Actualité > À la une
À la une
Droit des obligations
Crédit immobilier : l’évaluation de la solvabilité de l’emprunteur
Pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus, incluant la valeur du bien immobilier financé par l'emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat.
Civ.1re, 9 nov. 2022, n° 21-16.846
En 2012, le client d’une banque avait conclu un prêt aux fins d’acquérir sa résidence principale. Des échéances étant demeurées impayées, la banque avait prononcé la déchéance du terme du prêt, puis assigné l'emprunteur en paiement. À titre reconventionnel, celui-ci avait demandé la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts, en soutenant qu'elle avait manqué à son obligation de mise en garde, à raison de ses capacités financières et des risques nés de l’octroi du crédit. La cour d’appel accueillit la demande de l’emprunteur : pour retenir que la banque était débitrice d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur, elle considéra, d'une part, que "la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur", et, d'autre part, qu'"il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé par la banque était précisément destiné à permettre à l'emprunteur d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation". Devant la Cour de cassation, la banque faisait valoir que le prêteur est dispensé d’une obligation de mise en garde envers l’emprunteur lorsque celui-ci, à la date où il s’est engagé, disposait de capacités financières lui permettant de faire face à son engagement, et ne se trouvait pas, par conséquent, exposé à un risque d'endettement. Au visa de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la décision de la cour d’appel est cassée, la Haute cour lui reprochant d’avoir ainsi statué, « sans prendre en compte la valeur du bien immobilier financé par l’emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat ».
Un devoir de mise en garde a été consacré par la jurisprudence à la charge de la banque prêteuse sur le fondement de l’ancien article 1147 du code civil, en l’espèce applicable. À ce titre, la banque doit vérifier que l'opération de crédit ne présente pas de risque d’endettement pour l'emprunteur au regard de sa capacité de remboursement (Civ. 1re, 12 juill. 2005 n° 03-10.921). Il en résulte qu’en amont de l’octroi d’un prêt, la banque doit s'informer sur les capacités financières de son client, exerçant par là-même son devoir de se renseigner dont découle le devoir, plus large, de mise en garde. À ce titre, le banquier doit justifier avoir satisfait à son obligation de se renseigner sur la capacité d’emprunt de son client au regard de ses revenus, ainsi que de son patrimoine immobilier (Com. 27 nov. 2012, n° 11-19.311). Par suite, soit le crédit se révèle adapté aux capacités financières de l'emprunteur, et la banque prêteuse est alors soustraite à tout devoir de mise en garde, soit le crédit se révèle excessif, auquel cas la banque devra exécuter son devoir de mise en garde, qui se traduit par un devoir d’alerter son client du risque d’endettement lié à l’octroi du crédit (Ch. Mixte, 29 juin 2007, n° 06-11.673 ; Civ.1re, 21 févr. 2006, n° 02-19.066). Ainsi, le devoir de mise en garde de la banque prêteuse n’est-il pas absolu : dans tous les cas où le prêt se révèle compatible avec la surface financière de l'emprunteur, elle n’y est pas tenue (Civ. 1re, 1er juin 2016, n° 15-15.051 ; D.2016.1252 ; Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-18.851).
Cependant, il est essentiel de relever qu’à cette création prétorienne que constitue le devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit s’adjoint une réglementation bancaire applicable depuis une ordonnance de mars 2016 (Ord. n°2016-351 du 25 mars 2016) transposant la directive européenne MCB sur le crédit immobilier (« Mortgage Credit Directive », Dir. 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel) qui prévoit, en particulier, un certain nombre de règles relatives à l’évaluation des biens immobiliers à usage résidentiel. L’instauration de cette réglementation a renouvelé notablement l’approche de l’octroi du crédit immobilier à usage résidentiel. Celle-ci a pour but principal de diminuer les risques d’insolvabilité encourus par les deux parties au contrat de prêt au moment de l’achat immobilier. Postérieure aux faits du litige, cette réglementation permet toutefois d’éclairer la solution ici rendue par la Cour de cassation concernant les critères requis d’évaluation de la solvabilité du candidat emprunteur.
En effet, une fois posé le principe selon lequel la banque est tenue d’un devoir de mise en garde en cas de crédit excessif, encore faut-il déterminer les éléments à prendre en compte pour mesurer la capacité de remboursement de l’emprunteur. Celle-ci s’apprécie traditionnellement au regard de la valeur des éléments du patrimoine, des revenus et des charges du candidat emprunteur au jour de la conclusion du contrat, garantissant le remboursement de l’emprunt. Au cas d’espèce, la Cour de cassation juge que doivent être pris en considération, à ce titre, les biens et revenus de l’emprunteur, ces derniers incluant la valeur du bien immobilier financé par l'emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat. Ainsi, la Cour retient que l’appréciation de la capacité de remboursement du candidat au crédit dépend, d’une part, de la valeur du bien financé par l’emprunt et, d’autre part, de son apport personnel (prix d’achat – montant du prêt). Or dans cette affaire, aucun de ces éléments d’appréciation n’allait de soi.
