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Droit des obligations
Contrôle des clauses abusives : validité de la clause permettant la suspension immédiate et la résiliation unilatérale du compte d’un client par un hébergeur informatique
Justifiée par l’illicéité de l’activité exercée et des données traitées, la clause de suspension immédiate et de résiliation unilatérale de la convention de compte d’un client stipulée au profit de l’hébergeur informatique n’est pas abusive.
Com. 4 sept. 2024, n° 22-12.321
La Cour de cassation admet la possibilité de stipuler une clause de suspension immédiate par un hébergeur informatique d’un compte client et la résiliation unilatérale et définitive de son contrat, même sans préavis, lorsque ce client exerce une activité illicite et que le traitement des données est en conséquence injustifié. Unilatérales, ces prérogatives contractuelles sont justifiées par l’obligation pesant sur les hébergeurs de faire cesser toute activité illicite d’un site internet. Tels sont les enseignements dispensés par l’arrêt rapporté.
En l’espèce, une société avait créé un site dédié aux démarches à effectuer pour obtenir sur Internet des certificats d’immatriculation de véhicules automobiles auprès des services de l’État français. Dans cette perspective, elle avait conclu avec la société Google un contrat de référencement de son site au moyen du service « Google Adwords », devenu « Google Ads ». Les conditions générales de ce contrat permettaient à l’hébergeur de résilier unilatéralement la convention de compte du client moyennant un préavis, sauf en cas de manquement contractuel répété ou grave. Elles stipulaient également au profit de Google la faculté de suspendre le compte du cocontractant en cas de non-paiement, de manquements suspectés ou avérés aux politiques de Google ou, plus largement, pour des « raisons légales ». À la suite d’un courrier du secrétaire d’État chargé du numérique, signalant que la société ne disposait pas de l’habilitation du ministère de l’intérieur pour délivrer des certificats d’immatriculation, l’hébergeur avait suspendu le compte de la société, puis résilié unilatéralement la convention qui les liait. Victime de cette rupture qu’elle jugeait abusive, la société demanda l’annulation de l’article des conditions générales de Google permettant l’exercice de ces prérogatives (suspension immédiate et résiliation unilatérale). La société Google lui a opposé que les stipulations de cet article répondaient à une nécessité propre à sa qualité d'hébergeur qui l’oblige, conformément à l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, d'agir promptement pour retirer des données ou en rendre l'accès impossible dès le moment où elle a connaissance du caractère illicite des activités ou des informations en cause, ou de faits ou circonstances faisant apparaître ce caractère.
La cour d’appel rejeta la demande d’annulation de la stipulation litigieuse, considérant que la faculté de suspendre immédiatement le compte d’un client était justifiée par l’atteinte portée par le contenu d’un site internet à l’ordre public, particulièrement en cas de publicité trompeuse, et que l’exercice de son droit de décider unilatéralement et sans préavis de la fin du contrat, légitimé par l’illicéité de l’activité, n’avait créé aucun déséquilibre significatif. Devant la Cour de cassation, la demanderesse dénonçait au contraire le déséquilibre contractuel créé par les conditions générales du contrat, et l’abus dans la rupture dont elle avait été victime. Elle s’appuyait sur l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce, devenu L. 442-1, qui sanctionne les clauses contractuelles créant un déséquilibre significatif entre les parties au contrat ainsi que la rupture brutale, soit sans prévis suffisant et, a fortiori, sans aucun préavis, d’une « relation commerciale établie ». Mais la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel, rejetant le pourvoi au visa de l’article 6 §2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Celui-ci oblige en effet les hébergeurs à agir promptement pour faire cesser, à titre temporaire ou définitif, des activités et retirer des données dont ils connaissent le caractère illicite, ou pour en rendre l'accès impossible. À défaut, ils engagent leur responsabilité. En l’espèce informé de l’illicéité de l’activité associée à la publicité, l’hébergeur devait donc retirer celle-ci. En effet, Google avait reçu un email du secrétariat d’État chargé du numérique l’informant considérer que le site associé à la publicité présentait les caractéristiques d’une pratique commerciale trompeuse. La Cour de cassation en déduit que Google avait connaissance du caractère illicite du site et pouvait donc suspendre le compte Ads associé puis résilier le contrat du client, même sans préavis, en application de la clause de ses conditions générales. Concernant l’abus invoqué, la Cour précise que l’illicéité de l’activité, que son cocontractant avait continué d’exercer sans habilitation même après la suspension de son compte, suffit à écarter l’abus prétendu dans la rupture du contrat. La légitimité de ces motifs autorisait l’hébergeur à résilier le contrat sans préavis.
Si une telle décision paraît logique au regard des objectifs poursuivis par la loi du 21 juin 2004, elle interroge cependant sur les facultés de suspension immédiate et de résiliation sans préavis reconnues à l’hébergeur. Concernant la première prérogative contractuelle, la portée qui lui est en l’espèce conférée peut inquiéter car si la suspension immédiate du compte trouve une évidente justification légale, au point de rendre superflue l’existence même d’une telle stipulation dès lors que la loi suffit à fonder cette suspension, la rédaction de cette clause paraît abusivement large puisqu’elle donne le pouvoir à l’hébergeur de suspendre un compte « pour des raisons légales », ce qui peut recouvrir un nombre d’hypothèses si important qu’une telle prérogative pourrait, dans sa mise en œuvre, devenir discrétionnaire sauf à l’assortir, tel qu’en l’espèce, de la limite liée à l’information d’un tiers sur le caractère illicite de l’activité. Quoi qu’il en soit, on retiendra que la clause permettant la suspension d’un compte « pour raisons légales » est en théorie licite. L’est pareillement celle autorisant la résiliation unilatérale et sans préavis de la convention de compte. Alors que le respect d’un délai suffisant de préavis est au cœur de la loyauté recherchée dans les relations commerciales, dont la rupture brutale est pourchassée tant en droit spécial (C. com., art. L.442-1, II) que sur le fondement du droit commun (C. civ., art. 1211), autant dire que la chasse à l’abus cède ici devant la traque de l’illicite numérique. Si l’objectif est légitime, on peut toutefois regretter que la Cour n’ait pas réputé cette clause non écrite pour obliger Google à la réécrire dans un sens conforme à l’exigence de respect de l’équilibre contractuel qui nous semble en l’espèce être rompu par la reconnaissance sans limite ni contrôle préalable du droit d’interrompre ou de faire cesser bon nombre d’activités aux motifs, dont les contours restent incertains, de leur illégalité.
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