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[ 9 février 2016 ] Imprimer

Droit de la concurrence

Cumul possible de l’activité de chauffeur de taxi avec celle de conducteur de VTC

Mots-clefs : Chauffeur de taxis, Conducteur de VTC, Cumul d’activités, Liberté d’entreprendre, Déclaration des droits de l’homme de du citoyen, Constitution, QPC, Conseil constitutionnel, Non-conformité

L’interdiction du cumul de l’activité de conducteur de taxi et de celle de conducteur de voiture de transport avec chauffeur posée par l’article L. 3121-10 du Code des transports porte atteinte à la liberté d’entreprendre et doit être déclarée contraire à la Constitution.

À l’origine de la décision QPC du Conseil constitutionnel, trois personnes, titulaires à la fois d’une carte professionnelle pour l’activité de conducteur de taxi et d’une carte professionnelle pour l’activité de conducteur de VTC exerçant leurs activités au sein de la même société se sont vues demandées par le préfet de remettre à ses services l’une de leurs deux cartes professionnelles, en application des articles L. 3121-10 et L. 3122-8 du Code des transports interdisant l’exercice simultané de ces deux activités. 

Ces trois personnes et la société pour laquelle elles travaillent avaient alors saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à l’annulation des décisions du préfet et ont assorti leur recours d’une demande de suspension en référé sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative. 

Le juge des référés du tribunal administratif a ordonné la transmission au Conseil d’État de la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 3121-10 du Code des transports et la suspension de l’exécution des décisions préfectorales. Le Conseil d’État (16 oct. 2015, n° 391859) a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel cette QPC.

Le Conseil constitutionnel vient de décider que le législateur avait porté à la liberté d’entreprendre (DDH, art. 4) une atteinte qui n’est justifiée ni par les objectifs qu’il s’est assignés ni par aucun autre motif d’intérêt général. Il a déclaré contraire à la Constitution la seconde phrase de l’article L. 3121-10 du Code des transports.

Dans sa décision du 15 janvier 2015, le Conseil constitutionnel reprend le considérant de principe selon lequel « il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi », considérant de principe issu de la décision du 16 janvier 2001 sur l’archéologie préventive (2000-439 DC, § 14). Il s’ensuit que toute limitation à la liberté d’entreprendre doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou un motif d’intérêt général. 

Concernant la notion de liberté d’entreprendre appliquée aux chauffeurs de taxi et aux conducteurs de VTC, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que le monopole des taxis sur le marché de la maraude ne portait pas atteinte à la liberté d’entreprendre des VTC, en considérant « qu’en réservant aux taxis le droit de stationner et de circuler sur la voie publique "en quête de clients", le législateur n’a pas porté à la liberté d’entreprendre ou à la liberté d’aller et venir des voitures de tourisme avec chauffeur une atteinte disproportionnée au regard des objectifs d’ordre public poursuivis » (17 oct. 2014, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-taxis, n° 2014-422 QPC). Par ailleurs, dans cette même décision, le Conseil a jugé que l’ouverture à la concurrence du marché de la réservation préalable ne porte pas davantage atteinte à la liberté d’entreprendre des taxis, en considérant que « le droit reconnu par les dispositions contestées aux voitures de tourisme avec chauffeur d’exercer l’activité de transport public de personnes sur réservation préalable ne porte aucune atteinte à la liberté d’entreprendre des taxis ». Enfin, dans sa décision n° 2015-468/469/472 QPC du 22 mai 2015 (Sté Uber France SAS et autre), le Conseil constitutionnel a déclaré que n’étaient pas contraire à la liberté d’entreprendre, les dispositions du 1° du paragraphe III de l’article L. 3120-2 du Code des transports qui interdisent aux exploitants de voitures de transport avec chauffeur et à leurs intermédiaires d’informer un client de la localisation et de la disponibilité d’un véhicule lorsqu’il se trouve sur la voie ouverte à la circulation publique.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel devait examiner si la seconde phrase de l’article L. 3121-10 du Code des transports qui interdit aux chauffeurs de taxis de cumuler leur activité (C. transports, art. L. 3121-1 s.) avec celle de conducteur de VTC (C. transports, art. L. 3120-1 s.) n’était pas contraire au principe de la liberté d’entreprendre. Cette seconde phrase avait été ajoutée par l’article 7 de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur. Le législateur avait entendu, selon les travaux préparatoires de cette loi, lutter contre la fraude à l’activité de taxi, notamment dans le secteur du transport de malades et, assurer la pleine exploitation des autorisations de stationnement sur la voie publique. Toutefois, le Conseil constitutionnel déclare cette seconde phrase contraire à la Constitution. 

