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[ 6 avril 2021 ] Imprimer

Droit des assurances

Covid-19 : un assureur condamné pour la première fois en appel à indemniser un restaurateur

L’assureur doit indemniser le restaurateur de ses pertes d’exploitation à la suite de la fermeture administrative de son établissement causée par l’épidémie de la covid-19. La clause d’exclusion de garantie, qui n’est pas suffisamment délimitée (C. assur., art. L. 113-1) et qui prive l’obligation essentielle de garantie de sa substance, est réputée non écrite.

Aix-en-Provence, 25 févr. 2021, n° 20/10357

Nul n’ignore l’ampleur des méfaits économiques de la covid-19 dans le secteur de la restauration. Afin d’en ralentir la propagation, les restaurants et débits de boissons ont été contraints, lors du premier confinement, à une fermeture du 15 mars au 2 juin 2020 (art. 1er de l’arrêté du ministère de la Santé du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 ; art. 8 Décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 ; art. 40 Décr. n° 2020-1310 du 29 oct. 2020). 

Afin de limiter la baisse inévitable de leurs recettes, une activité partielle de vente à emporter a toutefois été admise au profit des établissements se livrant déjà à ce mode de restauration, autorisé par la clause de destination du bail commercial (C. civ., art. 1719). Cela étant, avant même la survenance de ce fléau à la fois sanitaire et économique, une majorité de restaurateurs, en prévention du risque d’une baisse de leur activité pouvant résulter d’une fermeture partielle ou totale de leur établissement, avaient souscrit une « assurance pertes d’exploitation », généralement intégrée au sein d’un contrat plus large d’assurance « multirisques », comme c’était le cas du restaurateur impliqué dans le présent arrêt, dont la police assurantielle garantissait ses pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative. À l’instar de nombreux professionnels du secteur, assurés pour ce type de sinistres, il avait appelé son assureur en garantie pour être indemnisé de ses pertes d’exploitation. Le succès de son action n’était en rien prévisible.

En effet, à la suite du refus de certains assureurs de garantir ce risque pandémique, dont la couverture serait en soi impossible (Trib. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022), plusieurs tribunaux de commerce ont été saisis et, à cette occasion, conduit à rendre des décisions divergentes. Minoritaires, certaines avaient toutefois été rendues en faveur de l’assureur (Trib. com. Toulouse, 18 août 2020, n° 2020J00294 ; Trib. com. Lyon, 4 nov. 2020, n° 2020J00525), de même qu’en appel, la même juridiction d’Aix-en-Provence avait refusé de condamner une compagnie d’assurances à indemniser son assuré de ses pertes d’exploitation à la suite de l’épidémie de covid-19 (Aix-en-Provence, 3 déc. 2020, n° 20/07308 ; contra, Trib. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022; Trib. com. Annecy, 22 déc. 2020 n° 2020R00066 ; Trib. com. Marseille, 23 juill. 2020, n° 2020R00131). Par l’arrêt rapporté, cette même cour d’appel condamne pourtant la compagnie d’assurances AXA à indemniser un de ses assurés. Cet arrêt d’appel, le premier rendu au fond sur la question de l’indemnisation des pertes d’exploitation, présente un intérêt certain pour les restaurateurs, si l’on s’en tient au nombre de litiges similaires pendants devant plusieurs juridictions de premier degré et d’appel. Si ces professionnels de la restauration ont généralement, dans ce type de litiges, les faveurs du juge, la difficulté réside toutefois dans l’aléa inéluctable de son appréciation, dépendante de la rédaction propre à chaque police d’assurance soumise à son examen, de la validité de la clause d’exclusion et de sa condition de limitation (v. D. Houtcieff, « La garantie des pertes d’exploitation résiste-t-elle à la covid-19 ? », Gaz. Pal. 5 janv. 2021, p. 29 : « Chaque décision est liée aux circonstances de l’espèce et à la rédaction du contrat qui lui est soumis »).