La Cour de cassation retient d’abord la nécessité d’intégrer, parmi les éléments d’appréciation de la solvabilité du candidat au crédit, la valeur du bien objet de l’emprunt, quand la cour d’appel s’y était opposée. Or cette exigence est directement issue de la réglementation bancaire MCD, quoique la Cour n’y fasse pas explicitement référence pour la raison chronologique sus-évoquée (prêt conclu en 2012). Rappelons brièvement le contexte de cette réglementation. Celle-ci est née de la crise américaine des subprimes de 2008. À l’époque, la fragilité des emprunts immobiliers consentis par les banques durant des années a contribué au développement d’une bulle immobilière. Au moment de son explosion, Wall Street s’est effondré et a entraîné le monde entier dans une vaste période de récession. L’Europe ayant voulu se prémunir de la survenance en son sein d’un phénomène similaire, une réglementation a été créée pour rationaliser le marché du crédit immobilier dans tous les états de l’Union européenne et imposer à ce titre aux prêteurs comme aux emprunteurs de nouvelles obligations. L’objectif poursuivi était double : sécuriser la viabilité des prêts accordés par les organismes bancaires ; améliorer l’information des emprunteurs. Dans cette perspective, les banques ont dû parfaire leurs méthodes d’évaluation de la solvabilité des emprunteurs en les soumettant aux nouvelles normes édictées. Ainsi, depuis la nouvelle réglementation MCD, les banques ont l’obligation de mesurer les risques de financement en définissant la valeur hypothécaire du logement concerné. À cette fin, elles doivent solliciter le concours d’experts indépendants qui sont chargés de s’assurer que le prix de vente est conforme à la valeur du bien pour garantir l’emprunt. Cette obligation a pour double effet de diminuer les risques encourus par le prêteur et de permettre à l’emprunteur d’obtenir des informations précises et transparentes à propos du prix du bien et de la valeur du prêt. C’est à la lumière de ce dispositif que la Cour de cassation condamne le refus des juges du fond d’intégrer la valeur du bien immobilier à usage résidentiel dans la liste des critères d’évaluation de la solvabilité de l’emprunteur. Quoique rendue sur le fondement du droit antérieur, cette solution permet ainsi de rappeler la nouvelle obligation d’évaluation immobilière mise à la charge de toute banque qui consent un prêt immobilier à usage résidentiel.
Elle retient ensuite que pour apprécier l’obligation de la banque de mettre en garde le candidat à l’emprunt contre les risques liés au crédit, il convient de tenir compte, non pas seulement de ses revenus, mais également de son apport personnel. La Cour de cassation admet ainsi que l’évaluation de la solvabilité du candidat emprunteur tienne compte de cet apport en valeur, alors même qu’il ne permettra pas à l’emprunteur de régler ses échéances à venir. La solution peut toutefois s’expliquer par le fait que cet apport constitue un indice de la solvabilité du candidat, qui prouve ainsi avoir su économiser par le passé, et surtout par la garantie qu’il offre, en cas de vente sur saisie, de la supériorité du prix de vente sur le solde du prêt. Même si l’emprunteur rencontre par la suite des difficultés de remboursement, il est donc assuré de conserver le bien tout en restant redevable du solde du prêt.
Références :
■ Civ. 1re, 12 juill. 2005 n° 03-10.921 : D. 2005. 2276, obs. X. Delpech ; ibid. 3094, note B. Parance ; RDI 2006. 123, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2005. 820, obs. D. Legeais
■ Com. 27 nov. 2012, n° 11-19.311 : D. 2013. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet
■ Ch. Mixte, 29 juin 2007, n° 06-11.673 : D. 2007. 2081, note S. Piédelièvre ; ibid. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 779, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 579, obs. D. Legeais
■ Civ.1re, 21 févr. 2006, n° 02-19.066 : D. 2006. 1618, note J. François ; RDI 2006. 294, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2006. 462, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 1er juin 2016, n° 15-15.051 : D. 2016. 1252 ; AJDI 2016. 695, obs. F. Cohet
■ Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-18.851 : D. 2015. 1836, obs. V. Avena-Robardet
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une