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Procédure civile
Contrôle des clauses abusives : renforcement de l’office du juge
L’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission de la créance au passif d’une procédure collective ne fait pas obstacle au contrôle des clauses abusives devant le juge de l’exécution statuant lors de l’audience d’orientation.
Com. 8 févr. 2023, n° 21-17.763 P
Promis à une double publication au Bulletin et au Rapport annuel de la Cour de cassation, l’arrêt rapporté, situé au confluent du droit des entreprises en difficulté, des procédures civiles d’exécution et du droit de la consommation, marque un tournant majeur en matière de contrôle judiciaire des clauses abusives.
Par deux actes notariés en date du 30 juillet 2004, une banque avait consenti à une personne physique plusieurs prêts destinés à financer l’acquisition d’un immeuble constituant sa résidence principale. Les prêts avaient été garantis par le privilège de prêteur de deniers (désormais nommée hypothèque légale spéciale éponyme ; v. Ord. n° 2021-1192 du 15 sept. 2021) ainsi que par une hypothèque conventionnelle. Le 15 mai 2009, le débiteur avait publié une déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble. En l’absence de règlement des échéances de son débiteur, la banque créancière avait prononcé la déchéance du terme du prêt, le 17 octobre 2011. Le 10 mai 2012 et le 7 juin suivant, le débiteur avait été placé en redressement puis en liquidations judiciaires. La banque avait en conséquence déclaré ses créances au passif de la procédure collective le 12 juin 2012, lesquelles avaient été admises par ordonnances rendues le 7 novembre 2013. Le 8 août 2014, la banque avait fait délivrer au débiteur un commandement de payer valant saisie immobilière, puis l’avait assigné devant le juge de l’exécution à l’audience d’orientation pour que fût ordonnée la vente forcée de l’immeuble hypothéqué. Le débiteur s’y était opposé à raison de la prescription de l’action de la banque et subsidiairement, du caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée stipulée dans les différents prêts. En appel, la cour releva l’inefficacité de l’invocation par le débiteur de l’abus de la clause dénoncée pour remettre en cause la procédure de saisie immobilière, au motif que la décision d’admission des créances était revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Devant la Cour de cassation, le débiteur se prévalait de la protection contre les clauses abusives telle qu’elle résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. Il est vrai que sa politique de lutte contre l’abus est en progression constante (v. la dernière décision rendue en matière de pratiques commerciales déloyales, CJUE 2 févr.2023, aff. n° C-208/21). La cause du demandeur au pourvoi est entendue.
Dans un arrêt particulièrement dense, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en affirmant « qu’un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d’un prêt immobilier, qu’il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l’occasion de la procédure de saisie immobilière d’un bien appartenant à ce débiteur, mise en œuvre par le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses de l’acte de prêt notarié dès lors qu’il ressort de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge ne s’est pas livré à cet examen ».
Le demandeur au pourvoi eut raison d’exploiter l’influence croissante de la jurisprudence de la CJUE concernant l’office du juge en matière de contrôle des clauses abusives. En témoigne la liste dressée par la chambre commerciale des décisions les plus remarquables rendues en cette matière par les juges européens (CJUE 26 janv. 2017, aff. n° C-421/14 ; 4 juin 2020, aff. n° C-495/19 ; 17 mai 2022, aff. nos C-600/19, C-693/19 et C-831/19) dont la combinaison, associée à celle de droit interne issue des articles 1355 du Code civil et 480 du Code de procédure obligent à admettre que si la décision du juge commissaire qui admet des créances au passif de la procédure collective est assortie de l’autorité de la chose jugée, celle-ci « ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l’obligation incombant au juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles » (pt. 22). Autrement dit, le juge de l’exécution ne peut refuser un contrôle des clauses abusives motif pris de l’autorité de la chose jugée de la décision du juge commissaire, lors de l’audience d’orientation qu’il tient dans le contexte de la vente forcée d’un immeuble hypothéqué. On retrouve ici l’exigence d’efficacité requise par la Cour de Justice concernant l’office du juge national en matière de contrôle de clauses abusives : aucun mécanisme de droit interne ne doit venir paralyser la protection accordée au consommateur. Aussi bien, même si par principe, l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge-commissaire devrait s’imposer au juge de l’exécution, le contrôle nécessaire des clauses abusives justifie d’outrepasser cette règle. Cette précision, au demeurant essentielle, n’avait été jamais été affirmée avec autant de clarté.
Le contrôle de l’abus dans le contrat en ressort évidemment renforcé, d’autant plus que le juge doit en outre soulever d’office le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses s’il dispose des éléments factuels le lui permettant (pt. 23 ; v. déjà Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758). On comprend alors aisément que la Cour juge elle-même « la portée de l’arrêt commenté (…) significative », en ce qu’il révèle l’ampleur du principe d’effectivité qui sert de boussole au contrôle judiciaire de l’abus et confirme sa prévalence, dans le cadre de l’espèce de contentieux croisés, sur d’autres principes fondamentaux, tels que ceux issus du droit judiciaire privé (v. déjà Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 19-20.640). Une limite procédurale est néanmoins apportée à l’extension de ce contrôle de l’abus (pt. 24), la Cour rappelant logiquement que la solution qu’elle énonce ne vaut qu’à la condition que la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée laisse apparaître que le juge-commissaire n’a pas déjà procédé à cet examen, ce qui suppose de tenir compte de la teneur exacte et précise des termes de sa décision.
Dont acte : le juge de l’exécution doit contrôler l’abus des clauses stipulées dans les contrats concernés par une procédure de saisie immobilière d’un débiteur lui-même soumis à une procédure collective, nonobstant l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge commissaire d’admettre au passif de la procédure la créance concernée, dès lors qu’est avéré le fait que ce magistrat n’a pas déjà statué sur ce point. Sous cette seule réserve, le juge saisi n’aura aucun obstacle procédural à opposer, même au tout dernier stade de la procédure, au consommateur qui lui demanderait d’exercer ce contrôle, qui grandit donc à son profit.
Références :
■ CJUE 2 févr. 2023, aff. n° C-208/21 : D. 2023. 292.
■ CJUE 26 janv. 2017, aff. n° C-421/14 : D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 525, obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron.
■ CJUE 4 juin 2020, aff. n° C-495/19 : D. 2020. 1228 ; Rev. prat. rec. 2020. 35, chron. K. De La Asuncion Planes.
■ CJUE 17 mai 2022, aff. nos C-600/19, C-693/19 et C-831/19 : D. 2022. 989 ; ibid. 1162, point de vue G. Poissonnier.
■ Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19-11.758 B : D. 2021. 1920 ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud.
■ Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 19-20.640 B : D. 2022. 277 ; AJDI 2022. 290 ; RDI 2022. 513, obs. J. Bruttin ; RTD com. 2022. 630, obs. D. Legais.
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