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Droit des obligations
Contrat d’entreprise : une notion générique mais spécifique
Caractérisant un prêt de main-d’œuvre, le contrat passé verbalement portant sur la mise à disposition de personnel et de moyens ne peut être qualifié de contrat de louage d'ouvrage au sens des articles 1779 et 1787 du Code civil.
Civ. 3e, 12 mai 2021, n° 20-14.902
Une société d'architecture était intervenue, sans qu'un contrat ne fût formalisé, dans la construction d'un casino. Celle-ci était détenue par une société commerciale qui, elle-même avec le maître de l’ouvrage (une SCI), dépendait d’une société holding.
Se plaignant, après réception de l’ouvrage, de remontées d'eau dans les sous-sols de l'immeuble, le maître de l’ouvrage avait assigné, après expertise, la société d'architecture et son assureur en responsabilité décennale applicable aux constructeurs aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
En appel, l’action du maître de l’ouvrage fut rejetée au motif qu’il n’était pas lié à la société d'architecture par un contrat de louage d'ouvrage.
La SCI forma un pourvoi en cassation fondé sur la qualification de louage d’ouvrage du contrat ici en cause consistant, pour une entreprise de construction, à mettre à disposition de sa cliente à la fois du personnel et du matériel contre rémunération, en vue de mener à bien une construction pour le compte de cette même cliente, peu important l’immixtion du maître de l’ouvrage dans la direction des travaux, laquelle n’est pas de nature à affecter la qualification du contrat.
Son pourvoi est rejeté par la Cour : les différentes factures produites par la société d’architecture portaient expressément sur la mise à disposition de personnel et de matériel, et par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, la cour d'appel a pu retenir des lettres du prétendu maître d'ouvrage, que leur ambiguïté rendait nécessaire, qu'il admettait que la société commerciale détenant la société d'architecture intervenait sur le chantier pour la mise à disposition de main d'œuvre et de fournitures, et non pour un louage d'ouvrage, qui suppose « l’exécution d’une obligation de faire avec fourniture du matière », en l’espèce inexistante. Les juges du fond en ont déduit que le contrat n'était pas un contrat de louage d'ouvrage au sens des articles 1779 et 1787 du Code civil, et la Cour de cassation juge en conséquence le moyen du demandeur non fondé.
Ainsi la Cour de cassation approuve-t-elle la qualification retenue par les juges du fond ayant souverainement apprécié, au vu de la valeur et la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis, que le contrat passé verbalement entre la SCI et la société d'architecture ne portait pas sur l'exécution d'une obligation de faire avec fourniture de matière, qui aurait justifié la qualification de contrat d’entreprise (C. civ., art. 1787), mais sur la mise à disposition de personnel et de moyens.
En effet, la société d'architecture s’était bornée à mettre à la disposition de la SCI des membres de son personnel ainsi que du matériel ; ces prestations étaient facturées selon un pointage des heures passées par la main-d’œuvre fournie par la société d'architecture et par le remboursement des fournitures engagées. Or, dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage (C. civ., art. 1787), la personne physique ou morale s’oblige à exécuter un ouvrage ou à réaliser une prestation déterminée, de façon indépendante, conformément à un résultat convenu et un prix déterminé. En l’absence de ces éléments constitutifs, la qualification de contrat de louage d’ouvrage ne peut être retenue.
Défini à l’article 1710 du Code civil comme le « contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles », le louage d’ouvrage (aujourd’hui appelé contrat d’entreprise) a, depuis sa codification en 1804, vocation à régir toutes les opérations contractuelles donnant naissance à une obligation de faire rémunérée. Pour affiner cette notion largement « accueillante » (« faire quelque chose ») qu’exprime sa dimension « supra-catégorique » (v. P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, HyperCours, 8e éd., n° 803), la spécificité du contrat d’entreprise doit être recherchée hors de la lettre du Code civil (consacré à l’article 1165 issu de la réforme de 2016, qui fonde la catégorie des contrats de prestation de services), dans l’ancienne distinction romaine entre les obligations de praestare et de facere.
