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[ 14 avril 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Contrat de franchise : le projet du franchisé de créer une activité concurrente à celle du franchiseur n’emporte pas violation de la clause de non-concurrence

Un franchisé peut accomplir des actes préparatoires à une activité concurrente de celle du franchiseur, à condition que cette activité ne débute effectivement qu’à l’expiration du contrat de franchise et de l’engagement de non-concurrence qu’il contient.

Com. 19 mars 2025, n° 23-22.925

En 2015, deux sociétés concluent un contrat de franchise d'une durée de sept ans en vue d'exploiter un centre d'assistance à domicile pour personnes âgées et handicapées. Ce contrat comporte une clause de non-concurrence par laquelle le franchisé s'engage pendant toute la durée du contrat à ne pas exercer hors du réseau, directement ou indirectement, une activité concurrente. Or au printemps 2019, le franchisé crée plusieurs sociétés et dépose diverses marques dont il fait la publicité auprès des clients du réseau avant de projeter, en décembre 2019, de créer sa propre activité de soutien aux personnes âgées, projet d'activité se plaçant en concurrence directe avec celle du franchiseur. Apprenant l’existence de ce projet avéré du franchisé, concrétisé par des actes préparatoires, de créer une activité concurrente, le franchiseur lui notifie, le 14 février 2020, la résiliation du contrat et le poursuit en indemnisation de son préjudice. La cour d’appel rejette sa demande au motif qu'il n'était pas démontré que l'activité concurrente du franchisé était effective au moment de la notification de la résiliation du contrat, ce dont elle déduit l'absence de violation par le franchisé de son obligation de non-concurrence. Devant la Cour de cassation, le franchiseur invoque la violation de la clause de non-concurrence par son débiteur, peu important que la nouvelle activité de ce dernier n’ait pas effectivement débuté à la date de résiliation du contrat ; selon le demandeur, le seul constat d'un projet certain et matérialisé par des actes préparatoires de créer une activité concurrente constitue un manquement contractuel à l’obligation de non-concurrence ; il soutient en outre que même à supposer l’obligation de non-concurrence respectée, le simple fait pour le franchisé de préparer une activité concurrente est contraire à la bonne foi et à la loyauté contractuelles. À la question de savoir si le franchisé qui prépare un projet d’activité concurrente viole son obligation de non-concurrence et/ou son obligation de bonne foi et de loyauté contractuelle, la chambre commerciale répond par la négative :  « le franchisé peut, sans violer la clause de non-concurrence stipulée au contrat de franchise ni les obligations de loyauté et de bonne foi contractuelles, accomplir des actes préparatoires à une activité concurrente de celle du franchiseur, à condition que cette activité ne débute effectivement qu'après l'expiration du contrat de franchise et de son engagement de non-concurrence ». La seule condition posée à la possibilité reconnue au franchisé de créer une activité concurrente tient donc à la durée de vie du contrat : tant que l’activité projetée n’a pas été exercée de manière effective jusqu’à la terminaison du contrat, le grief tiré de la violation de la clause de non-concurrence doit être écarté. 

De façon générale, les conditions de validité de la clause de non-concurrence, qui s’apprécient à la date de sa conclusion, ont été définies en considération des intérêts de son créancier comme des droits et libertés de son débiteur : ainsi doivent-elles être à la fois indispensables à la protection des intérêts légitimes de son bénéficiaire et préserver la liberté d’entreprendre de son souscripteur, en lui laissant la possibilité de continuer à exercer son activité professionnelle. En droit du travail, elle doit en outre comporter une contrepartie financière. Les deux premières conditions de validité de la clause de non-concurrence s’apprécient à l’aune du critère de proportionnalité. Dans le franchisage, la clause de non-concurrence a généralement pour objet de limiter l’exercice par le franchisé d’une activité similaire ou analogue à celle du réseau qu’il quitte, ou de restreindre sa liberté de s’affilier à un réseau concurrent. En tout état de cause, cet engagement de non-concurrence se trouve justifié par l’intérêt légitime du créancier de protéger la clientèle du réseau. Pour sauvegarder la liberté d’entreprendre tout aussi légitime de son débiteur, la clause de non-concurrence ou de non-réaffiliation ne doit cependant pas conduire, dans sa mise en œuvre, à empêcher l’intégration du franchisé au sein d’un autre réseau ou la poursuite indépendante de son activité. Dans cette perspective, le critère de proportionnalité utilisé suppose de soumettre la clause de non-concurrence à un arbitrage entre la légitimité de l’intérêt du franchiseur (voir sa clientèle protégée) et la protection de la liberté économique du débiteur (liberté d’entreprendre et de poursuivre son activité). Au cas d’espèce, la liberté du franchisé de maintenir son activité devait prévaloir sur l’intérêt du franchiseur de sauvegarder sa clientèle, qui n’était pas actuellement et directement menacé dès lors que l’activité concurrente envisagée par le franchisé était seulement en voie d’être constituée. Là résidait la singularité de cette affaire : la violation de la clause de non-concurrence n’était pas actuelle mais future. Le franchisé avait certes le projet de créer une activité concurrente, mais ce projet n’avait pas encore été mis en œuvre. Autrement dit, la conclusion d’actes préparatoires rendait le projet réaliste, mais non effectif. Or seul l’exercice effectif d’une activité concurrente en méconnaissance de la clause stipulée au contrat de franchise aurait permis au franchiseur de voir sa demande prospérer au nom de la défense légitime de ses intérêts, soit sur le terrain de l’obligation de non-concurrence, soit sur le terrain de la bonne foi et de la loyauté contractuelles.

Au nom du principe de proportionnalité, il n’était donc pas question d’empêcher le franchisé de préparer sa reconversion pour ménager les intérêts, légitimes mais non encore lésés, du franchiseur. Pour cette raison, la solution pose le principe selon lequel le seul fait de préparer un projet d’activité concurrente en cours d’exécution du contrat ne permet pas de caractériser une violation par le franchisé de son obligation de non-concurrence. En l’espèce, le projet de création d’une activité concurrente n’ayant pas encore abouti à la date de la résolution contractuelle, le grief tiré de la violation de la clause de non-concurrence alors que le contrat n’avait pas encore expiré est en conséquence écarté. Le raisonnement doit être approuvé dès lors que la solution inverse conduirait à admettre la violation d’une clause de non-concurrence « par anticipation », hypothèse incompatible avec la nécessité d’une atteinte actuelle et effective à l’interdiction de faire concurrence à son partenaire commercial.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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