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Droit de la responsabilité civile
Crédit affecté : la banque ne peut obtenir la restitution du capital prêté lorsque le vendeur est insolvable
Lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l’annulation du contrat de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, l’emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d’une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n’a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.
Civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 22-24.754
Le « crédit affecté », dit aussi « crédit lié », est une forme particulière de crédit à la consommation. L’article L. 311-1, 11° du Code de la consommation le définit comme un contrat de financement « servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ». Les deux contrats – le contrat principal financé et le contrat accessoire de financement - constituent alors une « opération commerciale unique ».
Depuis plusieurs années, le contentieux noué autour des crédits affectés ayant servi à financer l’acquisition et l’installation de panneaux photovoltaïques ou de pompes à chaleur s’est considérablement développé. Initialement rendue sur le fondement du seul droit spécial de la consommation, la jurisprudence récente recourt désormais au droit commun de la responsabilité civile et, en particulier, au principe de causalité pour accroître la protection du consommateur. La décision rapportée confirme cette évolution et en précise la portée concernant un point discuté en jurisprudence, celui de la caractérisation du préjudice causé à l’acheteur-emprunteur par la faute du prêteur dans le déblocage des fonds.
En l’espèce, le 25 juin 2014, par un contrat conclu hors établissement, un particulier avait commandé à une société spécialisée la fourniture et la pose de panneaux solaires ainsi qu’un ballon thermodynamique dont le prix avait été financé par un crédit souscrit le 16 juillet 2014. Invoquant l’irrégularité du bon de commande, l’emprunteur avait assigné le vendeur et la banque en annulation du contrat de vente et du contrat de crédit affecté et en restitution par la banque des sommes versées en remboursement du contrat de crédit. Par ailleurs, mais ce fait se révèlera essentiel, le vendeur avait été placé, par jugement du 17 décembre 2015, en liquidation judiciaire. En cause d’appel, la banque fut condamnée à indemniser l’emprunteur, privé par sa faute de la possibilité d’obtenir la restitution du prix de la vente annulée, pour un montant équivalant au capital emprunté. La banque a formé un pourvoi en cassation, invoquant l’absence de préjudice subi par l’emprunteur. Sans surprise au regard de la faute qu’elle avait commise, son pourvoi est rejeté.
Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle que, selon les anciens articles L. 311-32 et L. 311-33, devenus L. 312-55 et L. 312-56 du Code de la consommation, en cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Plus drastiquement, celui-ci sera résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Enfin, si la résolution judiciaire ou l'annulation du contrat principal survient du fait du vendeur, celui-ci peut, à la demande du prêteur, être condamné à garantir l'emprunteur du remboursement du prêt, sans préjudice de dommages et intérêts vis-à-vis du prêteur et de l'emprunteur.
La Cour confirme ensuite qu’en cas d’’annulation ou de résolution du contrat accessoire de crédit, consécutive à celle du contrat principal, l’emprunteur est par principe obligé de restituer au prêteur le capital emprunté, même si le montant du crédit a été directement versé par la banque au vendeur ou au prestataire (Civ. 1re, 2 mai 1989, n° 87-18.059 ; Civ. 1re, 9 nov. 2004, n° 02-20.999).
Cependant, cette obligation est limitée par une exception consacrée par une jurisprudence devenue constante, selon laquelle le banquier commet une faute en consentant le crédit affecté sans avoir vérifié la régularité du contrat principal au regard des dispositions protectrices du droit de la consommation (Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-26.585 ; Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-14.951, relevant de nombreuses irrégularités tenant à l’absence des mentions des modalités d’exécution du contrat et à l’imprécision des caractéristiques des biens vendus). L’arrêt rapporté est dans le droit fil de cette jurisprudence. Aussi, l’argument du prêteur selon lequel l’emprunteur avait signé une « attestation de livraison » dans laquelle il affirmait que le bien lui avait été livré et les prestations valablement réalisées, ne pouvait prospérer.
La motivation de la Cour se resserre ensuite sur l’évolution de sa jurisprudence concernant les conséquences de la faute du prêteur dans le déblocage des fonds lors d’un crédit lié. Ainsi a-t-elle d’abord jugé que cette faute emportait, pour la banque, privation du droit d’obtenir la restitution du capital, ce qui constituait un mécanisme de réparation conduisant à ce que l’emprunteur se trouve déchargé de sa dette (Civ. 1re, 27 juin 2018, n° 17-16.352 ; Civ. 1re, 14 févr. 2018, n° 16-29.118 à 16-29.122). Cette solution fut ensuite délaissée en vertu des règles issues du droit de la responsabilité civile. Depuis un arrêt du 25 novembre 2020, elle juge en effet qu’ « en vertu du droit commun de la responsabilité civile, le prêteur ne peut être privé de sa créance de restitution que si l'emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien causal avec cette faute » (Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-14.908). La Cour de cassation avait ainsi, en l’absence de préjudice, laissé inchangée la créance du prêteur dans l’hypothèse où l'installation avait été correctement raccordée au réseau d'électricité, qu’elle avait fonctionné après sa mise en service et qu'un contrat avait été conclu pour vendre l’électricité produite et, le cas échéant, bénéficier d’un crédit d’impôt, et ce, indépendamment de l’insolvabilité du vendeur (Civ. 1re, 19 mai 2021, n° 19-20.992, Civ. 1re, 20 oct. 2021, n° 20-12.411 ; Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-11.970 ; Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.457 ; Civ. 1re, 17 mai 2023, n° 22-16.429).
