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[ 5 octobre 2011 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Cours d’éducation sexuelle dans les écoles publiques : obligation d’assiduité confirmée

Mots-clefs : Droit à l’instruction, Écoles publiques, Dispense (non), Convictions religieuses et philosophiques, Intérêt de l’enfant, Pluralisme, Objectivité, Intérêt public

Si la Convention européenne des droits de l’homme garantit aux parents le droit au respect de leurs convictions religieuses ou philosophiques, elle ne garantit pas le droit que l’éducation de leurs enfants soit assurée en totale conformité avec ces convictions qui peuvent ainsi se voir confrontées à des opinions contraires.

L’intégration d’un cours d’éducation sexuelle dans les programmes obligatoires des écoles publiques soulève la difficulté de savoir si l’on peut autoriser des enfants à être dispensés de les suivre pour des raisons religieuses ou philosophiques.

En l’espèce, des couples mariés de nationalité allemande ont sollicité auprès des écoles publiques où leurs enfants étaient inscrits des dispenses notamment pour le suivi des cours d’éducation sexuelle et d’un atelier de théâtre ayant pour thème préventif les abus sexuels dont ces derniers pourraient être victimes. Membres de l’Église évangélique baptiste, ils estimaient que ces enseignements étaient contraires à leurs convictions et pourraient nuire au développement moral de leurs enfants. Devant le refus des administrations justifié par le fait que ces cours étaient obligatoires en vertu des directives et programmes arrêtés, ils passèrent outre et gardèrent leurs progénitures à leurs domiciles. La direction des écoles leur infligea alors une amende pour absentéisme, sanction qui fut confirmée par les plus hautes juridictions internes au motif que le droit des parents d’éduquer leurs enfants et leur droit à la liberté de religion et de pensée étaient limités par la mission éducative de l’État (scolarité obligatoire) qui devait être menée avec neutralité et tolérance à l’égard des opinions parentales en ces matières. Pour autant les cours ne furent pas suivis par les enfants ni les amendes acquittées par les parents qui furent par la suite condamnés à des peines d’emprisonnement conformément aux dispositions nationales. Invoquant l’article 2 du Protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme (droit à l’instruction) et les articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 8 (droits au respect de la vie privée et familiale) de la Convention, les couplent saisirent alors la Cour européenne des droits de l’homme au motif que les refus de dispenses des autorités allemandes avaient entraîné une restriction à leur droit d’éduquer leurs enfants dans le respect de leurs convictions religieuses. Le grief fut rejeté pour défaut manifeste de fondement.

Cette affaire n’est pas sans rappeler celle jugée par la même Cour le 7 décembre 1976 qui consacra l’instruction comme droit fondamental (affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark où la loi danoise imposait des cours d’éducation sexuelle dans ses programmes scolaires dispensés dans les écoles publiques).

Aussi, l’article 2 du Protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme commande aux États :

– d’instruire ;

– et de s’assurer que cette instruction soit faite « conformément [aux] convictions religieuses et philosophiques » des parents.

C’est donc sur ce droit fondamental du droit à l’instruction que se greffe le droit des parents au respect de leurs convictions, ce terme n’étant pas synonyme des mots « opinion » et d’« idée » tels qu’employés aux articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 10 (liberté d'expression) de la Convention mais « s'appliquant à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance » (CEDH 25 févr. 1982, Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, § 36).

Est ainsi visé l’ensemble du programme de l’enseignement public, et non seulement certains cours. L’article 2 du Protocole prescrit aux États de respecter lors de l’élaboration du programme les convictions religieuses et philosophiques des parents (l’État ne peut donc privilégier une religion ou croyance). L’État doit s’assurer que tous les enseignements obligatoires soient donnés de manière objective, critique et pluraliste (CEDH 29 juin 2007, Folgerø et autres c. Norvège, § 102), l’article 2 du Protocole interdisant uniquement une instruction dispensée dans un but d’endoctrinement. Cette limite s’impose donc pour garantir le respect des convictions parentales.

Toutefois lorsque le droit des parents au respect de leurs opinions entre en conflit avec le droit de l’enfant à l’instruction, l’intérêt de ce dernier prime (affaire Kjeldsen, préc.). Aussi, relève plus de considérations d’intérêt public — que morales — incombant à un État démocratique, le fait d’alerter, dans un but formateur et préventif, des enfants sur des phénomènes dangereux (par ex. : abus sexuels, MST, contraception) afin de leur permettre de mieux appréhender leur vie future. Il n’en demeure pas moins que les parents disposent toujours de la faculté de les instruire eux-mêmes à domicile (ou de confier leur éducation à des établissements privés subventionnées par l’État), ou encore d’éclairer ou arbitrer les propos tenus en cours dans un esprit conforme à leurs propres croyances.

Reprenant tous ces éléments découlant de l’article 2 du Protocole, la Cour conclut, dans l’arrêt commenté, que les objectifs poursuivis par les établissements allemands étaient conformes aux principes de pluralisme et d’objectivité, que les autorités allemandes n’avaient pas outrepassé la marge d’appréciation dont elles disposent en la matière et qu’aucune question distincte ne se posait sous l’angle des articles 8 et 9 de la Convention.

Soulignons que malgré le principe de laïcité, la France n’est pas à l’abri de ce genre de difficultés. On rappellera en effet qu’une question similaire fut posée à propos d’une campagne d'information auprès des lycéens et collégiens sur la contraception. Le Conseil d’État avait pu alors juger que, répondant à un but de santé publique, elle ne portait atteinte ni au principe de neutralité de l'enseignement public (art. 1er Const., principe de laïcité), ni à l'autorité parentale (art. 371-1 C. civ. ; CE 6 oct. 2000, Assoc. Promouvoir et a. ; v. aussi CE 18 oct. 2000, à propos d’une circulaire du ministre de l'Éducation relative à l'enseignement portant sur l'éducation à la sexualité et la prévention du SIDA ne reconnaissant pas les principes de laïcité et de neutralité et qui ne portait pas atteinte aux convictions religieuses et philosophiques des élèves, de leurs parents ou des enseignants.).

CEDH 13 sept. 2011, Dojan And Others v. Germany, requêtes nos 319/08, 2455/08, 7908/10, 8152/10 et 8155/10

Références

G. Gonzalez, « Le droit à l’instruction au sens de la Convention européenne des droits de l’homme », RFDA 2010. 1003.

Article 2 du Protocole n°1 – Droit à l'instruction

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'État, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 9 - Liberté de pensée, de conscience et de religion

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 10 - Liberté d'expression

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

■ Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »

■ Article 371-1 du Code civil

« L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant.

Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »

■ CEDH 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, requête no 5095/71 ; 5920/72 ; 5926/72.

■ CEDH 25 févr. 1982, Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, requête no 7511/76 ; 7743/76.

■ CEDH 29 juin 2007, Folgerø et autres c. Norvège, requête no 15472/02.

■ CE 6 oct. 2000, Assoc. Promouvoir et a., AJDA 2000. 1060.

CE 18 oct. 2000, n° 213303.

 

 

Auteur :A. T.

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