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Droit des obligations
Contrat d’entreprise : précisions sur les conditions de la réception judiciaire de l’ouvrage
Indépendamment de la volonté du maître de l’ouvrage, la réception judiciaire est prononcée à la date à laquelle l’ouvrage est en état d’être reçu, ce qui suppose de constater l’absence de désordres affectant la solidité de l’immeuble.
Civ. 3e, 16 janv. 2025, n° 23-14.407
En principe extrajudiciaire, la réception est l'acte juridique unilatéral par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter, avec ou sans réserves, l'ouvrage réalisé par l’entrepreneur. De préférence expresse, la réception peut également être tacite. Cependant, dans certains cas, non seulement une réception expresse n’a pu intervenir, mais les conditions d’une réception tacite ne peuvent être davantage réunies. Dans ces cas-là, le recours au juge s’impose. La réception judiciaire des travaux est, pour cette raison, expressément réservée par la loi (art. 1792-6). En effet, la réception est non seulement un droit pour le maître de l’ouvrage de vérifier la bonne exécution des travaux, mais également et surtout une obligation lui incombant et susceptible, le cas échéant, d’être prononcée judiciairement à la demande de l’entrepreneur. Or la réception judiciaire obéit à un régime propre qui la distingue des autres modes de réception de l’ouvrage, ce qui explique que la volonté certaine du maître de l’ouvrage de ne pas le recevoir, incompatible avec une réception expresse comme tacite de l’ouvrage, soit ignorée dans le cadre d’une réception judiciaire, qui prend les traits d’une réception forcée pour le prononcé de laquelle la preuve que les travaux sont en l'état d'être reçus suffit. Tels sont les enseignements apportés par la présente décision sur un mode (judiciaire) de réception de l’ouvrage rarement abordé en jurisprudence.
Au cas d’espèce, un maître d’ouvrage confie à un constructeur la conception, la fabrication et la fourniture de la charpente de sa maison. Après la pose de la charpente, des désordres rendant impossible la pose de la toiture apparaissent. L’entreprise propose alors une reprise d’œuvre, ce que le maître de l’ouvrage refuse. Après expertise, l’entrepreneur demande la résolution du contrat d’entreprise ainsi que le prononcé de la réception judiciaire de la charpente. En cause d’appel, les juges accueillent sa demande en prononçant la réception de l’ouvrage, assortie de certaines réserves qui, classiquement, confèrent au maître de l’ouvrage le droit d’exiger la mise en conformité de l’ouvrage avec le devis établi ou de réclamer une réduction du prix. Toutefois, compte tenu de l’ampleur des désordres constatés à la date de la réception choisie, la décision des juges du fond est censurée au visa de l’article de 1792-6, la Cour de cassation rappelant qu’en application de ce texte, le prononcé de la réception judiciaire suppose de démontrer que l’ouvrage est en l’état d’être reçu. Une jurisprudence constante fait en effet dépendre la date de la réception judiciaire de celle à laquelle l'ouvrage est en état d'être reçu, ce qui suppose de constater son achèvement ou son habitabilité (v. not. Civ. 3e, 21 janv. 2016, n° 14-23.393). Le constat de désordres ou d’inachèvements n’est pas un obstacle à son prononcé sauf à constater, comme en l’espèce, la persistance de désordres ou de défauts de conformité rendant l'ouvrage impropre à sa destination (Civ. 3e, 26 janv. 2010, n° 08-70.220. Civ. 3e, 12 oct. 2017, n° 15-27.802). Dans un arrêt remarqué, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi subordonné la réception judiciaire de l’ouvrage à l'absence de désordres affectant la solidité et la viabilité de l'immeuble (Civ. 3e, 11 janv. 2012, n° 10-26.898, pour des défauts expertisés sur l’immeuble compromettant "non seulement sa destination [...] mais également sa pérennité"). L'arrêt commenté vient confirmer cette jurisprudence : en l’espèce, la Cour juge que les désordres affectant la solidité de la charpente étaient tels qu’il n’était pas admissible de considérer que l’ouvrage était, à la date retenue par les juges d’appel, en l’état d’être reçu.
À noter en revanche que l’exclusion de la réception n’est aucunement motivée par la volonté non-équivoque du maître de l’ouvrage de ne pas recevoir les travaux. Si celle-ci se présente comme un obstacle traditionnel à la réception tacite (v. not. Civ. 3e, 13 juill. 2016, n° 15-17.208), elle est au contraire, dans le cadre de la réception judiciaire, indifférente. Ce qui permet de souligner la différence de la réception judiciaire avec la demande en constatation judiciaire de la réception tacite, souvent confondues : la réception judiciaire permet d’acter une réception qui n'a jamais eu lieu tandis que la réception tacite tend autrement à faire constater par le juge une réception déjà intervenue, tacitement, entre les parties. Dès lors que la réception judiciaire prend ainsi la forme d’un accord forcé par le juge entre l'entreprise et le maître d'ouvrage, le refus même exprès du maître d'ouvrage de ne pas recevoir l’ouvrage ne peut avoir de rôle à jouer dans sa décision. Sa volonté étant volontairement ignorée, le juge ne peut en définitive s'appuyer que sur des éléments objectifs. C’est pourquoi la notion abstraite d’ « ouvrage en l’état d’être reçu », qui se confond souvent avec son habitabilité, est devenue le critère déterminant de son prononcé. À l'approche subjective de la réception tacite s'oppose ainsi l'approche objective de la réception judiciaire.
Références :
■ Civ. 3e, 21 janv. 2016, n° 14-23.393
■ Civ. 3e, 26 janv. 2010, n° 08-70.220
■ Civ. 3e, 12 oct. 2017, n° 15-27.802 : D. 2017. 2099 ; RDI 2018. 31, obs. B. Boubli
■ Civ. 3e 11 janv. 2012, n° 10-26.898 : RDI 2012. 163, obs. J.-P. Tricoire
■ Civ. 3e, 13 juill. 2016, n° 15-17.208 : D. 2016. 1649 ; RDI 2016. 647, obs. B. Boubli
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