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Droit des obligations
Contrat d’enseignement : la clause de résiliation unilatérale n’échappe pas au contrôle du juge
Même en l’absence de déséquilibre significatif, l'application par les parties de la clause d'un contrat d'enseignement prévoyant une faculté de résiliation unilatérale en cas de motif légitime et impérieux invoqué par l'élève et apprécié par la direction de l'école, n'échappe pas, en cas de litige, au contrôle du juge.
Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 21-23.233
L’actualité politique vient de nous le rappeler : nombreux sont les élèves scolarisés dans des écoles privées, que ce soit dans le secondaire ou dans l’enseignement supérieur. En intégrant l’établissement, l’élève doit alors signer un contrat d’enseignement avec l’établissement et s’acquitter des frais de scolarité, qui sont souvent élevés. La plupart du temps, l’établissement permet alors de s’acquitter immédiatement de l’intégralité des droits d’inscription ou d’en échelonner le paiement. Toutefois, il est très fréquent que l’établissement insère une clause contractuelle qui stipule que le prix total de la scolarité est un forfait intégralement acquis à l’école dès la signature du contrat. En application de cette clause, l’élève devra s’acquitter de la totalité de la somme même si, contraint d’interrompre sa scolarité en cours d’année pour des raisons échappant à sa volonté (déménagement, état de santé), il ne pourra bénéficier de l’intégralité des cours dispensés sur l’année. Ce type de clause stipulée dans les contrats d’enseignement fait l’objet depuis longtemps d’une « chasse à l’abus ». Non seulement une telle clause sera considérée comme abusive si elle ne prévoit pas une faculté de résiliation avec dispense de payer le forfait en cas de force majeure mais pour être licite, elle doit prévoir la même dispense en cas de motif « légitime et impérieux », qui, sans rendre impossible l’exécution de l’obligation, doit conduire à en dispenser le débiteur. (Civ. 1re, 13 déc. 2012, n° 11-27766, DAE, 16 janvier 2013, note Merryl Hervieu ; adde, Civ. 1re, 11 janv. 2023, n° 21-16.859). Ainsi, la validité de la clause de résiliation unilatérale stipulée dans un contrat d’enseignement exige de limiter l’indemnité due par l’élève en cas de rupture justifiée, et ce sans opérer de distinction entre le cas de force majeure et l’existence d’un motif légitime et impérieux. Ce point est désormais acquis. Dans la décision rapportée, la Cour de cassation apporte une précision supplémentaire concernant le contrôle des motifs invoqués par l’élève. Elle affirme en effet que la clause du contrat conférant au directeur d’établissement une souveraineté d’appréciation du caractère impérieux et légitime du motif avancé par l’élève n’évince pas, en cas de litige, le contrôle du juge.
En l’espèce, le 12 juin 2020, une mineure assistée par son père avait conclu un contrat d'enseignement de deux ans pour suivre une formation devant débuter en septembre 2020, moyennant des frais de scolarité de 4 900 euros par an. Une partie du prix du contrat avait été versée lors de son inscription, puis une autre au moment de la rentrée. Une clause du contrat prévoyait la possibilité pour l'élève de solliciter la résiliation de son contrat en cas de force majeure ou de motif légitime et impérieux. La stipulation ajoutait que cette demande ferait l'objet d'un examen par le directeur de l’établissement, auquel était ainsi conféré un pouvoir de contrôle des motifs invoqués par l’élève. Par lettre du 28 septembre 2020, les cocontractants de l’établissement scolaire avaient, à l’appui de cette clause, sollicité la résiliation du contrat. L'école s'y était opposée et avait obtenu une ordonnance d'injonction de payer la somme de 3 250 euros au titre du solde des frais de scolarité. Un tribunal déclara recevable et bien fondée l’opposition à cette injonction de payer qu’avaient formée l’élève et son père. Devant la Cour de cassation, l’établissement faisait grief à ce jugement rendu en dernier ressort d’avoir substitué sa propre appréciation du motif invoqué par l’élève à celle, expressément réservée par contrat, à la direction de l’école. Ainsi, le demandeur au pourvoi faisait valoir que le juge n’avait pas le pouvoir, qu’il était seul à détenir, de contrôler les motifs invoqués par l’élève, cet élément n’ayant pas, de surcroît, été considéré comme source d’un déséquilibre significatif entre les parties par le tribunal. Ce moyen tiré d’une violation de l’article 1103 du Code civil est sèchement balayé par la Cour, qui juge que la clause litigieuse conférant à la direction de l’école un pouvoir d’appréciation des motifs invoqués par l’auteur de la résiliation ne peut être interprété comme excluant, en cas de litige, le contrôle du juge. Or de son examen des éléments versés aux débats, le tribunal a estimé qu'était caractérisée l'existence d'un motif légitime et impérieux justifiant la résiliation du contrat sans obligation de payer le solde du prix de scolarité.
