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[ 22 mai 2013 ] Imprimer

Droit des sociétés

Conventions réglementées : les délais de prescription des actions en nullité et en responsabilité précisés

Mots-clefs : Sociétés, Conventions réglementées, Nullité, Responsabilité, Délais de prescription, Droit spécial, Droit commun

Le délai de trois ans pour agir en nullité de conventions réglementées et en responsabilité du dirigeant de la société est inapplicable si la nullité de la convention se fonde sur le droit commun du contrat.

Une société anonyme (SA) contrôle trois SARL. Chacune d’elles a conclu des conventions avec une autre SARL, ayant pour gérant et unique associée l’épouse du président de la SA dont il est par ailleurs le principal actionnaire et le directeur général délégué. Les SARL assignent la société cocontractante en annulation des conventions pour fraude et cause illicite. La cour d’appel déclare ces actions irrecevables comme prescrites au motif que l’action en nullité des conventions dites réglementées se prescrit par trois ans à compter de la date de la convention.

La Cour de cassation censure l’analyse des juges du fond : au visa de l’article L. 225-42 du Code de commerce, elle affirme que « la prescription triennale de l’action en nullité fondée sur l’inobservation des dispositions applicables aux conventions réglementées ne s’applique pas lorsque leur annulation est demandée pour violation des lois ou principes régissant la nullité des contrats » et au visa de l’article L. 223-23 du même code, la Cour ajoute qu’il en va de même de « la prescription triennale de l’action en responsabilité prévue à l’article L. 223-19 (…), qui ne s’applique pas aux actions tendant à l’annulation » sur ce fondement.

Dans les SA, l'article L. 225-38 du Code de commerce précise que toutes les conventions passées entre les dirigeants et la société, qui ne sont ni libres (C. com., art. L. 225-39), ni interdites (C. com., art. L. 225-43), sont soumises à une procédure d'autorisation et de contrôle, quel que soit leur objet. Sont notamment concernées les conventions directement conclues entre la société et l'administrateur, mais également celles intervenues entre la société et une entreprise qui en est actionnaire et détient plus de 10 % des droits de vote, celles où l'administrateur est indirectement intéressé. Il en va de même des « conventions intervenant entre la société et une entreprise, si le directeur général, l'un des directeurs généraux délégués ou l'un des administrateurs de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise » (C. com., art. L. 225-38, dernier al.).

Cette convention spécifique peut donc être définie comme une convention autorisée mais réglementée par la loi, passée entre une société de capitaux et une personne ou une société ayant une influence et des intérêts suffisants sur celle-ci. Cette personne peut être un dirigeant social, un associé disposant d'une part importante des droits de vote, ou encore une société au sein de laquelle on observe une identité d'associés. En présence d'une telle convention, une procédure de contrôle ou d'autorisation, par un ou plusieurs organes sociaux, est mise en place afin de prévenir les conflits d'intérêts.

Partant, les conventions réglementées conclues sans autorisation préalable encourent l’annulation à la condition, cependant, que puisse être rapportée la preuve d’un préjudice causé à la société (C. com., art. L. 225-42, al. 1er). En l’absence d'effet dommageable pour la société, seule la responsabilité personnelle du dirigeant sera susceptible d’être engagée.

En revanche, le législateur ne fait aucune distinction entre le cas où la convention est directement passée entre la société et l'administrateur ou une personne visée à l'article L. 225-38, alinéa 1er du Code de commerce et celui de l’espèce où elle intervient avec une autre entreprise dans laquelle l'administrateur ou ces mêmes personnes sont intéressés. L'absence de distinction est discutable dans cette dernière hypothèse, l'entreprise cocontractante pouvant être de bonne foi et avoir ignoré qu'un de ses membres bénéficiait d'une qualité particulière au sein de la société avec laquelle elle traite (v. Rosenfeld).

