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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Convention européenne des droits de l’homme et QPC
Mots-clefs : QPC, Convention européenne des droits de l’homme, Droit d’accès à un tribunal, Conseil constitutionnel
Le refus de la Cour de cassation de renvoyer une QPC au Conseil constitutionnel n’est pas contraire au droit d’accès à un tribunal.
Depuis le 1er mars 2010, il existe en France un contrôle par voie d’exception ou contrôle a posteriori de la loi opéré par le Conseil constitutionnel. Cette réforme est issue de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 qui insère un article 61-1 dans la Constitution du 4 octobre 1958. Ainsi, «lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. » Les modalités d'application de cette disposition sont fixées par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 qui introduit dans l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 un chapitre II bis intitulé: «De la question prioritaire de constitutionnalité» (art. 23-1 à 23-12). Toutefois, la saisine du Conseil constitutionnel est une possibilité et non une obligation. Les Hautes juridictions judiciaires et administratives (Cour de cassation et Conseil d’État) ont le pouvoir de décider d’un renvoi devant le Conseil constitutionnel. Pour cela, elles appliquent certains critères énoncés par l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée. Ainsi, la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. Par ailleurs, cette disposition ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf s’il existe des changements des circonstances. Enfin, la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.
La décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 17 septembre 2015, est la première décision relative à la compatibilité de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) avec la procédure de QPC.
En l’espèce, diverses personnes avaient soulevé des QPC lors de différentes procédures qui n’avaient pas été transmises au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation. Elles ont alors saisi la CEDH en invoquant les articles 6, § 1 (droit d’accès à un tribunal) et 13 (droit à un recours effectif) de la Conv. EDH. Les requérants se plaignaient essentiellement d’une atteinte disproportionnée au droit d’accès au Conseil constitutionnel en raison du refus par la Cour de cassation de transmettre les diverses QPC.
Statuant essentiellement au regard de l’article 6 Conv. EDH, la Cour rappelle que cet article ne garantit pas en tant que tel un droit d’accès à un tribunal pour contester la constitutionnalité d’une disposition légale, notamment lorsque le droit national prévoit que le contrôle de constitutionnalité n’est pas déclenché directement par un requérant, mais par un renvoi effectué par la juridiction devant laquelle l’inconstitutionnalité alléguée est soulevée (CEDH, 12 avr. 2007, Previti c/ Italie (déc.), no 35201/06). Toutefois, la Cour observe que lorsqu’un tel mécanisme de renvoi existe, le refus du juge interne de poser une question préjudicielle peut dans certaines circonstances, affecter l’équité de la procédure, notamment lorsque le refus s’avère arbitraire (CEDH, 20 sept. 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c/ Belgique, nos 3989/07 et 38353/07).
Par ailleurs, la Cour rappelle que la Cour de cassation et le Conseil d’État ne sont pas tenus, en dernier lieu, de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel, notamment si ces juridictions estiment que la question n’est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, le droit interne leur confère un certain pouvoir d’appréciation, visant à réguler l’accès au Conseil constitutionnel. La Cour estime que ce pouvoir n’est pas en contradiction avec la Convention et qu’elle se doit par ailleurs d’en tenir compte dans l’exercice de son contrôle.
En l’espèce, la CEDH considère que la Cour de cassation a motivé ses décisions au regard des critères de non-renvoi d’une QPC tels qu’énoncés par l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 précitée. La Cour ne relève dès lors aucune apparence d’arbitraire de nature à affecter l’équité des procédures en cause et considère en conséquence qu’il n’y a pas eu d’atteinte injustifiée au droit d’accès au Conseil constitutionnel. Il s’ensuit que les griefs sont manifestement mal fondés et doivent être déclarés irrecevables et rejetés.
CEDH 17 septembre 2015, Renard et autres c/ France, n°s 3569/12, 9145/12, 9161/12 et 37791/13.
Références
■ Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel
Chapitre II bis. De la question prioritaire de constitutionnalité
Section I. Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation
« Devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office.
Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.
Si le moyen est soulevé au cours de l'instruction pénale, la juridiction d'instruction du second degré en est saisie.
Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d'assises. En cas d'appel d'un arrêt rendu par la cour d'assises en premier ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d'appel. Cet écrit est immédiatement transmis à la Cour de cassation. »
« La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies:
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation.
La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. »
« Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.
Toutefois, il n'est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance ni lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.
La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.
En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.
Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. »
Section II. Dispositions applicables devant le Conseil d'État et la Cour de cassation
« Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l'article 23-2 ou au dernier alinéa de l'article 23-1, le Conseil d'État ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. »
« Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d'office.
En tout état de cause, le Conseil d'État ou la Cour de cassation doit, lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Le Conseil d'État ou la Cour de cassation dispose d'un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d'État ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu'à ce qu'il se soit prononcé. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Si le Conseil d'État ou la Cour de cassation est tenu de se prononcer en urgence, il peut n'être pas sursis à statuer. »
…
« La décision motivée du Conseil d'État ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Le Conseil constitutionnel reçoit une copie de la décision motivée par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d'une question prioritaire de constitutionnalité. Si le Conseil d'État ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel.
La décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation est communiquée à la juridiction qui a transmis la question prioritaire de constitutionnalité et notifiée aux parties dans les huit jours de son prononcé. »
Section III. Dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel
« Le Conseil constitutionnel, saisi en application des dispositions du présent chapitre, avise immédiatement le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ceux-ci peuvent adresser au Conseil constitutionnel leurs observations sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui est soumise.
Lorsqu'une disposition d'une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie fait l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel avise également le Président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le Président du congrès et les présidents des assemblées de province. »
« Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l'extinction, pour quelque cause que ce soit, de l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l'examen de la question. »
« Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Les parties sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations. L'audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel. »
« La décision du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est notifiée aux parties et communiquée soit au Conseil d'État, soit à la Cour de cassation ainsi que, le cas échéant, à la juridiction devant laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée.
Le Conseil constitutionnel communique également sa décision au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que, dans le cas prévu au dernier alinéa de l'article 23-8, aux autorités qui y sont mentionnées.
La décision du Conseil constitutionnel est publiée au Journal officiel et, le cas échéant, au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie. »
« Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, la contribution de l'État à la rétribution des auxiliaires de justice qui prêtent leur concours au titre de l'aide juridictionnelle est majorée selon des modalités fixées par voie réglementaire. »
■ CEDH, 12 avr. 2007, Previti c/ Italie (déc.), no 35201/06.
■ CEDH, 20 sept. 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c/ Belgique, nos 3989/07 et 38353/07, D. 2011. 2338.
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