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[ 14 juin 2018 ] Imprimer

Procédure pénale

Contrôle de la Cour de cassation sur un avis d’extradition vers l’Argentine

Par un arrêt du 24 mai 2018, la chambre criminelle rejette le pourvoi formé contre l’avis partiellement favorable donné à une demande d’extradition formulée par le Gouvernement argentin concernant un ancien militaire accusé notamment de tortures et de crimes contre l’humanité.

L’extradition est « la procédure par laquelle un État souverain, l’État requis, accepte de livrer un individu se trouvant sur son territoire à un autre État, l’État requérant, pour permettre à ce dernier de juger l’individu dont il s’agit ou, s’il a déjà été jugé et condamné, de lui faire exécuter une peine » (Merle et Vitu, Traité de droit criminel, t. 1, 7e éd., 1997, Cujas, no 317). Cette procédure d’État à État est régie par des conventions bilatérales ou multilatérales (par ex. la Convention européenne d’extradition) et des dispositions nationales. Pendant longtemps c’est la loi du 10 mars 1927 qui s’est appliquée en France. Ses dispositions ont été intégrées au Code de procédure pénale par la loi Perben II du 9 mars 2004 aux articles 696-1 et suivants. 

Ce régime légal fixe le droit commun de l’extradition : il s’applique aux demandes émanant d’États qui n’ont pas conclu de convention avec la France et également aux points que les conventions n’ont pas réglés. Cela étant, les conditions prévues par ces différentes sources sont souvent identiques. Elles tiennent à la personne réclamée (qui doit être étrangère, d’un âge ou dans un état de santé compatible avec la mesure) et à l’infraction concernée (qui doit être d’une gravité suffisante et doublement incriminée). En outre, existent plusieurs cas de refus d’extradition (incompétence de l’ État requérant, nature particulière de l’infraction, compétence territoriale de la France, poursuite en France, application de non bis in idem, extinction de l’action publique, non-respect des garanties fondamentales de procédure, peines contraires à l’ordre public, prescription de la peine). Cet arrêt permet de revenir sur certains de ces éléments, dans une affaire où la France était requise. 

Le 30 octobre 1976, un étudiant en architecture, M. Z., fut enlevé à son domicile de Buenos-Aires par un groupe d’individus appartenant à la Police Fédérale Argentine dont aurait fait partie M. X. La victime aurait été séquestrée pendant un certain temps à l’Esma, une école de la marine argentine qui servit de centre clandestin de détention sous la dictature militaire entre 1976 et 1983, avant de « disparaître ». 

Le 2 août 2012, le Gouvernement argentin demanda à la France de lui livrer M. X., résidant en France depuis 1985, dans le cadre de poursuites exercées à son encontre pour tortures, tortures suivies de mort, privation illégale de liberté et crimes contre l’humanité. Arrêté le 13 juin 2013 et présenté aux autorités judiciaires françaises le lendemain, celui-ci déclara ne pas consentir à son extradition. Il fut alors placé sous contrôle judiciaire. Le 28 mai 2014, la chambre de l’instruction émit un avis partiellement favorable à la demande d’extradition mais, sur le pourvoi de l’intéressé, la chambre criminelle cassa en toutes ces dispositions cet arrêt et renvoya l’affaire devant la cour d’appel Versailles. Celle-ci rendit, le 19 octobre 2017, un avis partiellement favorable à la demande, pour les seuls faits qualifiés, en droit français, de détention ou séquestration arbitraire d’une personne, précédée ou accompagnée de tortures et, en droit argentin, de privation illégale de liberté aggravée, tortures et crimes contre l’humanité. 

Dans un nouveau pourvoi, M. X. faisait valoir les principaux arguments suivants : l’insuffisance d’éléments l’impliquant dans les faits poursuivis, l’inexactitude de la qualification de crimes contre l’humanité, l’absence de garanties d’un procès équitable en Argentine et l’acquisition de la prescription pour les faits de séquestration. On précisera ici qu’en dépit de la lettre de l’article 696-15 du Code de procédure pénale, qui réduit les pourvois aux « vices de forme de nature à priver l’avis des conditions essentielles de son existence », la chambre criminelle admet que soient invoquées devant elle les conditions de fond de l’extradition au motif que leur absence de contrôle prive l’avis des conditions essentielles de son existence légale (V. Crim. 29 oct. 2008, n° 08-85.713; Crim. 15 sept. 2010, n° 10-84.449 ; V. D. Rebut, Droit pénal international, Dalloz, Précis, n° 302, qui remarque que « la chambre criminelle s’approprie l’ensemble du contentieux de l’extradition en violation de la compétence qui lui est formellement dévolue par la loi », en plus d’« empiéter sur le domaine d’intervention du Conseil d’État »).   