En l’espèce, un restaurateur avait souscrit un contrat d’assurance multirisque professionnelle auprès de la compagnie d’assurances AXA France garantissant les pertes d’exploitation dues à une fermeture administrative consécutive, notamment, à une épidémie, dans la mesure, cependant, où « au moins un autre établissement, quelle que soit la nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». C’est à l’appui de cette clause d’exclusion que l’assureur du restaurateur lui a opposé, après que ce dernier eut effectué une déclaration de sinistre pour perte financière, un refus de garantie.

 En première instance, le tribunal de commerce, au visa des articles L. 113-1 du Code des assurances, 1170 et 1190 du Code civil, a réputé la clause litigieuse non écrite et condamné l’assureur à indemniser le restaurateur de ses pertes d’exploitation, dont le montant restait simplement à évaluer. L’assureur ayant interjeté appel, la cour d’Aix-en-Provence confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce. Selon les juges, la garantie « perte d’exploitation suite à la fermeture administrative » trouve à s’appliquer, au motif que le contrat d’assurance souscrit garantit les pertes d’exploitation liées à une fermeture administrative consécutive à une épidémie et qu’en l’espèce, le lien direct de causalité entre la pluralité des décisions administratives interdisant les établissements de restauration à recevoir du public en raison de l’épidémie de covid-19 et les pertes d’exploitation de l’assuré était établi. 

Ainsi les juges ont-ils assimilé l’interdiction réglementaire d’accueillir du public à une décision de fermeture administrative de l’établissement. La clause d’exclusion ne pouvait donc, en raison de cette assimilation, trouver à s’appliquer. En outre, l’imprécision de cette stipulation et son absence de délimitation de la garantie prévue devaient également conduire les juges aixois à en refuser la mise en œuvre, à la fois sur le fondement du droit spécial des assurances et sur le fondement du droit commun.

■ Sur le fondement du droit spécial des assurances

Pour écarter l’application de la clause d’exclusion, les juges se fondent d’abord sur les dispositions de l’article L. 113-1 du Code des assurances aux termes duquel « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Aux termes de ce texte, l’exclusion de garantie doit être formelle et limitée. La clause d’exclusion ne doit pas être sujette à interprétation. 

La Cour de cassation a ainsi plusieurs fois jugé que la clause d’exclusion sujette à interprétation n’est ni formelle, ni limitée (Civ. 1re, 22 mai 2001, n° 99-10.849 ; Civ. 3e, 27 oct. 2016, n° 15-23.841). En l’espèce, la Cour d’appel a écarté l’application de la clause rédigée en violation de ces dispositions, la réputant non écrite. Sa rédaction ne permettait pas, en effet, de la considérer comme suffisamment limitée. 

Elle prévoyait d’abord que la décision de fermeture devait être la conséquence d’une « maladie contagieuse » ou d’une « épidémie ». Les juges d’appel relèvent d’abord l’absence de définition précise dans la police du terme « épidémie » pour proposer celle issue du lexique général, la concevant comme « le résultat du développement et de la propagation rapide d’une maladie contagieuse dans une population » (rappr. Trib. com. Lyon, 4 nov. 2020, préc.). 

Cette lacune en soulevait une autre, relevée par les juges : la notion de « population » peut être, sans d’autre précision, celle « d’un lieu limité, mais aussi d’un village, d’une ville d’une région, d’un ou de plusieurs pays ». Ils observent encore que le terme « maladie contagieuse » présent tout à la fois dans la définition de l’épidémie que dans le contrat d’assurance litigieux n’était pas davantage définie dans la police, alors même qu’elle pourrait faire double emploi avec la notion d’ «épidémie », a fortiori qu’il a déjà été énoncé « qu’une épidémie ne se situe pas forcément à un niveau territorialement étendu » mais peut « naître au sein d’un endroit source précis et toucher un nombre de personnes plus restreint, formant ainsi un foyer limité dans l’espace » (Trib. com. Lyon, 4 nov. 2020, préc.). 

Équivoque et, partant, sujet à interprétation, le terme « épidémie » empêchait de considérer la clause d’exclusion comme formelle et limitée. Au surplus, l’évasive référence à un « autre établissement », devant faire l’objet, « sur le même territoire départemental » d’une fermeture administrative « pour cause identique » s’y opposait également. La clause prévoyait ainsi simplement que d’autres établissements, dont la nature et l’activité étaient indifférentes, situées sur une même circonscription géographique, devraient être concernés. 

