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Droit de la consommation
Critères de qualification du créancier professionnel
Seul celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, principale ou accessoire, peut revêtir la qualité de professionnel.
Com. 8 sept. 2021, n° 20-17.035
Des associés cèdent l’intégralité des parts sociales composant le capital d’une société, moyennant le prix de 15 000 € payables en cinq échéances, la société cédée s’engageant également à rembourser le compte courant d’associé à l’un des cédants d’un montant de 90 000 €. Une caution s’engage au bénéfice de cet associé au paiement du solde du prix de vente des parts et du montant du compte courant.
Les deux dernières échéances n’ayant pas été payées, l’associé cédant assigne la caution en exécution de son engagement. Celle-ci lui oppose la nullité de son engagement pour défaut de respect des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation.
La cour d’appel écarte ce grief : elle retient en effet que l’associé cédant ne peut être considéré comme un créancier professionnel, dès lors que seule la société cédée exerce l’activité d’agence immobilière à titre de profession habituelle, conformément à son objet social et que la créance de son associé, qui vend ses parts sociales et obtient le remboursement du compte courant détenu dans celle-ci, ne provient pas de l’exercice de l’activité considérée, avec laquelle elle n’entretient pas de rapport direct.
À la suite du pourvoi formé par la caution, la chambre commerciale rend un arrêt de rejet.
Elle juge qu’« Au sens des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale ». Or, « […] la cession par un associé des droits qu’il détient dans le capital d’une société ou le remboursement des avances qu’il a consenties à la société ne caractérisent pas en eux-mêmes l’exercice d’une activité professionnelle, même si le cédant a été le gérant de la société cédée […], de sorte que le formalisme légal concernant les mentions manuscrites n’est pas applicable ».
■ La recherche de critères de qualification
En droit, la notion de professionnel est plus récente que celle de commerçant, qu’elle a progressivement supplanté, en raison de son domaine plus vaste. En d’autres termes, si tous les commerçants sont des professionnels, tous les professionnels ne sont pas commerçants. Mais alors que le commerçant est depuis longtemps légalement défini comme la personne qui exerce des actes de commerce en en faisant sa profession habituelle (C. com., art. L. 121-1), la loi est en revanche restée muette quant au professionnel. Par ailleurs, l’étymologie de ce mot n’est pas d’une grande aide : professio,-onis signifie « déclaration publique, action de de se déclarer comme », d’où l’idée que le professionnel est celui qui est spécialiste de son métier ou du moins, qui déclare l’être.
Dans une perspective économique, le professionnel doit être rapproché du producteur, et donc de l’entreprise. Il est cette personne physique ou morale qui rassemble, exploite et gère des moyens humains et matériels, dans le but de proposer à titre onéreux sur un marché des biens ou des services. Cette définition est conforme à la dichotomie professionnel/consommateur et partant, au domaine du droit de la consommation, qui ne s’explique que par la position occupée dans le circuit économique. Elle est en outre plus précise que celle tautologique donnée par la directive européenne du 5 avril 1993 dans son article 2, c) : « Toute personne physique ou morale qui (…) agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée ». Elle est toutefois insuffisante, faute de critères strictement juridiques de qualification et de prise en compte de cette approche parfois observée en jurisprudence, notamment celle distinguant, malgré leur identité de forces économiques, les professionnels de même spécialité et ceux de spécialités différentes. En outre, à s’en tenir à la définition européenne originelle, la notion de professionnel est moins catégorielle que fonctionnelle. Délicate, la recherche de critères juridiques de qualification s’est alors révélée impérieuse.
■ L’émergence de critères de qualification
Hétérogène, la notion de professionnel viserait ainsi, de manière générale, toute personne qui contracte pour les besoins de sa profession, et en fonction de son domaine habituel de compétence. Par exemple, un professionnel qui contracterait en dehors de sa sphère habituelle d’activité sera traité comme un consommateur. Ce critère de la compétence a d’ailleurs été le premier à être utilisé en jurisprudence pour définir le professionnel comme celui qui contracte dans le cadre de l’exercice normal de son activité, autrement dit, de sa sphère habituelle de compétence (Civ. 1re, 28 avr.1987, n° 85-13.674). On retrouve en l’espèce ce critère lorsque la Cour met en relation, pour l’exclure, la naissance de la créance litigieuse avec la profession exercée par le cédant. Ce critère conduit à soutenir que, en dehors de sa sphère habituelle de compétence, le professionnel est aussi vulnérable qu’un consommateur. Précisément, c’est à l’effet de renforcer sa protection qu’à ce premier critère tiré de la compétence du contractant s’est ajouté celui du rapport direct (v. notam. Civ. 1re, 3 janv. 1996, n° n° 93-19.322 ; Civ. 1re, 30 janv. 1996, n° 93-18.684).
