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[ 15 juin 2016 ] Imprimer

Contrats spéciaux

Contrat de louage d’ouvrage et mandat apparent

Mots-clefs : Contrat de louage d’ouvrage, Théorie de l’apparence, Mandat apparent, Critères, Appréciation

Dès lors que le maître d’ouvrage a approuvé, même tacitement, les commandes supplémentaires demandées par son maître d’œuvre, lesquelles ne concernaient que des ajustements et des modifications subsidiaires apportées à une première commande, le tiers, même professionnel, pouvait légitimement croire que le maître d’œuvre était valablement mandaté par le maître d’ouvrage pour celles-ci en sorte qu’un mandat apparent existait entre le maître d’ouvrage et son maître d’œuvre, obligeant le premier au règlement de la facture correspondante.

Un particulier avait confié à un architecte la construction d'une maison, dont les murs de façade devaient être revêtus de pierre par une société spécialisée, et avait accepté le devis établi par cette société. L’architecte avait ensuite sollicité un nouveau devis, d'un montant légèrement inférieur en ce qu’il n’avait pour but que d’apporter quelques modifications à l’ouvrage. Ce nouveau devis ayant été accepté, les pierres fournies avaient fait l'objet d'une facture, visée par l’architecte avec la mention « bon pour accord », que le maître d’ouvrage refusa de payer. En appel, les juges le condamnèrent au règlement de la facture. Le maître d’ouvrage forma un pourvoi en cassation, rejeté par la Cour qui relève que dans la mesure où il avait approuvé la commande passée par son maître d'œuvre et que le second devis ne concernait que des ajustements et des modifications apportées à cette commande, la cour d'appel avait pu en déduire que le fournisseur de pierres pouvait légitimement considérer que l'architecte avait été valablement mandaté par le maître d'ouvrage pour commander ces matériaux et que ces circonstances l'autorisaient à ne pas vérifier les limites exactes des pouvoirs de l’architecte. 

Création prétorienne, le mandat apparent consiste à autoriser un tiers, lorsqu'il a légitimement pu croire en raison des circonstances de la conclusion du contrat, qu'il traitait avec le mandataire d'une personne, à invoquer les règles du mandat. Pour caractériser l’existence d’un mandat apparent, les juges doivent pouvoir constater que le tiers a cru, en toute bonne foi, traiter avec un véritable mandataire. Autrement dit, le mandat apparent ne peut résulter que de la croyance légitime du tiers au pouvoir de représentation de son interlocuteur. Il convient donc d’établir que les circonstances dans lesquelles le tiers a conclu le contrat étaient telles qu'il a pu se dispenser de vérifier l'existence du pouvoir du mandataire apparent. 

Dans cette perspective, sont prises en compte à la fois la situation et la qualité (profane ou professionnelle) du mandataire apparent, du tiers, ainsi que la nature de l'acte (l’appréciation étant, par exemple, plus rigoureuse pour les actes de disposition). A défaut d’éléments susceptibles de justifier la croyance légitime du tiers, la cassation est encourue pour manque de base légale. Elle est en l’occurrence évitée, ce qui n’allait pas de soi dès lors qu’il aurait été possible d’avancer que le contrat de louage d’ouvrage ne confère pas au maître d’œuvre le mandat de représenter le maître de l’ouvrage et qu’en outre, le tiers, fournisseur professionnel, ne pouvait légitimement l’ignorer. En effet, la qualité du tiers, profane ou professionnel, est souvent déterminante de la légitimité ou non de sa croyance au pouvoir de représentation du mandataire apparent. 

Cependant, en l’espèce, en dépit de la qualité de professionnel du fournisseur de pierres, l’existence d’un mandat apparent entre le maître de l’ouvrage et son maître d’œuvre a pu être caractérisé en raison d’autres circonstances, notamment de celle liée à la mission de l’architecte de procéder à des commandes rectificatives, ce que les juges estiment être une pratique courante et non une simple faculté ne pouvant exister qu’à la condition qu’elle ait été accordée par pouvoir spécial du maître de l’ouvrage, de telle sorte que la seule qualité de maître d’œuvre du pseudo mandataire autorisait la société fournisseuse, même professionnelle, à ne pas vérifier ses pouvoirs. La circonstance selon laquelle seul le premier devis avait été expressément approuvé par le maître d’ouvrage, qui y avait apposé son cachet et sa signature, n’a pas davantage été jugée suffisante pour rendre illégitime l’absence de vérifications, par le fournisseur de pierres, des pouvoirs réels du maître d’œuvre, d’autant plus que le maître d’ouvrage ne discutait pas avoir commandé les pierres litigieuses à l’architecte, ni protesté lors de leur livraison pas plus qu’au moment de la réalisation des travaux, ce qui permettait d’établir qu’il avait implicitement admis le bienfondé de l’achat des pierres litigieuses et donné son consentement tacite à leur utilisation telle que le second devis l’avait établi. Par conséquent, le maître d’ouvrage, pseudo mandant, devait être condamné au règlement de la facture restant due (Cass., ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.569). C’est en effet le but même de la théorie de l’apparence que d’obliger le pseudo-mandant envers le tiers qui a cru légitimement aux pouvoirs du mandataire apparent. L’acte effectué sans pouvoir ou par le biais d’un dépassement de pouvoirs produira donc les mêmes effets que s’il procédait d’un mandat réel. Le tiers est donc en droit d’exiger du pseudo-mandant l’exécution de l’acte comme s’il avait été conclu par un véritable mandant. 

Ainsi, en l’espèce, la condamnation à payer la facture née des commandes supplémentaires qu’exigeait la bonne réalisation des travaux incombait non pas à l’architecte, mandataire apparent, mais au maître d’ouvrage, pseudo-mandant. 

Civ. 3e, 19 mai 2016, n° 15-16.860

Référence

■ Cass., ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.569 P.

 

Auteur :M. H

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