L’ensemble de ce qui précède révèle que la clause d’exclusion de garantie ne reposait donc pas sur des critères précis, ni ne dressait des hypothèses limitativement énumérées d’application (L. Vogel et J. Vogel, « Les contentieux commerciaux liés à la crise sanitaire et leurs enseignements », JCP févr. 2021.239). 

Enfin, s’agissant d’une épidémie, on conçoit mal qu’elle ne puisse circuler dans un seul établissement, et sur un territoire géographique relativement étroit. Ainsi, la clause était-elle rédigée en sorte que l’hypothèse en l’occurrence visée pouvait tout aussi bien être transposée à toute autre cause d’exclusion susceptible de se reproduire dans un autre établissement situé sur le territoire départemental, tel un attentat ou un crime par exemple.

Au surplus, cette clause devait également être écartée sur le fondement du droit commun.

■ Sur le fondement du droit commun

Les juges d’appel écartent également l’application de la clause d’exclusion sur le fondement des articles des articles 1170 et 1190 du Code civil :

-          L’article 1170 du Code civil dispose que « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite » ;

-          l’article 1190 du Code civil dispose que « Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ». 

Or, le doute créé par la rédaction confuse de la clause d’exclusion devait être interprété en faveur du débiteur et contre l’assureur l’ayant proposée, dont l’équivocité de l’engagement conduisait de surcroît à priver de sa substance son obligation essentielle de garantie. En effet, il ne pouvait ignorer qu’une épidémie implique nécessairement un nombre significatif de cas d’une maladie infectieuse, en un lieu donné et pendant une période donnée, et un risque ou un effet de propagation, ce qui la caractérise (rappr. Trib. com. Tarascon, 24 août 2020, n° 2020/001786). En conséquence, les juges considèrent que la clause litigieuse, visant la circonstance de la fermeture d’un autre établissement que celui de l’assuré dans le même département, conséquence nécessaire des mesures ordonnées en l’état de la propagation d’une maladie infectieuse, a nécessairement pour effet de vider la garantie due par la société d’assurance de sa substance. L’antinomie est effet patente : l’assureur ne pouvait s’engager à indemniser son assuré des pertes d’exploitation subies en conséquence d’une fermeture administrative liée à une épidémie et exclure en même temps sa garantie dans le cas, pourtant inévitable en cette circonstance, où l’épidémie toucherait un autre établissement dans le même département. Vidant de son contenu la garantie accordée, la clause litigieuse devait être réputée non écrite.

La cour d’appel condamne ainsi l’assureur à verser à son assuré une indemnité provisoire couvrant la période du premier confinement ainsi que celle correspondant aux décisions postérieures de fermeture administrative de son établissement. Le montant des pertes d’exploitation devra être évalué par expert mandaté par l’assureur.

NB : Significative, cette solution ne saurait toutefois avoir valeur de principe, compte tenu de la diversité des polices d’assurance et des termes de leur rédaction, déterminantes en cette matière. 

Références 

■ Trib. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022: JT 2020, n° 232, p. 12, obs. X. Delpech

■ Trib. com. Toulouse, 18 août 2020, n° 2020J00294

■ Trib. com. Lyon, 4 nov. 2020, n° 2020J00525

■ Aix-en-Provence, 3 déc. 2020, n° 20/07308

■ Trib. com. Annecy, 22 déc. 2020 n° 2020R00066

■ Trib. com. Marseille, 23 juill. 2020, n° 2020R00131

■ Civ. 1re, 22 mai 2001, n° 99-10.849 P:  D. 2001. 2778, note B. Beignier ; ibid. 2002. 2115, obs. J. Bonnard ; RDI 2001. 488, obs. G. Durry

■ Civ. 3e, 27 oct. 2016, n° 15-23.841 P: D. 2016. 2212 ; RDI 2016. 654, obs. D. Noguéro

■ Trib. com. Tarascon, 24 août 2020, n° 2020/001786

 

Auteur :Merryl Hervieu


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