annulé que ce dernier a expressément accepté le cautionnement de son conjoint (Com. 29 sept. 2021, préc.) Sa signature ne remplit pas la condition posée par l’article 1415 du Code civil pour engager la masse commune, n’équivalant pas au « consentement exprès » auquel se réfère la lettre du texte. Cette solution probatoire exigeante pour le créancier se trouve tempérée lorsque seule l’inopposabilité de l’engagement de caution d’un des époux a été prononcée, ce qui ressort de la décision rapportée. Contrairement à la nullité, l’inefficacité du cautionnement ne remet pas en cause la validité du contrat en sorte que la signature qui y est apposée retrouve sa portée probatoire, puisqu’elle vaut dans ce cas consentement exprès à l’engagement du conjoint. En l’espèce, bien que le créancier ne puisse s’en prévaloir à raison de sa disproportion, le cautionnement régulièrement signé par l’épouse reste un acte valable qui établit, à lui seul, son consentement exprès à l’engagement de caution de son mari, emportant engagement des biens communs. En revanche, si la nullité de son cautionnement avait été prononcée, la banque n'aurait pas pu se servir de l’engagement du mari même signé, au pied de l’engagement, par son épouse. Dans ce cas, la masse commune n’aurait pas pu être saisie, et seuls les biens propres et les revenus de l’époux auraient été saisissables. Mais seule l’inopposabilité ayant ici été prononcée, la signature de l’épouse est considérée comme suffisante pour démontrer un consentement exprès, au sens de l’article 1415 du Code civil, au cautionnement de son conjoint. L’arrêt rapporté vient ainsi utilement apporter une nuance à la construction opérée par la Cour de cassation en cas de remise en cause de l’un des cautionnements simultanés des époux communs en biens : ce qui vaut pour la nullité du cautionnement de l’un des époux ne s’étend pas à l’inopposabilité de l’acte. La solution retenue vient donc poser un nouveau jalon dans l’approche de l’article 1415 du Code civil quand les cautionnements des époux communs en biens ont été recueillis dans le même acte et pour la même dette mais que l’un d’entre eux a été, soit annulé, soit déclaré inopposable, ces deux sanctions n’emportant pas les mêmes conséquences sur le recueil du consentement du conjoint de l’époux caution.
Références :
■ Com. 29 sept. 2021, n° 20-14.213 : DAE, 18 oct.2021, note Merryl Hervieu ; D. 2021. 2166, note A. Molière ; AJ fam. 2021. 688, obs. J. Casey ; RTD civ. 2022. 189, obs. M. Nicod
■ Civ. 1re, 8 mars 2005, n° 01-12.734 : D. 2005. 1048 ; AJ fam. 2005. 238, obs. P. Hilt
■ Com. 5 févr. 2013, n° 11-18.644 : D. 2013. 1253, obs. V. Avena-Robardet, note A. Molière ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2013. 187, obs. P. Hilt ; Rev. sociétés 2013. 507, note I. Dauriac
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