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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Coup de parapluie sur le fichier national automatisé des empreintes génétiques !
Mots-clefs : FNAEG, Vie privée, Cour européenne des droits de l’homme, Condamnation
A défaut d’avoir pris en compte les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel, la France est condamnée pour violation du droit à la vie privée par la Cour européenne des droits de l’homme concernant le FNAEG.
Les fichiers de conservation des échantillons cellulaires ou des profils ADN ou des empreintes digitales, qui par leur nature sont intrinsèquement attentatoires au droit à la vie privée des individus au sens de l'article 8, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, font l’objet d’un contentieux devenu récurrent devant la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour, approuve dans son principe la constitution, par les États membres, de tels fichiers destinés à la prévention et à la répression des infractions pénales. Néanmoins, elle contrôle rigoureusement la proportionnalité de l'ingérence au but poursuivi. L’ingérence ne peut se trouver justifiée, conformément à sa jurisprudence, qu'à condition d'être prévue par la loi, de poursuivre un but légitime et d'être nécessaire dans une société démocratique. Ainsi, a-t-elle condamné la conservation générale et indifférenciée, sans limitation de temps, d'empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN de personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions mais non condamnées (CEDH, gr. ch., 4 déc. 2008, S. et Marper c/ Royaume-Uni, nos 30562/04 et 30566/04).
Qu’en est-il en France ?
Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), créé par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, permet la centralisation des empreintes génétiques. Toute infraction ne permet pas néanmoins un recensement au sein de ce fichier. Initialement destiné à recevoir les empreintes génétiques dans le seul cadre de la délinquance sexuelle, son champ d’application a été étendu par plusieurs réformes successives à d’autres infractions (...) L’article 706-55 du Code de procédure pénale en dresse aujourd’hui une liste limitative, laquelle couvre en réalité la grande majorité des atteintes à la personne ou aux biens et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation (sur ce point voir C. Girault, Identification et identité génétiques, AJ pénal 2010. 224). S’agissant des personnes pouvant être inscrites, la loi discrimine deux catégories : les personnes condamnées ou à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants d'avoir commis une infraction. C’est au sujet de la première catégorie de personnes que la Cour européenne a été saisie du fichier français.
En l’espèce, le requérant avait participé en 2008 à un rassemblement organisé notamment par un syndicat agricole et qui se déroulait dans un contexte politique et syndical difficile. À l’issue de la réunion, une bousculade éclata entre les manifestants et la gendarmerie. Le requérant fut cité devant le tribunal correctionnel en procédure de comparution immédiate et condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir donné des coups de parapluie aux gendarmes, dont il ne résulta aucune incapacité pour ces derniers, faits qualifiés de violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme. Convoqué quelques mois plus tard pour que soit effectué un prélèvement biologique sur sa personne à la demande du parquet, il refusa de se soumettre au prélèvement. Ce refus lui valut une nouvelle condamnation (sur le fondement de l’article l'art. 706-56 C. pr. pén.), les juridictions françaises rejetant ses arguments relatifs à une atteinte disproportionnée à sa vie privée. Ces dernières vont pourtant être démenties par la Cour européenne des droits de l’homme laquelle condamne la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en pointant deux insuffisances majeures s’agissant de la proportionnalité de l’ingérence.
La première est relative à la durée de conservation des profils ADN s’agissant des personnes condamnées. L’article R. 53-14 du Code de procédure pénale dispose que la durée de conservation ne peut dépasser quarante ans, et ce, sans distinction selon la nature ou la gravité des infractions. Or, comme la Cour le rappelle, le droit interne des États « doit notamment assurer que ces données sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ». En l’espèce, elle relève que « la durée de quarante ans est en pratique assimilable, sinon à une conservation indéfinie, du moins à une norme plutôt qu’à un maximum ». Or, cette période maximum aurait dû être aménagée par décret puisque comme le rappelle la Cour, le Conseil constitutionnel français lui-même avait, dans sa décision du 16 septembre 2010, déclaré les dispositions relatives au fichier incriminé conformes à la Constitution, sous réserve entre autres « de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées » (Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC). Cette réserve d’interprétation n’a pas été mise en œuvre par les autorités nationales. La Cour souligne justement la différence de situation entre le requérant, condamné pour de simples coups de parapluie donnés en direction de gendarmes qui n’ont pas même été identifiés et des faits relevant d’infractions sexuelles, du terrorisme ou encore des crimes contre l’humanité ou de la traite des êtres humains. La durée de conservation n’est donc pas proportionnée à la nature des infractions et aux buts des restrictions au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Un tel défaut aurait pu être contrebalancé par la possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées. Mais tel n’est pas le cas, et c’est là la seconde insuffisance de la législation française, puisqu' une telle procédure est inexistante pour les personnes condamnées. Le code de procédure pénale réserve cette possibilité aux personnes soupçonnées.
Le constat de violation était donc inévitable puisque, comme le concluent les juges européens, « le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG, auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement, n’offre pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante à l’intéressé. Elle ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».
Deux interventions, cumulatives, sont à présent nécessaires. D’une part, une réforme législative pour introduire une procédure ouvrant une possibilité d’effacement concernant les personnes définitivement condamnées. La Cour européenne indique expressément « que les personnes condamnées devraient également se voir offrir une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées » (§ 44). D’autre part, une modification réglementaire doit être menée permettant enfin de moduler la durée de conservation des empreintes génétiques au fichier, proportionnellement à la nature ou à la gravité des infractions concernées. Le futur texte devra également adapter ces modalités aux spécificités de la délinquance des mineurs conformément à la décision du Conseil constitutionnel, ce dernier ayant aussi stigmatisé l’absence de disposition prenant en compte l'âge de la personne concernée pour l'inscription dans ce fichier. Or cette omission est contraire à la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des mineurs, par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const., 13 mars 2003, n° 2003-467 DC).
CEDH 22 juin 2017, Aycaguer c/ France, n° 8806/12
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ CEDH, gr. ch., 4 déc. 2008, S. et Marper c/ Royaume-Uni, nos 30562/04 et 30566/04, Dalloz actualité 17 déc. 2008, obs. Léna, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; D. 2010. 604, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2009. 81, obs. G. Roussel ; RFDA 2009. 741, étude S. Peyrou-Pistouley ; RSC 2009. 182, obs. J.-P. Marguénaud.
■ Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, Dalloz actualité 28 sept. 2010, obs. Léna, D. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2010. 545, étude J. Danet.
■ Cons. const., 13 mars 2003, n° 2003-467 DC, D. 2004. 1273, obs. S. Nicot ; RSC 2003. 614, obs. V. Bück.
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