●En réponse aux griefs soulevés, la chambre criminelle répond, sur le premier (correspondant aux 2e, 3e, 4e et 5e branches du moyen), en s’en remettant à l’appréciation de la chambre de l’instruction qui a relevé, dans son arrêt, l’existence de nombreux témoignages attestant de la présence de l’intéressé lors de l’arrestation puis à l’Esma, et déduit que « ces éléments permett[ai]ent de s’assurer que la demande d’extradition (…) n’[était] affectée d’aucune erreur évidente ». 

● Sur le deuxième grief, qui contestait la qualification de crimes contre l’humanité (7e, 8e et 9e branches), la Haute cour rappelle, et alors même que la chambre de l’instruction avait cherché à asseoir, sur le fondement de la coutume internationale notamment, la qualification de crimes contre l’humanité retenue par les autorités de poursuite argentines, que « s’il appartient aux juridictions françaises, lorsqu’elles se prononcent sur une demande d’extradition, de vérifier si les faits pour lesquels l’extradition est demandée étaient incriminés par l’État requérant au moment de leur commission, il ne leur appartient pas de vérifier si ces faits ont reçu, de la part des autorités de cet État, une exacte qualification juridique au regard de la loi pénale de ce dernier ». 

● Sur le troisième grief, tenant au risque d’être privé des garanties fondamentales de procédure (10e branche du moyen), elle s’en remet de nouveau à la chambre de l’instruction qui a relevé que l’Argentine était partie à différents instruments internationaux de protection des droits de l’homme établissant des standards de procédure (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention américaine des droits de l’homme, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants) et liée à la France par une convention bilatérale, de sorte que « la crainte exprimée par la personne réclamée de ne pas bénéficier, de la part de la justice argentine, de la présomption d’innocence et d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est dénuée de fondement ».

● Enfin, sur le quatrième et dernier grief (11e, 12e et 13e branche du moyen), qui soutenait qu’au jour de la demande d’extradition, le délai de dix ans alors prévu par l’article 7 du Code de procédure pénale était expiré, la chambre criminelle relève notamment des motifs de la cour d’appel que « M. Z. n’est pas réapparu depuis la fin de l’année 1976, que son corps n’a pas non plus été retrouvé, que le sort qui lui a été réservé demeure encore inconnu à ce jour, qu’il ne peut être affirmé que sa détention ou séquestration arbitraire a cessé, et ce, quand bien même la dictature militaire a pris fin en Argentine en 1983 ». Elle retient alors que, « dès lors que la prescription des infractions continues ne court qu’à partir du jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets, et que ce point de départ, en l’état de la procédure, ne peut être déterminé, la chambre de l’instruction a satisfait aux conditions essentielles de son existence légale ». Ainsi, faute de pouvoir prouver la fin de la séquestration, la prescription n’a pas commencé à courir. 

Cet arrêt devrait clore la phase judiciaire de la procédure et permettre l’ouverture de la phase administrative d’exécution. On rappellera cependant que, contrairement à un avis négatif, qui constitue un obstacle insurmontable à l’extradition (C. pr. pén., art. 696-17), un avis positif ne lie pas le Gouvernement qui demeure donc libre de ne pas accorder la remise de la personne réclamée (C. pr. pén., art. 696-2). L’autorisation d’extradition résultera le cas échéant d’un décret du Premier ministre, pris sur le rapport du ministre de la justice, et qui pourra faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dans le délai d’un mois (C. pr. pén., art. 696-18).

Crim. 24 mai 2018, n° 17-86.340

Références

■ Crim. 29 oct. 2008, n° 08-85.713 P: AJ pénal 2009. 79, obs. J.-R. Demarchi.

■ Crim. 15 sept. 2010, n° 10-84.449 : AJ pénal 2011. 141, obs. C. Girault 

■ Rép. pén. Dalloz, vo Extradition, par D. Brach-Thiel.

 

Auteur :Sabrina Lavric

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