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Droit de la famille
Contrat de courtage matrimonial signé par un homme marié : cause illicite
Mots-clefs : Contrat de courtage matrimonial, Cause illicite, Mariage, Divorce, Ordre public et bonnes mœurs
Un contrat de courtage matrimonial, conclu en vue de la réalisation d’un mariage par une personne mariée, n’a pas de cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, tant que l’union n’a pas été réalisée.
Un homme marié a souscrit un contrat de courtage matrimonial. Lors de la signature de la convention, l’homme a coché la case « divorcé », alors que son divorce n’était pas encore prononcé. La société cocontractante a soulevé la nullité de la convention et l’assigné en paiement de dommages-intérêts.
Un contrat de courtage matrimonial conclu par une personne encore engagée dans les liens du mariage a-t-il une cause illicite ?
« Un homme encore marié ne pouvant légitimement convoler en une nouvelle union », la cour d’appel annula le contrat pour cause illicite comme contraire à l’ordre public de protection de la personne ainsi qu’aux bonnes mœurs, puis condamna le requérant à verser des dommages-intérêts. Ce dernier s’est donc pourvu en cassation.
Le principe de la liberté contractuelle (art. 1134 C. civ.) n’est pas total. En effet elle doit s’exercer dans les limites fixées par l’ordre public et les bonnes mœurs. Selon l’article 6 du Code civil : « On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». Afin de contrôler la conformité de la cause à l’ordre public et aux bonnes mœurs le Code civil précise aux articles 1108 et 1131 que la cause doit être « licite », l’article 1133 ajoutant que : « la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ».
Il existe deux conceptions de la cause : objective et subjective. En droit français c’est progressivement la conception dualiste qui a été consacrée, car ces deux conceptions se complètent. La cause objective (ou cause de l’obligation) permet d’apprécier l’existence de la cause. Elle a alors une fonction de protection individuelle.
Ici c’est de la cause subjective dont il est question. En effet, lorsque l’on parle de cause subjective (ou cause du contrat), on recherche les raisons plus lointaines qui ont déterminé chacune des parties à contracter afin de vérifier qu’elles sont licites. La cause de l’obligation a alors une fonction de protection sociale. Elle est un instrument de licéité et de moralité des actes juridiques.
Certes le contrôle de la licéité de la cause du contrat est indispensable, toutefois s’il est excessif, il risquerait de remettre en cause trop aisément les contrats. La jurisprudence a donc posé deux exigences, dont l’une d’elles est aujourd’hui abandonnée :
– d’abord le motif ne peut-être retenu comme cause de nullité que s’il a été déterminant. En effet il doit constituer la « cause impulsive et déterminante » de l’opération et non pas un mobile accessoire ;
– ensuite, la Cour de cassation a longtemps considéré que pour être cause de nullité, le motif devait en outre avoir été connu de l’autre partie (Civ 1re, 4 déc.1956). Le but était d’assurer les relations juridiques et protéger le cocontractant de bonne foi. Toutefois, le fait d’exiger que le mobile illicite ou immoral qui anime l’un des contractants ait été connu de l’autre avait pour conséquence de réduire considérablement les annulations : ainsi, le contrat ne pouvait être annulé alors même qu’il portait atteinte à l’ordre social. Par conséquent la solution à été abandonnée par la Cour de cassation (Civ.1er, 7 oct. 1998 : « un contrat peut-être annulé pour cause illicite ou immorale, même lorsque l’une des parties n’a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant lors de la conclusion du contrat »).
La cause étant présumée licite, il incombe à celui qui invoque l’illicéité ou l’immoralité de la prouver (Civ.1re, 1er juill. 2009) par tous moyens (Civ.1er, 4 juill. 1995).
Concernant un acte contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, la nullité est en principe absolue. S’agissant de la prescription de cette nullité, depuis la loi du 17 juin 2008 elle est de 5 ans à partir du jour où celui qui agit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action (art. 2224 C. civ.).
Jusqu’à présent la jurisprudence estimait que le contrat de courtage matrimonial conclu par une personne encore mariée était nulle pour cause illicite ou immorale (TI Chartres, 12 oct. 1976 ; Dijon, 1re ch., 2e sect., 22 mars 1996).
En l’espèce, la Cour de cassation considère que « le contrat proposé, l’offre de rencontre d’abord, et la réalisation d’un mariage ou d’une union libre ensuite, ne se confond pas avec une telle réalisation ». Elle distingue donc les deux phases d’exécution du contrat, et précise que la conclusion d’un contrat de courtage matrimonial est différente de la conclusion d’un contrat de mariage. Selon cette idée, et considérant le temps écoulé entre la conclusion du contrat et le prononcé du divorce il n’y aurait donc pas violation de l’article 212 du Code civil (« Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance »). En outre, comme le souligne le professeur J. Hauser, l’article 147 du Code civil (interdiction de contracter un second mariage avant la dissolution du premier) rend de toute façon impossible l’exécution de la seconde phase du contrat.
La Haute cour casse et annule l’arrêt d’appel pour violation de l’article 1133 du Code civil et opère ainsi un revirement de jurisprudence dans ce domaine.
Civ. 1re, 4 nov. 2011, n°10-20.114, FS-P+B+I
Références
[Droit civil]
« Profession qui consiste pour celui qui l’exerce à mettre en rapport certaines personnes, moyennant une rémunération, afin de faciliter leur mariage. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Code civil
« On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. »
« Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
« On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. »
« Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention :
Le consentement de la partie qui s'oblige ;
Sa capacité de contracter ;
Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ;
Une cause licite dans l'obligation. »
« L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »
« La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
■ Civ 1re, 4 déc.1956, JCP 1957. II. 10008.
■ Civ.1re, 7 oct. 1998, Bull. civ. I, n°285 ; D. 1999- 237.
■ Civ.1re, 1er juill. 2009, n°08-10.023.
■ Civ.1re, 4 juill.1995, JCP N 1996. II. 152.
■ TI Chartres, 12 oct. 1976, Gaz. Pal. 1977. 1. Somm. 127.
■ Dijon, 1re ch., 2e sect., 22 mars 1996, RTD civ. 1996. 880.
■ J. Hauser, V° « Mariage ; Courtage matrimonial », J.-Cl Civil, Art. 144 à 147 C. civ. ; fasc. 20 ; août 2009, n°16.
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