Actualité > À la une
À la une
Procédure pénale
Contrôle de colis et « visite » de personnes : quels pouvoirs pour les agents des douanes ?
Les agents des douanes peuvent contrôler tout colis présent dans les locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express en vue de la recherche d'éventuelles infractions. Par ailleurs, ils peuvent palper les personnes ou fouiller leurs vêtements ou leurs bagages, mais pas procéder à une fouille à corps impliquant le retrait des vêtements, possible en cas de retenue douanière seulement.
Crim. 26 janv. 2022, n° 21-81.170 P
Crim. 26 janv. 2022, n° 21-84.228 P
Par ces deux arrêts du 26 janvier 2022, la Cour de cassation revient sur les pouvoirs de contrôle des colis et de visite des personnes des agents des douanes, respectivement prévus par les articles 66 et 60 du code des douanes.
Dans la première affaire (n° 21-81.170), un individu a été poursuivi pour détention de marchandises contrefaisantes sans document justificatif régulier, importation à des fins commerciales de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante sur un réseau de communication au public en ligne, après que les agents des douanes ont découvert, dans le cadre de leur visite des locaux des sociétés Chronopost et UPS, des colis comprenant des marchandises contrefaisantes (1 640 boxers de la marque Calvin Klein lors d’un premier contrôle, et 600 polos de la marque Hugo Boss lors d’un second).
Faisant droit à une exception de nullité soulevée par le prévenu, le tribunal correctionnel a annulé les procès-verbaux de constat établis par les douanes ainsi que l'ensemble de la procédure subséquente, considérant que ces procès-verbaux ne mentionnaient pas l'existence d'une information préalable permettant d'établir que les locaux des sociétés renfermaient ou étaient susceptibles de renfermer des envois contenant des marchandises relevant d'une infraction au code des douanes. La cour d’appel a cependant infirmé ce jugement, estimant que, dans le cadre de leur action de police administrative, les agents des douanes peuvent, en application de l’article 66 du code des douanes, contrôler tout colis présent dans les locaux des services postaux en vue de la recherche d'éventuelles infractions, sans qu'ils n'aient, avant d'accéder aux locaux, connaissance de la présence d'envois litigieux ou n'aient à caractériser en quoi l'ouverture de tel colis serait nécessaire du fait de tel indice.
Le pouvoir de contrôle prévu à l’article 66 du code des douanes est-il conditionné par l’existence d’un soupçon de commission d’une infraction douanière ? C’est la question qui était ici posée à la chambre criminelle, qui répond par la négative et rejette dès lors le moyen présenté par le prévenu sur le fondement de cette disposition. Le pourvoi en lui-même est cependant accueilli et l’arrêt d’appel cassé sur le terrain du droit de la peine (au triple visa des art. 132-19 et 132-25 C. pén. et 464-2 C. pr. pén.), la cour d’appel n’ayant pas correctement justifié l’impossibilité d’aménager la peine d’emprisonnement ferme (de 18 mois d’emprisonnement dont 6 avec sursis) prononcé contre l’intéressé.
L’article 66 du code des douanes concerne les contrôles douaniers des envois par la poste et il prévoit que, pour la recherche et la constatation des infractions douanières, les agents des douanes ont accès aux locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express où sont susceptibles d'être détenus des envois renfermant ou paraissant renfermer des marchandises et des sommes, titres ou valeurs se rapportant à ces infractions. Le texte, profondément remanié en 2014 dans le sens d’un meilleur encadrement de ce pouvoir de contrôle, prévoit le respect d’heures légales, la présence de l’opérateur contrôlé, la rédaction d’un procès-verbal relatant les opérations de contrôle et l’interdiction de porter atteinte au secret des correspondances, comme le rappelle la chambre criminelle dans son arrêt (§ 10).
La Haute cour y précise ici que « l'article 66 du code des douanes édicte un droit de contrôle général au profit des services des douanes sur tout colis, n'excluant que les lettres contenant des correspondances » (pour la soumission du contrôle des correspondances au régime des perquisitions et visites domiciliaires, v. Crim. 4 mars 1991, n° 90-82.002). Elle déduit cette règle de l’article 66 lui-même, interprété à l’aune des travaux parlementaires de la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon et « des autres dispositions du code des douanes accordant aux agents des douanes un droit de visite général des marchandises, des moyens et des personnes ainsi que des locaux à usage professionnel ». Ainsi, le droit de visite général prévu à l’article 60 du code des douanes vient ici justifier le pouvoir de contrôler les colis, indépendamment de l’existence d’un indice de commission d’une infraction.