Pourchassant depuis longtemps l’abus dans les contrats de scolarité, la Cour de cassation continue ainsi de protéger les intérêts des élèves face aux pratiques contractuelles abusives de certains établissements privés. Il est toutefois important d’observer qu’en l’espèce, le caractère abusif de la clause litigieuse ayant été écarté en première instance, le débat s’est concentré sur la clause de résiliation unilatérale. La thèse du pourvoi reposait sur deux règles fondatrices du droit commun contractuel, la force obligatoire du contrat et le principe subséquent de non-immixtion judiciaire dans le contrat. Dès lors, en l’absence de déséquilibre significatif, le juge se trouverait lié par la clause stipulée par les parties, réservant au seul directeur d’établissement le pouvoir de contrôler la légitimité des motifs invoqués. C’est ce point, incompatible avec l’office du juge du contrat, qui justifie la cassation. Il va de soi que le rôle du juge consiste précisément à apprécier les conditions de mise en œuvre d’un contrat, ou de l’une de ses clauses, lorsque ce dernier donne naissance à un litige entre les parties. Autrement dit, ce n’est qu’en cas d’accord des parties sur la mise en application de la clause qu’une immixtion du juge dans le contrat aurait pu en l’espèce être dénoncée. Mais dans le cas présent d’un conflit né de sa mise en œuvre, le juge restait dans son rôle en se contentant d’appliquer les termes du contrat. Partant, dans la mesure où la mise en œuvre d’une prérogative contractuelle (ici, la résiliation unilatérale du contrat) ne rencontre pas l’accord des parties, le contrôle du juge s’impose et ne peut, en aucune circonstance, être conventionnellement écarté.
Enfin, cette solution confortant le rôle du juge en droit des contrats s’harmonise parfaitement avec l’office du juge en matière de clauses abusives, qui ne cesse de se renforcer depuis le célèbre arrêt Pannon, ayant consacré l’obligation du juge d’examiner d’office le caractère abusif de toute clause contractuelle ((CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08 : « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. »), la solution ayant ensuite été étendue à toutes les dispositions protégeant le consommateur de manière générale (CJUE, 5 mars 2020, aff. C-679/18). Dans ces conditions (v. aussi, en droit interne, Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758 ; Com. 8 févr. 2023, n° 21-17.763), on voit difficilement comment la loi des parties aurait pu justifier, en l’espèce, d’évincer le contrôle judiciaire des conditions et des effets d’une clause de résiliation unilatérale. Même si, en l’absence de déséquilibre significatif, la stipulation n’est pas réputée non écrite, le juge du contrat entend néanmoins protéger les intérêts de la partie faible au contrat en exerçant un contrôle sur la mise en œuvre de la clause. Cette dualité de contrôles fondée sur la porosité de la théorie générale du contrat et du droit spécial de la consommation est bienvenue : en amont, l’équilibre de la stipulation est apprécié sur le terrain du droit des clauses abusives puis en aval, l’exécution de cette même stipulation est encadrée par le juge du contrat. Ce renforcement de l’office du juge est d’autant plus salutaire que l’abus d’une clause naît précisément, parfois, de sa mise en application (v. CJUE, 9 nov. 2023, aff. C-598/21).
Références :
■ Civ. 1re, 13 déc. 2012, n° 11-27.766 : DAE, 16 janvier 2013, note Merryl Hervieu, D. 2013. 818, note P. Lemay ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
■ Civ. 1re, 11 janv. 2023, n° 21-16.859
■ CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08 : D. 2009. 2312, note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais
■ CJUE, 5 mars 2020, aff. C-679/18 : D. 2020. 537 ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; ibid. 35, chron. K. De La Asuncion Planes
■ Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758 : D. 2021. 1920 ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
■ Com. 8 févr. 2023, n° 21-17.763 : D. 2023. 293 ; ibid. 1430, chron. S. Barbot et C. Bellino ; ibid. 1715, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; RTD civ. 2023. 730, obs. N. Cayrol ; RTD com. 2023. 449, obs. A. Martin-Serf
■ CJUE, 9 nov. 2023, aff. C-598/21 : D. 2023. 2004
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