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Droit pénal spécial
Contours de la liberté d'expression : quelques rappels
Mots-clefs : Presse, Diffamation, Injure, Condamnation, But légitime poursuivi (caractère proportionné de l'ingérence), Droit à la liberté d'expression, Fonctionnaire (protection), Débat d'intérêt général, Homme politique (élu)
Par deux arrêts des 19 et 25 février 2010 concernant la France, la Cour européenne des droits de l'homme rappelle les contours de la liberté d'expression tels qu'ils résultent de sa jurisprudence rendue sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne.
Dans la première affaire (Taffin et contribuables associés c. France), la Cour de Strasbourg était saisie de la condamnation pour diffamation publique envers un fonctionnaire prononcée par des juridictions françaises à l'encontre de la directrice de publication d'un bulletin d'information trimestriel intitulé Tous contribuables, de son éditeur, l'association « Contribuables associés », et de l'auteur de propos retranscrits dans un numéro paru en juillet 2001. Dans un article intitulé « X : victoire sur le fisc », l'intéressé, animateur et producteur connu d'émissions de télévision, exposait avoir obtenu gain de cause devant le tribunal administratif concernant le redressement fiscal imposé à sa société de production. Surtout, il y mettait directement en cause une inspectrice du fisc, à qui il reprochait, notamment, d'avoir produit des faux.
Amenée à se prononcer sur la violation alléguée par la requérante (directrice de publication) de l'article 10 de la Convention, la Cour européenne, après avoir constaté que l'atteinte à la liberté d'expression était prévue par la loi (L. 29 juill. 1881) et qu'elle poursuivait un but légitime (la protection de la réputation ou des droits d'autrui), recherche, très classiquement, si celle-ci était nécessaire dans une société démocratique, en particulier, si les motifs avancés par les autorités nationales pour justifier la condamnation étaient pertinents et suffisants. Ainsi, elle constate que l'article « ne se bornait pas à relater un contrôle fiscal […] (mais) exposait, en des termes assez virulents, des griefs à l'égard de l'inspectrice des impôts, nommément désignée, accusée d'avoir commis des faux, d'avoir voulu "la peau" de ce contribuable "à tout prix", de bénéficier d'une "irresponsabilité totale" et d'avoir commis de "graves irrégularités" » (§ 60). Elle relève que celui-ci concernait un litige privé et n'avait pas pour but de donner des informations générales sur les impôts (§ 63). Rappelant la protection particulière « contre des attaques verbales offensantes » devant bénéficier aux fonctionnaires lorsqu'ils sont en service, elle estime que « la condamnation de la requérante et la peine qui lui a été infligée (1 500 € d'amende et 1 € au titre des dommages-intérêts) n'étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi, et que les motifs invoqués par les juridictions internes pour justifier ces mesures (manque de prudence et d'équilibre par rapport aux accusations portées) étaient pertinents et suffisants » (§ 67). Elle conclut, à l'unanimité, à l'absence de violation de l'article 10.
Dans la seconde affaire (Renaud c. France), la Cour était saisie d'une condamnation pour diffamation et injure publiques envers une personne chargée d'un mandat de service public (le maire d'une commune), prononcée à l'encontre du président d'une association de riverains s'opposant à la construction d'un ensemble immobilier, en raison de propos parus en juillet 2004 sur le site Internet de l'association.
Sur le caractère nécessaire de cette ingérence dans le droit à la liberté d'expression, la Cour note, cette fois, que les propos incriminés s'inscrivaient dans le cadre d'une polémique entre la municipalité et l'association présidée par le requérant, à propos de la politique d'urbanisme conduite par le maire et son équipe, qu'ils trouvaient leur place dans un débat d'intérêt général et relevaient de l'expression politique et militante, cas où l'article 10 exige un niveau élevé de protection du droit à la liberté d'expression (v. entre autres, CEDH 8 juill. 1986, Lingens c. Autriche ; 7 nov. 2006, Mamère c. France ; 22 oct. 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France). Rappelant que « les élus doivent faire preuve d'une tolérance particulière quant aux critiques dont ils font l'objet et, le cas échéant, aux débordements verbaux ou écrits qui les accompagnent » (v. CEDH 11 avr. 2006, Brasilier c. France), spécialement sur des sujets émotionnels, elle estime qu'« un juste équilibre n'a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d'expression et celle de protéger les droits et la réputation de la plaignante » et que les motifs fournis par les juridictions nationales, s'ils pouvaient passer pour pertinents, n'étaient pas suffisants et ne correspondaient à aucun besoin social impérieux (§ 41). Partant, la condamnation de la requérante « ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite du but légitime visé, compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté d'expression » (§ 43).
CEDH 18 févr. 2010, Taffin et contribuables associés c. France, n° 45396/04
CEDH 25 févr. 2010, Renaud c. France, n° 13290/07
Références
■ Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme
« Liberté d'expression
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
« Allégation ou imputation d’un fait, constitutive d’un délit ou d’une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. »
« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis. Dans la mesure où elle n’est pas précédée de provocations, l’injure est un délit lorsqu’elle est publique, et une contravention lorsqu’elle n’est pas publique. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009
■ CEDH 8 juill. 1986, Lingens c. Autriche, série A, n° 103.
■ CEDH 7 nov. 2006, Mamère c. France, n° 12697/03, Rec. 2006-XIII.
■ CEDH 22 oct. 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France, n°s 21279/02 et 36448/02, Rec. 2007-XI.
■ CEDH 11 avr. 2006, Brasilier c. France, n° 71343/01.
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