De ce droit de visite général, « forme la plus ostensible de l'activité des agents des douanes » (v. Rép. pén. Dalloz, vo Douanes, par C.-J. Berr, n° 140), il en était justement question dans la deuxième affaire (n° 21-84.228). Contrôlé par des agents des douanes à la descente d’un train, un individu a été trouvé porteur, à la suite d'une palpation, d'une somme de 100 000 euros en billets de 500 euros, cachés dans son entrejambe, outre celle de 1 160 euros se trouvant dans une sacoche. Une fois transféré dans les locaux des douanes, il a été soumis à une fouille qui s’est révélée négative, placé en retenue douanière puis en garde à vue pour blanchiment douanier et blanchiment de droit commun. Mis en examen pour blanchiment en bande organisée, il a sollicité l’annulation de la rétention douanière à défaut de flagrant délit douanier puni d’un an d’emprisonnement, et de la fouille à corps dont il avait fait l’objet. La chambre de l’instruction refusa l’annulation.
Par son arrêt, la chambre criminelle casse et annule cette décision, accueillant le pourvoi en ses deux moyens.
Sur la rétention douanière, la chambre criminelle relève que les juges ont retenu que les conditions matérielles de transport de l’argent pouvaient légitimement ne pas paraître obéir à d’autres motifs que de dissimuler le fait que les fonds provenaient d’un délit prévu par le code des douanes ; et qu’un élément d’extranéité pouvait tout aussi légitimement être envisagé à ce stade de la procédure, au regard de la localisation de la gare de provenance de l’individu, près de la frontière espagnole.
Statuant au visa des articles 323-1 (conditions de la rétention douanière), 415 (définition du délit de blanchiment douanier) et 415-1 (présomption d’origine illicite des fonds dans certaines conditions d’exportation, d’exportation, de transfert ou de compensation) du code des douanes, la Haute cour estime que « les juges ne pouvaient déduire l’existence d’un flagrant délit de blanchiment douanier des seules conditions de transport des sommes d’argent découvertes en possession de la personne contrôlée, sans relever au préalable la présence d’indices permettant de présumer la réalisation d’une opération financière avec l’étranger », et que « les seuls faits relevés […], qui ne permettent pas de caractériser une telle opération, ne pouvaient révéler l’existence d’un flagrant délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement ». Dans de telles conditions, une rétention douanière (qui suppose un flagrant délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement et que la mesure soit justifiée par les nécessités de l’enquête douanière, art. 323-1 C. douanes) ne pouvait être légalement mise en œuvre.
Sur la « visite à corps » subie par l’intéressé dans les locaux des douanes, préalablement à son placement (illégal) en rétention, la chambre criminelle note que celle-ci s’est déroulée « dans un local prévu à cet effet, offrant toutes les garanties de discrétion, d’hygiène et de sécurité », mais que « les agents des douanes ont procédé à une fouille à corps, dépassant les prérogatives dont ils bénéficient dans le cadre d'un contrôle fondé sur l'article 60 du code des douanes, alors que la personne concernée ne se trouvait pas en retenue douanière ».
L’article 60 du code des douanes, on l’a vu, confère aux agents des douanes un pouvoir général de procéder à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes, pour l’application des dispositions du code, en vue de la recherche de la fraude. Sur son fondement, les agents des douanes peuvent par exemple procéder à la visite d’un sac à main d’une personne qui franchit la frontière (Crim. 26 févr. 1990, n° 87-84.475), et même fouiller les vêtements portés par une personne soupçonnée d’avoir commis une fraude (Crim. 22 févr. 2006, n° 04-87.027). En revanche, s’ils peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée (Crim. 18 mars 2020, n° 19-84.372), pas plus – et c’est l’apport du présent arrêt – que d’un pouvoir de fouiller à corps cette même personne.
Ainsi la chambre criminelle énonce, au visa des articles 60 et 323-7 du code des douanes notamment, que « la visite des personnes à laquelle les agents des douanes peuvent procéder en application du premier [de ces textes], qui peut consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements et de leurs bagages, ne saurait inclure une fouille à corps, impliquant le retrait des vêtements, qui ne peut être mise en œuvre, aux termes du second, qu'en cas de retenue douanière ». Dans le régime de la retenue douanière, aujourd’hui calqué sur celui de la garde à vue, l’article 323-7 du code des douanes dispose que « les articles 63-5 et 63-6 et le premier alinéa de l'article 63-7 du code de procédure pénale sont applicables », la fouille intégrale étant visée aux articles 63-6 et 63-7.
Références :
■ Crim. 4 mars 1991, n° 90-82.002 P, Gaz. Pal. 29-30 mai 1992, obs. Pannier.
■ Crim. 26 févr. 1990, n° 87-84.475 P, D. 1991. 171, obs. J. Pannier ; RSC 1991. 96, obs. J. Beaume.
■ Crim. 22 févr. 2006, n° 04-87.027 P, Gaz. Pal. 2006. 1323, obs. A. C ; AJ pénal 2006. 219 ; RTD com. 2006. 684, obs. B. Bouloc.
■ Crim. 18 mars 2020, n° 19-84.372 P, D. actu. 20 mai 2020, obs. Fonteix ; RSC 2020. 666, obs. S. Detraz.
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une