En effet, il rappelle que l’activité de chauffeur de taxi et celle de conducteur de voiture de transport avec chauffeur sont exercées au moyen de véhicules comportant des signes distinctifs (une personne titulaire des deux cartes professionnelles doit nécessairement changer de véhicule lorsqu’elle change d’activité ) et que seuls les véhicules sanitaires légers et les taxis peuvent être conventionnés avec les régimes obligatoires d’assurance maladie pour assurer le transport des malades (l’idée développée dans les travaux préparatoires de lutte contre la fraude à l’activité de taxi évoquée ci-dessus était sans effet sur une éventuelle fraude à l’activité de transport de malades). 

Par ailleurs, l’incompatibilité, prévue par la seconde phrase de l’article L. 3121-10 du Code des transports concerne uniquement les activités de conducteur de taxi et de conducteur de voiture de transport avec chauffeur. Il n’existe pas d’obstacle à un cumul entre l’activité de conducteur de taxi et l’activité de conducteur de véhicules motorisés à deux ou trois roues ou celle de conducteur d’ambulance. 

Enfin, cette incompatibilité ne s’applique pas au titulaire d’une autorisation de stationnement sur la voie publique qui n’exerce pas lui-même l’activité de conducteur de taxi. 

Il s’ensuit, qu’en instituant l’incompatibilité prévue par les dispositions de la seconde phrase de l’article L. 3121-10 du Code des transports, le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui n’est justifiée ni par les objectifs qu’il s’est assignés ni par aucun autre motif d’intérêt général.

La déclaration d’inconstitutionnalité de la seconde phrase de l’article L. 3121-10 du Code des transports prend effet à compter de la date de la publication de la décision QPC. Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à sa date de publication et non jugées définitivement à cette date.

Enfin, il convient de noter que le Conseil constitutionnel n’étant pas saisi d’une QPC sur l’article L. 3122-8 du Code des transports interdisant aux conducteurs de VTC de cumuler cette activité avec celle de chauffeur de taxi, ne s’est pas prononcé sur l’inconstitutionnalité de cet article. Toutefois, ces dispositions sont le corollaire de celles déclarées contraires à la Constitution, il semble donc cohérent qu’elles ne puissent plus s’appliquer. 

Cons. const., 15 janvier 2016, n° 2015-516 QPC

Références

■ CE 16 oct. 2015, n° 391859.

■ Cons. const. 16 janv. 2001Loi relative à l’archéologie préventive, n° 2000-439 DC : AJDA 2001. 222, étude E. Fatôme ; D. 2002. 1944, obs. V. Ogier-Bernaud. 

■ Cons. const. 17 oct. 2014Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-taxis, n° 2014-422 QPC : AJDA 2015. 226, note A. Haquet ; D. 2014. 2046 ; ibid. 2015. 1457, obs. L. Gay et A. Mangiavillano ; Constitutions 2015. 378, chron. M.-A. Granger.

■ Cons. const. du 22 mai 2015Sté Uber France SAS et autre, n° 2015-468/469/472 QPC : AJDA 2015. 1020 ; D. 2015. 1092, et les obs. ; ibid. 1294, obs. H. Kenfack.

 

Auteur :C. G.


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