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[ 20 octobre 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Construction sur le terrain d’autrui : le remboursement du constructeur ne dépend pas de son éviction préalable

L'action en remboursement de celui qui a construit sur le terrain d'autrui avec des matériaux lui appartenant, contre le propriétaire du fonds, prévue au troisième alinéa de l'article 555 du Code civil, n'est pas subordonnée à son éviction.

Civ. 3e, 21 sept. 2023, n° 22-15.359

On croyait connaître l’essentiel de l'article 555 du Code civil qui organise les solutions applicables en matière de construction sur le terrain d'autrui. Pourtant, force est de constater que cette disposition appelle encore des précisions, comme en témoigne l'arrêt commenté du 21 septembre dernier qui, évinçant la condition d’éviction du tiers constructeur du bien-fondé de son action en remboursement contre le propriétaire du fonds, confirme la nature personnelle de cette action qui pouvait déjà s’induire d’un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 13 mai 2015 (Civ. 3e, 13 mai 2015, n°13-26.680).

En l’espèce, deux époux mariés sous le régime de la communauté légale avaient édifié, au cours de l'année 2005, une maison d'habitation constituant leur domicile familial, sur une parcelle appartenant au père du mari. Après le divorce du couple en 2014 et une mise en demeure restée infructueuse, l’épouse avait assigné son ancien beau-père en paiement d'une certaine somme correspondant à sa quote-part sur la valeur de la maison construite sur la parcelle appartenant à ce dernier. Celle-ci ayant obtenu gain de cause en appel, son beau-père forma un pourvoi en cassation au moyen que l'action en paiement ouverte au tiers qui a édifié une construction sur le terrain d'autrui suppose que ce tiers ait été évincé par le propriétaire du terrain ; or en l’espèce, en l’absence d’éviction, la cour d’appel aurait indûment octroyé à son ex belle-fille, malgré sa participation à la maison construite sur un terrain lui appartenant, une créance correspondant à sa quote-part, soit la moitié du remboursement du coût des matériaux et du prix de la main-d'œuvre estimés à la date du remboursement. La Cour juge le moyen non fondé, en ce que « l'action en remboursement de celui qui a construit sur le terrain d'autrui avec des matériaux lui appartenant, contre le propriétaire du fonds, prévue au troisième alinéa de l'article 555 du code civil, n'est pas subordonnée à son éviction ».

La question de la construction par un tiers sur le terrain d’autrui doit être observée différemment selon que l'on envisage la situation du côté du propriétaire du fonds sur lequel des constructions ont été édifiées ou du tiers qui en est à l'origine. Du côté du propriétaire du fonds, les articles 551 et 552 du Code civil règlent sans équivoque la question de la propriété de la construction puisque le propriétaire du sol est réputé en être devenu propriétaire en vertu de l'adage supercifies solo cedit. En d'autres termes, du point de vue du propriétaire du fonds, bénéficiaire de la construction, la question se pose sous l’angle exclusif de son droit de propriété. Du côté du tiers constructeur, la question se pose différemment puisqu'il ne s'agit pas de savoir s'il peut conserver la propriété de la construction mais s'il peut en obtenir l'indemnisation. Cette différence d’approche permet alors de comprendre la solution rendue par les magistrats du Quai de l'Horloge. En effet, au-delà du fait que le tiers, au sens de l'article 555 du Code civil, vise généralement toute personne autre que le propriétaire du fonds sur lequel une construction a été édifiée, le tiers est plus particulièrement celui, à l'origine de la construction, qui a employé à cette fin des matériaux propres pour y parvenir et cherche en conséquence, au nom de l'équité consacrée par l'article 555 du code précité, à se faire indemniser. Il n'est donc guère étonnant que la Cour de cassation considère implicitement que le droit à indemnisation n'est pas attaché à la propriété, précisément parce qu'il n'est pas question de propriété mais d'une forme de réparation qui invite à n'envisager comme bénéficiaire de l'action que celui qui, d'une certaine manière, subit un préjudice (appauvrissement sans cause), indépendamment de son éviction par le propriétaire du terrain. On comprend que l’action en indemnisation de l'article 555 du Code civil a une nature personnelle, attachée à l'auteur de la construction sur le terrain d'autrui et détachée de la propriété de ce dernier. Le droit de propriété devant ici être séparé du droit à indemnisation, l’éviction préalable à la demande en remboursement du tiers constructeur par le propriétaire du terrain n’a donc pas lieu d’être exigée.

Référence :

■ Civ. 3e, 13 mai 2015, n°13-26.680 : D. 2015. 1098 ; ibid. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2015. 794, obs. F. de La Vaissière, DAE, 23 juin 2015, note M.H.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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