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[ 19 mars 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Crédit excédant les capacités de remboursement du souscripteur

Mots-clefs : Banque, Crédit, Prêt, Devoir de mise en garde, Emprunteur, Capacités de remboursement, Insuffisance, Taux d’endettement, Devoir d’alerte

Manque à son devoir de mise en garde le banquier dispensateur de crédit qui consent un prêt supplémentaire à ses clients sans tenir compte de leur taux d’endettement et de leur situation financière présente et à venir.

Un couple avait conclu un contrat de construction de maison individuelle assorti de la fourniture des plans de construction pour le prix de 149 952 euros. Ils avaient à cette fin accepté une offre de prêt immobilier comprenant un prêt de 134 319 euros au taux de 4,5 % l'an remboursable en trois-cents mensualités successives et un prêt relais de 63 500 euros, lequel avait été remboursé. Un peu moins d’un an plus tard, la banque avait consenti aux emprunteurs un nouveau prêt immobilier de 30 000 euros garanti par une hypothèque conventionnelle. Puis, en raison de la défaillance des emprunteurs, elle avait, deux ans après le dernier prêt consenti, prononcé la déchéance du terme et assigné ceux-ci en paiement. Ces derniers lui avaient alors opposé un manquement à son devoir de mise en garde.

Pour rejeter l'action en responsabilité de la banque engagée par les emprunteurs au titre du prêt de 30 000 euros, l'arrêt retint que le taux de leur endettement issu de l'octroi du précédent prêt immobilier était de 33,98 % (un usage bancaire indique qu’un taux d’endettement ne dépassant 33 %, n’est pas excessif), que leur situation financière s'était ensuite dégradée du seul fait de leur achat d'un nouveau véhicule, et que leur défaillance découlait de l'arrêt maladie de l’emprunteuse, de sorte qu'il n'était pas démontré que leurs difficultés financières eussent été liées à une charge excessive de remboursement de prêt imposée par la banque, qui justifiait par ailleurs s'être régulièrement fait transmettre, à chaque demande de financement, les documents nécessaires pour un examen de la situation des emprunteurs.

Au visa de l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la décision de la cour d’appel est cassée, la Haute cour lui reprochant de ne pas avoir recherché, comme il le lui incombait, si le taux d'endettement induit par la souscription du prêt litigieux n'aurait pas été de nature à justifier la mise en garde des emprunteurs, que la banque n’avait pourtant pas alertés des risques encourus. 

La jurisprudence récente révèle une nette tendance à retenir la responsabilité des banques qui consentent des crédits excédant les capacités de remboursement des souscripteurs. Par plusieurs arrêts, la Cour de cassation a imposé, à l’effet d’éviter de tels excès, un devoir de mise en garde à la charge de tout établissement de crédit. Ce devoir se décompose en deux obligations. 

Tout d’abord, avant d’accepter d’apporter son concours, le banquier doit vérifier les capacités financières de l'emprunteur (Civ. 1re , 2 nov. 2005, n° 03-17.443 ) au jour où il octroie le crédit mais en tenant compte de la situation à venir de l'emprunteur. 

Dès lors, le banquier doit s’enquérir des affaires en cours ou à venir de son client, des éléments de son patrimoine, de ses éventuelles dettes de remboursement, étant entendu que cette immixtion doit se limiter à ce qui est nécessaire pour apprécier les risques de l'endettement. Il en résulte qu'il ne saurait être reproché à la banque un manquement dans son devoir de mise en garde en cas de déloyauté du prêteur, notamment lorsque celui-ci lui a dissimulé l'existence de prêts en cours de remboursement et a porté à sa connaissance des éléments d'information compatibles avec l'octroi du prêt qu'il sollicite (Civ. 1re, 30 oct. 2007, n° 06-17.003production d'avis d'imposition et d'informations sciemment erronées portées dans la fiche de renseignements demandés par la banque). Sous cette réserve, le banquier a donc un double devoir de vérification et d’anticipation, puisqu’il doit mesurer, évaluer en conséquence des informations qui lui sont soumises, la situation financière présente et future de celui qui lui demande son concours. 

Ensuite, si la vérification des capacités financières de l'emprunteur, présentes et à venir, laisse apparaître des risques résultant de l'endettement, et uniquement dans ce cas (Com. 7 juill. 2009, n° 08-13.536), le banquier doit alerter ce dernier de ces risques (Civ. 1re, 12 juill. 2006, n° 05-12.699).

Ce sont ces deux étapes successives que vient illustrer la décision rapportée. La Cour reproche à la banque, lors de la conclusion du second prêt, de ne pas avoir suffisamment pris en compte la situation financière de ses clients, qui avaient alors vu leur taux d'endettement s'élever à 49,65%, et de ne pas les avoir informés en conséquences des risques d'endettement nés de l'octroi de ce nouveau prêt, en raison de l’affaiblissement avéré de leurs capacités financières, et notamment de l'incapacité dans laquelle ils se trouveraient de faire face au moindre imprévu. Ainsi la Cour juge-t-elle, même implicitement, que le banquier est tenu d'un devoir de mise en garde qui lui impose d'informer ses clients de ce que l'effort financier attendu de leur part pourrait être supérieur à celui initialement prévu ; or en l’espèce, la banque avait, en consentant le second prêt, débloqué des fonds pour le règlement de travaux qui n'étaient pas initialement prévus par le contrat de construction de maison individuelle, ce qui justifiait de la juger responsable des conséquences préjudiciables du versement effectué en conséquence de cette charge financière supplémentaire qui entamait la capacité déjà amoindrie de remboursement de ses clients, qu’elle aurait donc dû alertés. 

Il est à noter, enfin, que le devoir de mise en garde se comprend généralement, et cette décision en témoigne, comme une invitation ferme à ne pas contracter. Alerter pour éviter d’agir. Ou plutôt pour ne pas mal à agir. Un conseil qui mérite d’être entendu…

Civ. 1re , 31 janv. 2018, n° 16-28.049

Références

■ Civ. 1re , 2 nov. 2005, n° 03-17.443 P: D. 2005. 3084, obs. V. Avena-Robardet ; RDI 2006. 294, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2006. 171, obs. D. Legeais.

■ Civ. 1re, 30 oct. 2007, n° 06-17.003 P: D. 2008. 256, obs. V. Avena-Robardet, note E. Bazin ; ibid. 638, chron. P. Chauvin et C. Creton ; RDI 2008. 35, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2008. 163, obs. D. Legeais.

■ Com. 7 juill. 2009, n° 08-13.536 P: D. 2009. 2318, obs. X. Delpech, note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2580, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; ibid. 2010. 2671, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RTD com. 2009. 795, obs. D. Legeais.

■ Civ. 1re, 12 juill. 2006, n° 05-12.699.

 

Auteur :M. H.

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