L’action en nullité de ce type de conventions couvre ainsi un large domaine. Elle présente, toutefois, une certaine souplesse liée, d’une part, à son caractère facultatif et relatif, d’autre part, aux règles prévues pour sa prescription. L'action en nullité se prescrit par trois ans à dater de la convention (C. com., art. L. 225-42, al. 2), étant précisé qu’il ne s’agit pas d’un délai préfix mais d'une véritable prescription, susceptible d’être interrompue ou suspendue (Com. 24 févr. 1976).

De surcroît, comme le précise l’arrêt rapporté, le délai de prescription de l’action peut dans certains cas être allongé. En effet, le délai de trois ans prévu par le Code de commerce n’est susceptible d’être retenu qu’en cas de nullité fondée sur des règles spécialement applicables aux conventions réglementées. En revanche, si comme en l’espèce, la nullité se fonde sur la violation des règles de droit commun, telles que la fraude ou la cause illicite, le délai pour agir demeure celui, quinquennal, de droit commun (C. civ., art. 1304). Par conséquent, l’action en responsabilité étant associée à l’annulation des conventions réglementées, celle-ci sera également soumise à la prescription quinquennale.

Com. 3 avr. 2013, n°12-15.492

Références

■ Rosenfeld, « À propos de l'article 40 », Rev. sociétés 1958. 360.

 Com. 24 févr. 1976, n°74-15.242.

■ Code de commerce

Article L. 223-19

« Le gérant ou, s'il en existe un, le commissaire aux comptes, présente à l'assemblée ou joint aux documents communiqués aux associés en cas de consultation écrite, un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés. L'assemblée statue sur ce rapport. Le gérant ou l'associé intéressé ne peut prendre part au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité. 

Toutefois, s'il n'existe pas de commissaire aux comptes, les conventions conclues par un gérant non associé sont soumises à l'approbation préalable de l'assemblée. 

Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, lorsque la société ne comprend qu'un seul associé et que la convention est conclue avec celui-ci, il en est seulement fait mention au registre des décisions. 

Les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s'il y a lieu, pour l'associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société. 

Les dispositions du présent article s'étendent aux conventions passées avec une société dont un associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, directeur général, membre du directoire ou membre du conseil de surveillance, est simultanément gérant ou associé de la société à responsabilité limitée. »

Article L. 223-23

« Les actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22 se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié crime, l'action se prescrit par dix ans. »

Article L. 225-38

« Toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et son directeur général, l'un de ses directeurs généraux délégués, l'un de ses administrateurs, l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3, doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration. 

Il en est de même des conventions auxquelles une des personnes visées à l'alinéa précédent est indirectement intéressée. 

Sont également soumises à autorisation préalable les conventions intervenant entre la société et une entreprise, si le directeur général, l'un des directeurs généraux délégués ou l'un des administrateurs de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise. »

Article L. 225-39

« Les dispositions de l'article L. 225-38 ne sont pas applicables aux conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales. »

Article L. 225-42

« Sans préjudice de la responsabilité de l'intéressé, les conventions visées à l'article L. 225-38 et conclues sans autorisation préalable du conseil d'administration peuvent être annulées si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société. 

L'action en nullité se prescrit par trois ans, à compter de la date de la convention. Toutefois, si la convention a été dissimulée, le point de départ du délai de la prescription est reporté au jour où elle a été révélée. 

La nullité peut être couverte par un vote de l'assemblée générale intervenant sur rapport spécial des commissaires aux comptes exposant les circonstances en raison desquelles la procédure d'autorisation n'a pas été suivie. Les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 225-40 sont applicables. »

Article L. 225-43

« À peine de nullité du contrat, il est interdit aux administrateurs autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers.

Toutefois, si la société exploite un établissement bancaire ou financier, cette interdiction ne s'applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales.

La même interdiction s'applique au directeur général, aux directeurs généraux délégués et aux représentants permanents des personnes morales administrateurs. Elle s'applique également aux conjoint, ascendants et descendants des personnes visées au présent article ainsi qu'à toute personne interposée. »

■ Article 1304 du Code civil

« Dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. 

Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts. 

Le temps ne court, à l'égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l'émancipation ; et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant. »

 

Auteur :M. H.

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