À la suite de la jurisprudence précitée, une question s’est rapidement posée : l’impossibilité pour l’emprunteur de récupérer le prix de l’installation auprès du vendeur devenu insolvable constitue-t-il un préjudice en lien de causalité avec la faute de la banque de nature à la priver de sa créance de restitution ? La Cour observe dans l’arrêt rapporté que les juridictions du fond sont divisées sur ce point. Si certaines cours d’appel retiennent que le préjudice matériel subi par les emprunteurs en raison de la libération fautive, par la banque, du capital emprunté, est caractérisé par l'impossibilité d’obtenir la restitution du prix auprès du vendeur insolvable, d’autres jugent à l’inverse que si l’installation conservée par les acquéreurs fonctionne et produit de l’électricité, aucun préjudice n’est subi, malgré l’insolvabilité du vendeur et l’impossibilité de récupérer auprès de celui-ci le prix de vente, la faute de la banque n’étant pas en lien causal avec la liquidation judiciaire.
La première chambre civile considère alors qu’il convient de préciser la portée de la solution qu’elle avait posée dans l'arrêt précité du 25 novembre 2020. Dans cette perspective, elle affirme pour la première fois que si en principe, à la suite de l'annulation de la vente, l’emprunteur obtient du vendeur la restitution du prix, de sorte que l’obligation de restituer le capital à la banque ne constitue pas, en soi, un préjudice réparable, il en va différemment lorsque le vendeur est en liquidation judiciaire. En effet, dans une telle hypothèse, d’une part, compte tenu de l’annulation du contrat de vente, l’emprunteur n’est plus propriétaire de l'installation qu’il avait acquise, laquelle doit pouvoir être restituée au vendeur ou retirée pour éviter des frais d'entretien ou de réparation ; d’autre part, l'impossibilité pour l’emprunteur d'obtenir la restitution du prix est, selon le principe d'équivalence des conditions, une conséquence de la faute de la banque dans l’examen du contrat principal. Il est ici intéressant de relever qu’à l’effet de protéger les intérêts des emprunteurs, la Cour fait le choix de la théorie de l’équivalence des conditions alors qu’en matière contractuelle s’applique traditionnellement la théorie alternative de la causalité adéquate.
Dont acte : si la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné à la suite de l’annulation du contrat de vente ou de prestation de service est devenue impossible du fait de son insolvabilité, l'emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d’une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n’a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.
C’est la raison pour laquelle la décision de la cour d’appel est en l’espèce approuvée. Après avoir annulé la vente en raison des irrégularités qui affectaient le bon de commande, l’arrêt de la cour d’appel a retenu, d’une part, qu’en libérant le capital emprunté sans vérifier la régularité du contrat principal, la banque avait manqué à ses obligations, d'autre part, que l’emprunteur avait subi un préjudice consistant à ne pas pouvoir obtenir, auprès d’un vendeur placé en liquidation judiciaire, la restitution du prix de vente d’un matériel dont il n'était plus propriétaire.
Par conséquent, dès lors que ce préjudice, indépendamment de l’état de fonctionnement de l’installation, n’aurait pas été subi sans la faute de la banque, c’est à bon droit que la cour d’appel a condamné celle-ci à verser à l’emprunteur, à titre de dommages et intérêts, une somme correspondant au capital emprunté.
Nouvelle illustration de l’interpénétration du droit commun et des droits spéciaux, la présente décision est également importante en pratique en ce qu’elle apporte d’utiles précisions sur la caractérisation et l’évaluation du préjudice subi par le consommateur souscripteur d’un crédit affecté, ce qui devrait mettre un terme aux divisions des juridictions du fond sur cette question.
Références :
■ Civ. 1re, 2 mai 1989, n° 87-18.059
■ Civ. 1re, 9 nov. 2004, n° 02-20.999 : D. 2005. 76, et les obs. ; RTD com. 2005. 156, obs. D. Legeais ; ibid. 584, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-26.585
■ Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-14.951
■ Civ. 1re, 27 juin 2018, n° 17-16.352
■ Civ. 1re, 14 févr. 2018, n° 16-29.118 à 16-29.122
■ Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-14.908 : D. 2021. 887, note M.-O. Barbaud ; ibid. 483, chron. X. Serrier, S. Robin-Raschel, S. Vitse, V. Le Gall, V. Champ, C. Dazzan, E. Buat-Ménard et C. Azar ; RTD com. 2021. 172, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 19 mai 2021, n° 19-20.992
■ Civ. 1re, 20 oct. 2021, n° 20-12.411
■ Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-11.970 :
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