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[ 6 février 2013 ] Imprimer

Droit des sociétés

Date d’évaluation des droits sociaux en cas de retrait

Mots-clefs : Société, Cession de droits sociaux, Date d’évaluation, Expertise, Erreur grossière

En l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits.

L'application de l'article 1843-4 du Code civil continue d'alimenter la chronique judiciaire, au grand désarroi des parties et spécialement de l'associé dont le départ, volontaire ou forcé, donne souvent lieu à un très long temps d’attente avant que le prix de cession de ses droits sociaux soit définitivement arrêté par un expert, condition indispensable à l'encaissement dudit prix. Et à part un accord improbable entre les parties sur le prix, le recours à l'expertise est inévitable puisqu'en raison du caractère d'ordre public du texte, la Cour de cassation tient pour inefficaces les clauses d'évaluation statutaires (Com. 4 déc. 2007).

En cette matière, les difficultés sont multiples : outre la question centrale du domaine d’application du texte et des contours de la liberté de l’expert pour déterminer la valeur des droits, se trouve également posée celle de la date d’évaluation de ces droits. Les fluctuations jurisprudentielles sont la cause de la difficulté : alors que par un arrêt de principe de 2010, la Cour de cassation semblait avoir définitivement tranché la question en affirmant qu’en l’absence de dispositions statutaires, la date à retenir pour évaluer les droits en cas de retrait d’un associé est celle « la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits » (Com. 4 mai 2010), un arrêt de 2012 rendu par la même formation revint sur cette solution en reconnaissant au contraire l’entière liberté de l’expert dans le choix de la date, toute entrave, notamment judiciaire, à cette liberté devenant source d’une erreur grossière entachant la régularité du rapport d’expertise (Com. 3 mai 2012). C’est donc l’intérêt de l’arrêt rapporté que de dissiper l’incertitude née de ces contradictions prétoriennes.

En l’espèce, la cour d’appel avait jugé, conformément à la solution d’origine, que l’expert avait commis une erreur grossière en évaluant « les parts sociales, de manière erronée, à la date de l’arrêt qui a autorisé le retrait alors que cette évaluation doit être effectuée à la date la plus proche de celle du remboursement effectif de ses parts sociales ». La société civile immobilière reprochait alors aux juges du fond d’avoir déduit de la date retenue l’existence d’une erreur grossière entachant le rapport d’expertise : selon le pourvoi, l’erreur devait naturellement être exclue dès lors que la jurisprudence de 2010, invalidant la régularité de son rapport, est postérieure à la date de son dépôt (2007). Logique, ce raisonnement est toutefois censuré par la chambre commerciale, laquelle répond à l’auteur du pourvoi que l’arrêt rendu le 4 mai 2010 par la Cour de cassation ne constituant ni un revirement ni même l’expression d’une évolution prévisible de la jurisprudence, la cour d’appel, ayant retenu à bon droit que la valeur des droits sociaux de l’associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, en a exactement déduit que l’expert avait commis une erreur grossière en évaluant les parts sociales à la date de l’arrêt ayant autorisé le retrait.

Cette solution revient donc nettement sur l’arrêt de 2012, dans lequel les hauts magistrats voyaient la cause de l'erreur grossière de l’expert dans sa soumission au juge, lequel lui avait imposé la date d’évaluation des droits. Pour le dire autrement, l’erreur naissait de l’absence de liberté dans l’évaluation des droits cédés. Le retour ici opéré à la jurisprudence de 2010 traduit sans doute la concession de la Haute cour aux critiques doctrinales alors formulées à l’encontre de cet arrêt, qui n’avait d’ailleurs pas été publié au Bulletin. Les commentateurs reprochaient alors aux juges la souveraineté qu’ils conféraient à l’expert au risque que celle-ci se déploie au mépris des pactes d’actionnaires et qu’elle remette indûment en cause les conditions dans lesquelles le droit de retrait a été exercé. L'expert, même de l'article 1843-4 du Code civil, n'aurait pas vocation à trancher la question de la date d'évaluation, ni toute latitude pour choisir la date qui lui paraît la plus appropriée. Cela relève, par principe, des parties ou, en cas de lacunes, du juge. Si le juge ou le rédacteur du pacte d’actionnaires n'est pas l'expert, l'expert n'est pas non plus le juge ni le rédacteur du pacte (v. A. Viandier).

Par le présent arrêt, le conflit de frontière entre le juge et l'expert paraît résolu, l’expert étant désormais tenu par la portée absolument impérative de l’arrêt du 4 mai 2010.

Com. 15 janv. 2013, n°12-11.666

Références

■ Article 1843-4 du Code civil

« Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. »

■ Com. 4 déc. 2007, n°06-13.912, JCP E 2012. 1395, note A. Viandier.

■ Com. 4 mai 2010, n°08-20.693, RTD com. 2010. 571, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.

 Com. 3 mai 2012, n°11-12.717, JCP E 2012. 1395, note A. Viandier.

 

Auteur :M. H.


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