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Droit des biens
Construction sur le terrain d’autrui : précisions sur l’appréciation de la bonne foi du constructeur
L’absence d’un titre translatif de propriété fait obstacle à la revendication de la qualité de constructeur de bonne foi, laquelle permet au tiers ayant construit sur le terrain d’autrui de s’opposer au choix du propriétaire d’exiger la démolition des constructions. Le seul fait que le propriétaire ait autorisé les constructions ne saurait permettre au tiers constructeur de revendiquer sa bonne foi, dès lors qu’il ne dispose d’aucun titre, même putatif, translatif de propriété.
Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 20-13.649
Un père avait construit une maison sur un terrain appartenant à sa fille. Après avoir quitté les lieux, il l’avait assignée en remboursement des frais qu’il avait dû exposer, sur le fondement de l’article 555 du Code civil : définissant le régime applicable à la construction sur le terrain d’autrui, ce texte prévoit que le constructeur de bonne foi est en droit d’obtenir du propriétaire soit le montant de la plus-value générée par la construction nouvelle édifiée, soit le coût des matériaux et le prix de la main d’œuvre requis par les travaux de construction, estimés à la date du remboursement (C. civ., art. 555, al. 3 et 4).
Précisons dès à présent que la bonne foi au sens de l'article 555 du Code civil s'entend par référence à l'article 550 du même code et doit donc être observée au regard de celui qui possède comme un propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices (Civ. 3e, 17 nov. 1971, n° 70-13.346). En l’absence de bonne foi, le constructeur perd ce droit, le premier alinéa de ce texte posant en effet le principe de l’accession du propriétaire aux constructions réalisées sur son terrain par un tiers « Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l’aliéna 4, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever ». Il en résulte que le propriétaire est en droit :
- soit d’en conserver la propriété (moyennant indemnisation du tiers constructeur);
- soit d’exiger leur démolition aux frais du tiers constructeur.
Après avoir été débouté de sa demande de remboursement par la juridiction d’appel qui, en application du premier alinéa du texte précité, avait ordonné la démolition, à ses frais, de l’immeuble construit sur la propriété de sa fille, le père se pourvut en cassation.
Rappelant les termes du dernier alinéa de l’article 555 sur lequel il avait dès l’origine fondé sa demande, selon lequel « (s)i les plantations, constructions et ouvrages ont été faits sur le terrain d’autrui par un tiers évincé qui n’aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations mais aura le choix de rembourser au tiers l’une ou l’autre des sommes visées à l’alinéa précédent», il excipait de sa bonne foi pour contester l’injonction de démolition : selon le demandeur, celui qui construit sur le terrain d’autrui avec l’autorisation du propriétaire doit être présumé de bonne foi, sans qu’il ait besoin de prouver l’existence d’un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice. En décidant néanmoins, pour ordonner la démolition de la maison qu’il avait édifiée, que l’autorisation donnée par sa fille, propriétaire du sol, avec l’assentiment de son gendre, de procéder à l’édification de la construction litigieuse, ne suffisait pas à lui conférer la qualité de constructeur de bonne foi, au motif inopérant qu’il ne prouvait ni ne prétendait être ou avoir été titulaire d’un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice, la cour d’appel aurait ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du Code civil.
Se posait ainsi la question de l’incidence de l’autorisation du propriétaire du terrain sur la bonne foi du constructeur. La Cour de cassation y répond dans un sens défavorable au demandeur au pourvoi : la cour d’appel ayant constaté que, si la propriétaire du fonds avait autorisé son père à construire sur son terrain, ce dernier ne disposait pour autant d’aucun titre translatif de propriété ; en outre, ayant énoncé, à bon droit, que la bonne foi au sens de l'article 555 du Code civil s'entend par référence à l'article 550 du même code et concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices, elle en a exactement déduit que l’auteur des travaux n’avait pas pour autant la qualité de constructeur de bonne foi et que la démolition requise de l’immeuble en cause devait être ordonnée.
Ainsi l’exigence d’un titre translatif de propriété non vicié ne fut-elle pas, en l’espèce, jugée satisfaite, exclut par là même la bonne foi du constructeur.