À la différence du vendeur qui se borne à transmettre une valeur préexistante, l’entrepreneur, en « faisant » le travail commandé, crée la valeur qu’il destine à son cocontractant. L’opposition avec la vente se dessine : celle-ci constitue un instrument de circulation des richesses tandis que l’entreprise se présente comme un instrument de création de richesses nouvelles. Le vendeur transfère une valeur existante (praestere) alors que l’entrepreneur crée, par son activité, une valeur nouvelle (facere). Il s’ensuit que cette obligation de facere est caractéristique du contrat d’entreprise, dont l’objet ne peut résider que dans la fourniture d’un travail à accomplir, que celui-ci porte sur un service ou sur un ouvrage à réaliser (P. Puig, op.cit., n° 809).
Malgré l’identification de son obligation caractéristique, la définition précitée du contrat d’entreprise est souvent critiquée au motif qu’elle serait trop large et n’offrirait pas une précision suffisante pour le distinguer d’autres contrats spéciaux. Cette critique est en partie fondée. Que la définition du contrat d’entreprise ne contienne pas tous les éléments permettant de le distinguer de contrats voisins comme les contrats de mandat, de travail, de dépôt ou de prêt, n’est pas problématique en soi : il suffit de consulter la définition propre à chacun de ces services spéciaux pour saisir leur distinction avec le contrat d’entreprise. Le souci de précision notionnelle inhérent à toute entreprise de qualification contractuelle invite toutefois à compléter la définition légale du contrat d’entreprise par l’exclusion des éléments caractéristiques des contrats plus spéciaux précités qui découlent de lui. Ainsi présente-t-on généralement le contrat d’entreprise comme la convention par laquelle une personne en charge une autre d’effectuer un travail moyennant rémunération, sans représentation (différence avec le mandat) et à titre indépendant (différence avec le contrat de travail). Mais il conviendrait encore, pour aller au bout de la logique, d’ajouter que le travail ne doit pas davantage porter à titre principal sur la garde d’une chose (différence avec le dépôt), ni consister à déplacer des personnes ou des choses (différence avec le contrat de transport), qui se présentent comme des espèces particulières de contrats d’entreprise mais qui s’en distinguent, tantôt par la nature de la prestation (représentation dans le mandat par exemple), tantôt par les modalités particulières d’exécution de la prestation (lien de subordination dans le contrat de travail). À chaque fois, pourtant, il s’agit d’une personne qui s’engage à faire quelque chose pour une autre moyennant rémunération, selon les termes généraux de l’article 1710 du Code civil. De ce point de vue, le contrat d’entreprise n’est donc pas un contrat spécial comme un autre. Il ne s’oppose pas aux autres contrats de services comme il se distingue, par exemple, de la vente. Il les englobe.
Ainsi le contrat d’entreprise se présente-t-il comme la catégorie contractuelle générique des contrats de prestation de services mais dont la spécificité des règles applicables à chacun de ces sous-contrats d’entreprise, qui donne ainsi sa raison d’être au droit des contrats spéciaux, explique qu’ils ne se confondent avec le contrat d’entreprise qui, quoiqu’il fonde leur existence, constitue une notion autonome. Pour le démarquer de ces conventions particulières, la qualification du contrat d’entreprise s’opère donc soit par référence à la nature de la prestation, soit par référence aux modalités d’exécution du travail.
En l’espèce, l’opération de qualification reposa sur la nature de la prestation, le moyen tiré des modalités d’exécution (lien de subordination ou rapport d’indépendance entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur) ayant été jugé surabondant par la Cour. En effet, la simple inexistence de l’obligation de facere inhérente au contrat d’entreprise suffisait à justifier que le contrat litigieux ne soit pas ainsi qualifié. Ainsi la décision rapportée confirme-t-elle que l’exigence d’un travail à accomplir suppose d’exclure du domaine de l’entreprise les opérations tendant à la seule transmission d’une valeur préexistante comme, en l’espèce, un prêt de matériel et de personnel. Le contenu du contrat consistait donc en un prêt de main-d’œuvre, autre type de contrat spécial, dont l’objet se distinguait à l’évidence de celui du contrat d’entreprise, ne consistant pas en une obligation de fournir un travail et la matière nécessaire à son exécution, mais dans la fourniture de moyens et de personnel par la société d’architecture qui avait ainsi conclu avec son client un prêt de main-d’œuvre insusceptible, faute d’obligation de facere, d’intégrer la catégorie plus large du contrat d’entreprise, dont la qualification s’est vue à juste titre exclue.
Référence
■ Fiches d’orientation Dalloz : Contrat d’entreprise
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