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Droit de la famille
Contestation de la filiation : un délai pour agir est nécessaire
Mots-clefs : Famille, Filiation, Contestation, Délai pour agir, Vie privée et familiale, Atteinte disproportionnée (non)
S’il constitue une immixtion dans la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le délai quinquennal pour contester, lorsque la possession d’état est conforme au titre, sa filiation paternelle, poursuit un objectif légitime.
Un homme avait rédigé en 2002 un testament olographe par lequel il instituait son petit neveu légataire universel de sa fortune au motif que ce dernier aurait été en réalité son fils. En 2009, il avait révoqué ce premier testament par un second par lequel il léguait sa fortune à d’autres que celui-ci. Après le décès du testateur, le petit neveu, bénéficiaire du premier testament, avait parallèlement engagé une action en contestation de la paternité du mari de sa mère et en établissement de sa filiation vis-à-vis de son grand-oncle. Lui-même étant décédé en cours d’instance, l’action avait été reprise par ses héritiers. Elle fut jugée irrecevable en appel en raison de l’expiration du délai quinquennal légalement prévu pour l’exercice de l’action en contestation de paternité. L’article 333 du Code civil énonce en effet que lorsque la possession d’état est conforme au titre, l’action en contestation de paternité « se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d’état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté ». Au soutien de leur pourvoi en cassation, les demandeurs arguaient que les dispositions de l’article 333 du Code civil sont contraires au droit de connaître ses origines qui découle du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Quoique la Cour admette que l’application d’un délai de prescription ou de forclusion, limitant le droit d’une personne à faire connaître son lien de filiation paternelle, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme , elle rejette néanmoins le pourvoi des héritiers du testateur au motif, d’une part, que l’article 333, en ce qu’il tend à protéger les droits et libertés des tiers ainsi que la sécurité juridique poursuit, dès lors, un objectif légitime et, d’autre part, la Cour juge que l’atteinte qui résulte de cette disposition n’est pas, en l’espèce, disproportionnée dans la mesure où celui dont la filiation paternelle était concernée était décédé au jour où elle statuait et que ses descendants ne soutenaient pas avoir subi, personnellement, une atteinte à leur vie privée du fait de l’impossibilité d’établir, au travers celle de leur père, leur ascendance, et que par conséquent, leur action ne poursuivait qu’un intérêt patrimonial. Découlant directement du droit au respect de la vie privée et familiale, le droit d’accéder à ses origines consacre le droit de connaître la vérité biologique de sa filiation. Cependant, l’effectivité de ce droit est entravée par le fait que la filiation est régie par le droit, même si elle repose sur des données biologiques, d’où la contradiction possible entre filiation juridique et filiation biologique, filiation instituée et filiation réelle. En effet, le droit prévoit l’établissement de la filiation par un titre (acte de naissance, de reconnaissance, de notoriété constatant la possession d’état) et ce titre a pour fonction de présumer l’existence d’une filiation biologique. Le droit fait présumer le fait : l’établissement juridique de la filiation fait présumer la réalité biologique de celle-ci. Cependant, cette présomption est susceptible d’être combattue. Ainsi le droit d’accéder à ses origines vise-t-il le droit de connaître la vérité de sa filiation lorsque celle-ci se révèle être en contradiction avec son existence légale et pour rendre le droit d’accès à ses origines effectif, le droit prévoit la possibilité de contester la filiation instituée. Cependant, comme en témoigne la décision rapportée, des contraintes, notamment de délai, ont été posées par la loi pour agir en contestation de sa filiation, ce qui constitue un frein au droit d’accéder à ses origines et une atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale mais cette entrave légale est justifiée par la volonté de préserver la stabilité des situations familiales et la situation des tiers dont la filiation serait susceptible d’être recherchée. Aussi bien, si les conditions de la contestation dépendent de l’existence d’une possession d’état, dans tous les cas, des délais d’actions sont imposés pour limiter la remise en cause des filiations légalement établies. L’hypothèse de l’espèce était celle de la conformité de la possession d’état au titre. Il convient de préciser qu’en vertu de l’article 311-1 du Code civil, « la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ». Il convient en particulier de tenir compte des relations mutuelles du prétendu parent et de l’enfant (tractatus), du nom que porte ce dernier (nomen) et de l’opinion de l’entourage et de la collectivité sur la réalité de la filiation (fama). Conformément à la lettre de l’article 311-1 du Code civil, qui ne requiert, selon la méthode du faisceau d’indices, qu’une réunion « suffisante » de faits, la jurisprudence n’exige pas la réunion de tous ces éléments pour conclure à l’existence d’une possession d’état. Pour établir la possession d’état, il faut en revanche qu’elle revête certaines qualités, cette fois cumulatives : « elle doit être continue, paisible, publique et non équivoque » (C. civ., art. 311-2). Dans cette hypothèse, le texte de l’article 333 du Code civil encadre l’exercice de l’action en contestation de la filiation par la fixation d’un délai quinquennal, outre la limitation des personnes autorisées à agir. En effet, lorsque la possession d’état est conforme au titre, seuls peuvent agir l’enfant, l’un de ses père et mère ou celui qui se prétend être le parent véritable et surtout, la filiation ne peut être remise en cause que dans les cinq ans qui suivent la cessation de la possession d’état ou le décès du parent dont la filiation est contestée ce qui signifie qu’une fois ce délai quinquennal écoulé, le droit de connaître ses parents véritables devient ineffectif, ce que la Cour juge par principe légitime et en l’espèce justifié par le fait qu’en l’espèce, l’intérêt à agir des demandeurs était purement patrimonial. |
Civ. 1re, 6 juillet 2016, n° 15-19.853
Référence
■ Convention européenne des droits de l’homme.
Article 8 « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
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