Le demandeur soutenait devoir être regardé comme un constructeur de bonne foi en faisant valoir qu’il avait fait bâtir la maison avec l’autorisation de sa fille ce qui, dans certains cas, a été jugé par la Cour comme constitutif d’un titre putatif de propriété suffisant à établir la bonne foi du constructeur sur le terrain d’autrui : ainsi l’autorisation de demander un permis de construire donnée par le propriétaire d’un terrain à une personne désirant l’acquérir peut-elle, par exemple, constituer un titre putatif pour le bénéficiaire qui a cru, de bonne foi, avoir un titre l’autorisant à bâtir en qualité de propriétaire avant même que l’acte soit signé (Civ. 3e, 3 mai 1983, n° 81-14.989 ; v. égal, pour d’autres hypothèses : ont été jugés de bonne foi le preneur ayant édifié des constructions avec l’autorisation du bailleur, Civ. 3e, 3 oct. 1990, n° 88-18.415 ; de même pour des constructeurs ayant agi, avec l’assentiment des propriétaires de terrains donnés à bail, en l’absence de toute convention réglant le sort de ces constructions, Civ. 3e, 17 déc. 2013, n° 12-15.916).
Aussi bien, si l’autorisation donnée par le propriétaire de demander le permis de construire peut constituer un titre putatif conférant au bénéficiaire la qualité de constructeur de bonne foi au sens de l’article 555 susvisé, cet effet n’est pas toutefois pas automatique (v. par ex. Civ. 3e, 5 juin 2013, n° 11-25.627), sa bonne foi ne pouvant être établie qu’à la condition d’être conforme à l’article 550 du même code, qui ne considère de bonne foi que celui qui possède comme propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore le vice. Or en l’espèce, la demande de permis de construire avait été formée et régularisée au nom de la seule propriétaire, sans que le nom de son père n’apparaisse. Ce dernier n’avait donc pas reçu l’autorisation de sa fille de former lui-même et en son nom une telle demande, ce qui justifiait déjà d’écarter sa prétention fondée sur la constitution d’un titre putatif.
Mais le demandeur arguait également d’un titre putatif de propriété pour établir sa bonne foi au moyen que sa fille lui aurait laissé croire que s’il payait la construction, il en serait propriétaire par la donation du terrain qu’elle lui consentirait. Or il ne résultait d’aucune pièce versée aux débats que la défenderesse, en dépit des affirmations du demandeur, ait prévu de lui faire donation du terrain et donc que ce dernier eut été, par cette autre voie, titulaire d’un titre putatif de propriété relatif au terrain. Non établi, ce fait n’aurait pu en tout état de cause être assimilé à une possession de bonne foi telle qu’elle est visée à l’article 550 du Code civil : en effet, en vertu de ce texte, pour être prescriptive, la possession doit être univoque, révélant l’intention du possesseur de se conduire en propriétaire. Or la possession est équivoque si les actes du propriétaire contredisent cette intention (Civ. 1re, 13 juin 1963), ce qui était en l’espèce le cas, le père n’ayant accompli personnellement aucun acte de possession à titre de propriétaire, ayant dû obtenir une autorisation de construire sur le terrain sans obtenir celle de demander à son nom un permis de construire, et ayant accepté d’édifier la construction en contrepartie de la donation du terrain, ce que celui qui possède tel un propriétaire n’aurait pas songé à négocier.
Il résulte donc de ce qui précède que l’autorisation donnée par la propriétaire du terrain de procéder à l’édification de la construction litigieuse ne pouvait suffire à rendre le constructeur de bonne foi, laquelle répond à la définition technique sus rappelée et non simplement morale, l’autorisation invoquée démontrant précisément que le constructeur savait n’avoir aucun droit sur le sol.
Le demandeur n’ayant pu établir avoir été de bonne foi au sens de l’article 555 du Code civil, sa fille avait donc le choix de conserver l’ouvrage moyennant une indemnité ou d’en solliciter la démolition (art. 555, al. 1) ; en l’espèce, la démolition choisie par la défenderesse devait en conséquence ordonnée, aux frais du demandeur.
Références :
■ Civ. 3e, 17 nov. 1971, n° 70-13.346 P
■ Civ. 3e, 3 mai 1983, n° 81-14.989 P: RTD civ.1984.333, obs.Giverdon
■ Civ. 3e, 3 oct. 1990, n° 88-18.415 P: D. 1991. 307, obs. A. Robert ; RTD civ. 1993. 164, obs. F. Zenati
■ Civ. 3e, 17 déc. 2013, n° 12-15.916 P: D. 2014. 9 ; ibid. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 612, obs. N. Le Rudulier ; RDI 2014. 207, obs. C. Simler
■ Civ. 3e, 5 juin 2013, n° 11-25.627 P: D. 2013. 2252, note A. Tadros ; ibid. 2544, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier
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