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[ 26 mai 2015 ] Imprimer

Droit des personnes

Curatelle renforcée : son maintien doit être nécessaire !

Mots-clefs : Droit des personnes, Incapacités, Majeur, Curatelle renforcée, Mainlevée, Maintien, Conditions

Pour rejeter une demande de mainlevée d’une curatelle renforcée, les juges doivent constater la persistance de l'altération des facultés mentales de l'intéressé et la nécessité pour celui-ci d'être assisté.

Une personne incapable avait été placée, par jugement, sous curatelle renforcée. Elle en avait ensuite demandé la mainlevée, ce qui lui avait été refusé. Pour confirmer cette première décision, les juges d’appel relevèrent, d’une part, que la curatélaire avait manqué de rapporter la preuve d'une évolution favorable manifeste de sa situation, le certificat médical produit n'émanant pas d'un médecin certifié et se contentant, en outre, d’indiquer sans plus de justifications que son état de santé était « compatible » avec la mainlevée de la mesure. Ils s’appuyèrent, d'autre part, sur le rapport assez « sombre » du curateur de la personne protégée, lequel faisait état de dettes, de l'opposition au dialogue exprimée par le compagnon de l'intéressée, du refus de ce dernier d'indiquer au curateur le montant des ressources à disposition du couple et de leur projet de contracter un bail sans son accord. De l’ensemble de ces éléments la cour d’appel déduisit l'absence d'élément médical suffisant pour reconsidérer la situation de l’incapable, dont la situation globale demeurait, manifestement, toujours fragile. Au visa des articles 425 alinéa 1er, et 440, alinéa 1er, du code civil, cette décision est cassée au motif qu’ « en se déterminant ainsi, sans constater la persistance de l'altération des facultés mentales de l'intéressée et la nécessité pour celle-ci d'être assistée ou contrôlée d'une manière continue dans les actes importants de la vie civile, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »

Par la décision rapportée, la Cour de cassation procède du rappel de deux des trois grands principes devant guider le juge pour protéger l’incapable : la nécessité et la proportionnalité (outre la subsidiarité). C’est ainsi que le juge devra décider de l’opportunité de placer un majeur sous un régime de protection, déterminer la mesure la plus adaptée, choisir éventuellement de la renouveler, ou même de la faire cesser. Ainsi, la mesure de protection ne peut, tout d’abord, être ordonnée par le juge qu'en cas de nécessité, c’est-à-dire limitée dans ses effets et dans sa durée à ce qui est strictement nécessaire à la protection de l’incapable. Dans cette perspective, la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a prévu que toutes les mesures de protection judiciaire doivent avoir une durée limitée (pour la curatelle, elle est fixée à cinq ans renouvelable) et être réexaminées périodiquement, sauf si l’altération des facultés de la personne, immuable, se révèle irrémédiable. De surcroît, comme l’illustre la décision rapportée, le juge peut, à tout moment, ordonner la mainlevée de la mesure si l’intéressé recouvre ses facultés. Or en l’espèce, la Cour reproche précisément aux juges du fond d’avoir méconnu la règle selon laquelle la mesure de protection doit cesser avec les causes qui avaient justifié sa mise en place, règle faisant devoir au juge, pour écarter une demande de mainlevée, de constater que les conditions de maintien de la mesure de protection sont effectivement réunies et leur faisant, à l’inverse, interdiction d’inverser la charge de la preuve en exigeant de l’incapable de « rapporter la preuve d'une évolution notable de sa situation ». De façon plus rigoureuse, la Cour rappelle que le maintien d’une mesure de protection requiert du juge saisi de son réexamen qu’il constate la persistance de l'altération des facultés mentales ou corporelles de la personne protégée, et la nécessité de la laisser soumise à la mesure choisie, les trois mesures prévues - sauvegarde de justice, curatelle et tutelle -, constituant un panel modulable par le juge, lequel peut adapter la mesure, la personnaliser, ou même la faire cesser, selon les évolutions et les besoins de la personne. Par exemple, le juge peut, comme ce fut le cas à l’origine de cette affaire, renforcer la curatelle (C. civ., art. 472) en interdisant au majeur de faire seul des actes en principe autorisés dans une curatelle (actes d’administration, perception des revenus et gestion des dépenses par le curateur), mais il doit également reconsidérer la situation de l’incapable qui demande l’allègement (pour la curatelle, V .C. civ., art. 471) ou la mainlevée de sa mesure. En l’espèce, le seul constat, par les juges du fond, d’ « une situation toujours fragile », sans que ces derniers ne précisent si le besoin de l’incapable d'être assisté ou contrôlé dans la gestion de ses biens et de sa personne demeurait inchangé et que l'altération de ses facultés mentales persistait, était de toute évidence insuffisant.

Egalement au centre de cette affaire, la proportionnalité de la mesure implique que la mesure soit proportionnée et individualisée en fonction du degré d’altération des facultés personnelles de l’intéressé (C. civ., art. 428 al 2). En l’espèce, les juges du fond avaient également omis de rechercher si le maintien de la curatelle renforcée était toujours proportionné à la situation de la personne protégée, en se bornant à relever « (…) l'absence d'élément médical suffisant pour reconsidérer la situation de l’incapable ». 

En tout état de cause, si le juge peut, à tout moment, mettre fin à la mesure, la modifier ou simplement la maintenir, il doit dans tous les cas procéder à un nouvel examen, précis et complet, de la personne concernée et pouvoir motiver suffisamment sa décision, au-delà de quelques simples allusions rapides au certificat médical versé à la cause. 

 Civ. 1re, 15 avril 2015, n° 14-16.666

 

Références

■ Code civil

Article 425

« Toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre.

S'il n'en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l'une de ces deux missions. »

Article 428

« La mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu'en cas de nécessité et lorsqu'il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l'application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217,219, 1426 et 1429, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future conclu par l'intéressé.

La mesure est proportionnée et individualisée en fonction du degré d'altération des facultés personnelles de l'intéressé. »

Article 440

« La personne qui, sans être hors d'état d'agir elle-même, a besoin, pour l'une des causes prévues à l'article 425, d'être assistée ou contrôlée d'une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle.

La curatelle n'est prononcée que s'il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.

La personne qui, pour l'une des causes prévues à l'article 425, doit être représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.

La tutelle n'est prononcée que s'il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante. »

Article 471

« A tout moment, le juge peut, par dérogation à l'article 467, énumérer certains actes que la personne en curatelle a la capacité de faire seule ou, à l'inverse, ajouter d'autres actes à ceux pour lesquels l'assistance du curateur est exigée. »

Article 472

« Le juge peut également, à tout moment, ordonner une curatelle renforcée. Dans ce cas, le curateur perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière. Il assure lui-même le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l'excédent sur un compte laissé à la disposition de l'intéressé ou le verse entre ses mains.

Sans préjudice des dispositions de l'article 459-2, le juge peut autoriser le curateur à conclure seul un bail d'habitation ou une convention d'hébergement assurant le logement de la personne protégée.

La curatelle renforcée est soumise aux dispositions des articles 503 et 510 à 515. »

 

Auteur :M. H.


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