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[ 6 février 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Convention d’assistance bénévole : la spontanéité de l’acte n’est pas un élément de qualification

Dans une convention d’assistance bénévole, l’aide peut être spontanément apportée par l’assistant ou sollicitée par l’assisté.

Civ. 1re, 18 janv. 2023, n° 20-18.114 B

Afin de cueillir des pommes dans son verger, un propriétaire, également gérant d’une société, demande à l’un de ses salariés de monter avec lui sur une grue appartenant à sa société. Durant cette manœuvre, le salarié chute et se blesse. En qualité de victime, il assigne en responsabilité et indemnisation la société propriétaire de la grue et son gérant. La cour d’appel le déboute de sa demande, en l’absence de convention d’assistance bénévole susceptible de fonder l’engagement de la responsabilité contractuelle du prétendu assisté. En effet, les juges du fond relèvent que le salarié n’a pas spontanément apporté son aide au gérant, mais a été convaincu par celui-ci de lui prêter son concours. Le salarié soutient devant la Cour de cassation que cette circonstance n’est pas incompatible avec l’existence d’une convention d’assistance bénévole, laquelle peut tout aussi bien résulter d’un mouvement spontané de l'assistant que d’un appel à l’aide exprimé par l'assisté. La question de la caractérisation de cette convention dans le cas où l’aide apportée ne l’a pas été de manière spontanée par l’assistant, mais sollicitée par l’assisté, se trouve ainsi posée.

La réponse à cette question ne va pas de soi, l’assistance bénévole apportée à autrui se traduisant généralement par l’accomplissement d’un acte personnel, spontané et charitable de la part de l’assistant, sans sollicitation préalable de l’assisté, contrairement à l’aide en l’espèce apportée à la demande de l’assisté. La Cour de cassation retient néanmoins l’existence d’une convention d’assistance bénévole. Au visa de l’article 1101 du Code civil, elle casse la décision des juges du fond au motif que la qualification de cette convention peut être retenue même lorsque l’aide aura été sollicitée par l’assisté. La responsabilité contractuelle de l’assisté se trouvait donc bien, en l’espèce, engagée. 

Il est fréquent qu’à l’occasion de l’aide qu’il apporte à l’assisté, l’assistant subisse des dommages corporels. Or depuis un arrêt du 1er décembre 1959 (Civ. 1re, 27 mai 1959), la première chambre civile reconnaît l’existence d’une convention « d’assistance bénévole », à laquelle elle applique en conséquence les règles de la responsabilité contractuelle, comme en atteste le visa de la décision rapportée. S’affranchissant de la conception classique du contrat, la Cour de cassation considère qu’en portant assistance à autrui de manière désintéressée, l’assistant offre un service nécessairement accepté par l’assisté, même si celui-ci n’a pas expressément manifesté son consentement à contracter. Malgré son caractère factice, la solution s’appuie sur un principe acquis en droit des contrats, selon lequel le silence vaut par exception acceptation lorsque l’offre est adressée dans l’intérêt exclusif de son bénéficiaire. Les juges reconnaissent ainsi depuis longtemps l’existence d’un véritable contrat liant l’assisté et l’assistant, même en l’absence de consentement exprimé en ce sens par ceux s’étant, en fait, spontanément unis, sans intention véritable de contracter (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 103, n° 88).

En l’espèce cependant, l’assisté n’était pas montré silencieux ; au contraire, il avait expressément demandé de l’aide à son salarié, même sans intention de contracter avec lui. En revanche, cette aide lui avait bien été apportée gratuitement, et dans son seul intérêt. La qualification de convention d’assistance bénévole pouvait donc être retenue. En ce sens, on se souviendra que l’assistance bénévole est traditionnellement illustrée par l’exemple de l’assistance portée en mer à un naufragé ayant appelé à l’aide un navire passant à proximité. Il ressort donc de cette décision, confirmant l’exemple précédent, que c’est moins le caractère spontané de l’assistance apportée que sa gratuité qui caractérise cette convention, dont l’objet (l’apport d’un service gratuit) détermine à lui seul la qualification. Ce qui revient en théorie à élargir les contours de la notion et, en pratique, à étendre le champ de son application. Or rappelons que même fictif, le recours au contrat est d’autant plus abouti que la convention d’assistance bénévole emporte pour l’assisté une obligation de sécurité de résultat, l’obligeant à réparer les conséquences des dommages corporels subis par celui auquel il a fait appel, ou bien même par un tiers (Civ. 1re, 17 déc. 1996, n° 94-21.838), sans qu’il soit donc nécessaire de démontrer une faute de sa part (v. not. Civ. 1re, 15 oct. 2014, n° 13-20.875 ; 11 mai 2017, n° 14-24.675). Cette sévérité accrue serait justifiée par l’équité à l’origine même de cette création prétorienne qu’est la convention d’assistance bénévole, l’assistant méritant, dans le cadre de son acte altruiste, une large protection : « La découverte d’une convention d’assistance n’a d’intérêt que si l’on met à la charge de l’assisté une obligation de résultat ; et quoique la Haute juridiction n’emploie pas ces termes, c’est bien de cela qu’il s’agit. [...] » (P. Jourdain, obs. ss. Civ. 1re, 16 juill. 1997 : RTD civ. 1997. 431).

Soulignons cependant qu’à l’effet de tempérer cette sévérité, la jurisprudence prend également en compte, en cas de dommage subi par l’assisté lui-même, la faute, même simple, de l’assistant et son rôle dans la production du dommage, non seulement pour exonérer partiellement l’assisté de sa responsabilité (Civ. 1re, 5 mai 2021, n° 19-20.579), mais également pour l’en exonérer lorsque la faute de l’assistant est la cause exclusive du dommage causé à l’assisté (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-20.331). Sous ces réserves, au demeurant nécessaires, la responsabilité contractuelle de l’assisté doit être, comme en l’espèce, engagée pour indemniser l’assistant victime d’un acte d’entraide, qu’il l’ait spontanément ou non effectué. Ainsi la première chambre civile vient-elle rappeler cette précision depuis longtemps absente des arrêts publiés au Bulletin : la qualification de la convention d’assistance bénévole ne dépend pas de l’aide spontanée de l’assistant dont le droit à indemnisation demeure inchangé par la circonstance, indifférente, que son aide aura été sollicitée.

Références :

■ Civ. 1re, 27 mai 1959 D. 1959. 524, note R. Savatier.

■ Civ. 1re, 17 déc. 1996, n° 94-21.838 P : D. 1997. 288, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997. 431, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 15 oct. 2014, n° 13-20.875

■ Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 14-24.675

■ Civ. 1re, 5 mai 2021, n° 19-20.579 P : D. 2021. 1803, note D. Galbois-Lehalle ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2021. 653, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 5 janv.2022, n° 20-20.331 B D. 2022. 740, note P. Gaiardo ; RTD civ. 2022. 395, obs. P. Jourdain.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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