En effet, la limite du critère tiré de la compétence provenait de son inadéquation aux nombreux cas dans lesquels les contrats conclus entre des professionnels également compétents traduisent néanmoins d’importantes inégalités économiques, exploitées aux dépens des professionnels les plus faibles. Par exemple, il est évident qu’un contrat de distribution conclu entre un grand constructeur informatique et l’un de ses revendeurs met en présence des contractants intervenant dans le même domaine d’activité mais dont les forces économiques sont disproportionnées. Inversement, deux contractants peuvent évoluer dans des sphères de compétences totalement différentes sans que, ipso facto, l’on puisse en déduire un déséquilibre de puissance économique et la nécessité de protéger le cocontractant profane.
Compte tenu de ce constat, un autre critère de la notion de professionnel a donc dû être recherché : à celui de la compétence fut alors ajouté celui du rapport direct. On le retrouve également dans le présent arrêt lorsque la Cour souligne l’absence de rapport direct de la créance litigieuse avec l'une des activités professionnelles du cédant. En vertu de ce critère, la qualité de professionnel s’apprécie donc en fonction du lien objectif direct unissant l’acte conclu à la profession exercée.
■ La mise en œuvre des critères de qualification
L’alternative est donc la suivante : pour revêtir la qualité de professionnel, le contractant doit avoir contracté dans le cadre de sa profession habituelle ou passé une opération se rattachant directement à son activité, principale ou accessoire. Conformément à celle-ci, la Cour de cassation réaffirme ici sa définition classique du créancier professionnel (v. déjà, Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-15.910 ; Com. 10 janv. 2012, n° 10-26.630), entendu comme celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles.
Or en l’espèce, ces deux critères constitutifs de la notion de professionnel faisaient défaut : la cession de parts sociales comme le remboursement des avances consenties à la société ne caractérisaient pas en eux-mêmes l’exercice d’une activité professionnelle, même si le cédant avait été le gérant de la société concernée. C’est dire que la notion d’exercice de « l’activité de créancier professionnel », soutenue par le demandeur au pourvoi, est sèchement écartée par les juges ; dans cette configuration, il n’est pas question de considérer, comme la caution avait tenté de le démontrer, qu’il s’agissait pour l’ancien associé d’exercer une activité professionnelle par l’intermédiaire d’une personne morale, et que la créance née des opérations passées, même accessoire à son activité principale, était bien professionnelle. Isolé et ponctuel, ce type d’opérations ne permet pas de caractériser l’exercice d’une activité professionnelle, nécessairement habituelle. Aussi bien, la nature professionnelle de la créance litigieuse ne pouvait-elle en conséquence être davantage admise : en effet, seule la société personne morale exerçait habituellement, conformément à son objet social, l’activité d’agence immobilière et pouvait, à ce titre, revêtir la qualité de professionnel ; il en résultait que la créance de son ancien associé née d’opérations étrangères à la profession d’agent immobilier ne provenait pas de l’exercice de sa propre activité et n’était pas en rapport direct avec celle-ci, même accessoirement.
L’associé cédant ne pouvait donc être qualifié de créancier « professionnel ». L’enjeu était de taille, compte tenu de la gravité de la sanction de la nullité encourue en cas de manquement par le professionnel au formalisme du cautionnement prévu par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation.
Références
■ Civ. 1re, 28 avr.1987, n° 85-13.674 P : D. 1987.455, obs. J.-L. Aubert ; ibid. 1993. 87, note G. Nicolau
■ Civ. 1re, 3 janv. 1996, n° n° 93-19.322 P : D. 1996. 228, note G. Paisant ; ibid. 325, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996. 609, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 30 janv. 1996, n° 93-18.684 P : D. 1996. 228, note G. Paisant ; ibid. 325, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996. 609, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-15.910 P : D. 2009. 2198, note S. Piédelièvre ; ibid. 2032, obs. X. Delpech ; ibid. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 758, obs. P. Crocq ; RTD com. 2009. 601, obs. D. Legeais ; ibid. 796, obs. D. Legeais
■ Com. 10 janv. 2012, n° 10-26.630 P : D. 2012. 276, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1573, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2012. 286, note I. Riassetto ; RTD com. 2012. 177, obs. D. Legeais
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