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Droit de la responsabilité civile
Contamination au VIH par voie sexuelle : la question de la faute d’imprudence de la victime
Le fait d'avoir des relations sexuelles non protégées, en méconnaissance des recommandations des autorités sanitaires, avec un partenaire ayant dissimulé sa séropositivité ne constitue pas, à lui seul, une faute civile d’imprudence de nature à réduire l’indemnisation de la victime.
Civ. 2e, 14 mars 2024, n° 22-10.324
Une femme avait été testée positive au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) à l'occasion d'une hospitalisation. Estimant que le partenaire lui ayant transmis le virus, qui ne lui avait pas révélé sa séropositivité, était responsable de sa contamination, elle a porté plainte contre lui. Un tribunal correctionnel, devant lequel son ancien partenaire avait été renvoyé du chef d’administration de substance nuisible à la santé (Sur cette qualification, v. Crim. 5 oct. 2010, n° 09-86.209), a constaté la prescription de l’action publique. Elle l’a donc ensuite assigné devant le juge civil pour obtenir l’indemnisation de son préjudice. En effet, la jurisprudence considère depuis longtemps que la contamination accidentelle du VIH constitue un dommage réparable (Civ. 2e, 2 juin 2005, n° 03-20.011 ; Civ. 1re, 5 juill. 2006, n° 05-15.235). En cause d’appel, la responsabilité de son ancien partenaire fut alors engagée sur le fondement de l’article 1241 du Code civil, selon lequel chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. Ce dernier fut toutefois partiellement exonéré de sa responsabilité compte tenu de la faute d’imprudence également commise par la victime. Pour limiter en conséquence le droit à réparation de la victime, la cour d’appel a en effet relevé qu’elle avait eu des relations sexuelles non protégées avec un partenaire qu'elle ne connaissait que depuis quelques jours et dont elle ignorait la sérologie. Elle s'était ainsi exposée à la possibilité d'une contamination, alors que les recommandations du comité de lutte contre le sida prônaient l'usage du préservatif pour se protéger du VIH et des autres maladies sexuellement transmissibles.
Devant la Cour de cassation, la victime invoque une violation de l’article 1241 du Code civil et de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Elle fait grief aux juges du fond de dire qu'elle a commis une faute réduisant son droit à indemnisation de 20 %, alors que le fait de la victime n'emporte exonération partielle du responsable qu’à la condition d’être fautif et que « n'est pas fautif, en raison du droit fondamental qu'a toute personne d'entretenir librement des relations sexuelles, tant qu'elle ne porte pas atteinte aux droits de son partenaire, le fait de consentir à des rapports sexuels sans requérir l'usage d'un préservatif, même à l'occasion d'une relation nouvelle, lorsque le partenaire a sciemment passé sous silence sa séropositivité au VIH ». Elément de la vie privée, la liberté sexuelle impliquerait celle d’entretenir des relations sexuelles non protégées, au nom de l’autonomie personnelle et au mépris des recommandations médicales (sur le lien entre vie privée, liberté sexuelle et autonomie personnelle, v. CEDH, 17 févr. 2005, K.A. et A.D. c. Belgique, n° 42758/98). Selon la demanderesse au pourvoi, l’exercice de cette liberté fondamentale empêcherait de caractériser la faute qui lui est reprochée.
En ce sens, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond. Elle juge que le fait pour une personne d'avoir des relations sexuelles non protégées, en méconnaissance des recommandations des autorités sanitaires, avec un partenaire qui lui a dissimulé sa séropositivité, ne constitue pas, à lui seul, une faute. La Haute juridiction ne se prononce pas sur le droit fondamental invoqué, pas plus qu’elle n’apporte d’élément expliquant le rejet de la qualification de faute d’imprudence, ce qui n’allait pas de soi. Certes, les recommandations des autorités sanitaires ne présentent aucun caractère impératif. Néanmoins, il était concevable de caractériser un manquement au devoir de prudence de la victime, qui a accepté des relations sexuelles sans préservatif avec un partenaire récent et dont elle ignorait le statut sérologique, alors que perdure le risque majeur de contamination par le VIH par voie sexuelle. Ce qui reviendrait à admettre, comme le fit la cour d’appel dans cette affaire, un principe de responsabilité partagée des partenaires : si une personne contaminée a la responsabilité de ne pas transmettre le virus, la personne non contaminée devrait, par symétrie, avoir celle de se protéger, à l’occasion d’une nouvelle relation, du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles. Poursuivant cependant sa politique de faveur pour la victime contaminée accidentellement par le VIH (comp., pour une appréciation souple des conditions d’engagement de la responsabilité et, notamment, du lien de causalité, Civ. 2e, 2 juin 2005, préc.), la Cour de cassation ne souscrit pas à cette analyse. En résulte en l’espèce la réparation intégrale du préjudice subi par la victime.
Références :
■ Crim. 5 oct. 2010, n° 09-86.209 : D. 2010. 2519, obs. M. Bombled ; AJ pénal 2011. 77, obs. G. Roussel ; RSC 2011. 101 et les obs.
■ Civ. 2e, 2 juin 2005, n° 03-20.011 : D. 2005. 1658, et les obs. ; AJDI 2005. 911, obs. Y. Rouquet ; RDSS 2005. 676, obs. P. Hennion-Jacquet
■ Civ. 1re, 5 juill. 2006, n° 05-15.235 : D. 2006. 2127, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2007. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2006. 783, obs. P. Jourdain
■ CEDH, 17 févr. 2005, K.A. et A.D. c. Belgique, n° 42758/98 : D. 2006. 1200, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 2005. 2973, chron. M. Fabre-Magnan ; RTD civ. 2005. 341, obs. J.-P. Marguénaud
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