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Droit des obligations
De la charge de la preuve en cas de contestation de la résolution unilatérale
La gravité du comportement d’une partie à un contrat non soumis aux dispositions issues de l’ordonnance du 10 février 2016 peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. En cas de contestation, c’est à la partie qui a mis fin au contrat de rapporter la preuve d’un tel comportement.
Com. 22 nov. 2023, n° 22-16.514
Après avoir mis fin de façon anticipée au contrat qui la liait à son prestataire., une société demande au juge de prononcer la résolution du contrat aux torts de son cocontractant. Lui imputant au contraire la faute commise dans la rupture du contrat, la cour d’appel déboute la société de sa demande en résolution et la condamne à indemniser son ancien partenaire économique. Devant la Cour de cassation, la société à l’origine de la rupture fait valoir qu'en matière de résolution judiciaire d'un contrat, c'est au débiteur qu'il revient de rapporter la preuve qu'il a rempli ses obligations, en sorte que la cour d’appel n’avait pas à lui faire supporter la charge de la preuve de l'existence d'une faute contractuelle alors que c’était à sa cocontractante qu’incombait celle de l’exécution de ses obligations. Jugeant non fondé ce moyen tiré du renversement de la charge de la preuve, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle que la gravité du comportement d'une partie à un contrat non soumis aux dispositions issues de l'ordonnance du 10 février 2016 peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. En cas de contestation, c'est à la partie qui a mis fin au contrat de rapporter la preuve d'un tel comportement.
La résolution extrajudiciaire du contrat – De manière traditionnelle, la résolution ne pouvait être que judiciaire ou d’origine contractuelle (clause résolutoire). Le droit antérieur à la réforme avait cependant parfois reconnu au créancier une faculté exceptionnelle de résolution unilatérale, soit hors de toute intervention du juge, et sans qu’une clause n’ait autorisé une telle sanction. Une telle faculté avait notamment été reconnue par la jurisprudence. Ainsi, par des arrêts de principe du 13 octobre 1998 et du 20 février 2001, la première chambre civile de la Cour de cassation avait affirmé que « la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls » (Civ. 1re, 13 oct. 1998 : n° 96-21.485 ; Civ. 1re, 20 févr. 2001, n° 99-15.170). La chambre commerciale s’était par la suite ralliée à cette solution (Com. 10 févr. 2009, n° 08-12.415). La Haute juridiction avait donc admis, sans fondement textuel, une faculté exceptionnelle de résolution unilatérale du contrat, qui pouvait jouer aussi bien dans les hypothèses de contrats à durée déterminée qu’indéterminée.
Cette solution a été entérinée par l’ordonnance du 10 février 2016. L’article 1226 du Code civil constitue désormais le fondement légal de la résolution unilatérale du contrat. Maintenant la nécessité d’un manquement contractuel d’une gravité suffisante pour justifier la résolution, le texte nouveau ajoute celle d’une mise en demeure préalable et d’une notification de la résolution, assortie d’une obligation de motivation. Si la notification matérialise l’exercice, par le créancier, de son droit potestatif à résoudre unilatéralement le contrat, l’article 1226 alinéa 3 exige que cette notification soit motivée. En d’autres termes, le créancier a l’obligation de préciser dans l’acte, le manquement contractuel qu’il estime suffisamment grave pour justifier sa résolution. Cette exigence vise à permettre, tant au débiteur qu’au juge, d’apprécier le bien-fondé de la décision du créancier.
Si ce formalisme protecteur des intérêts du débiteur n’était pas imposé par la jurisprudence antérieure, celle-ci a toutefois toujours fait dépendre le bien-fondé de la résolution d’un manquement contractuel « suffisamment grave », imputable au débiteur (Civ. 1re, 28 oct. 2003, n° 01-03.662).
Le contrôle judiciaire de la résolution du contrat – Le créancier ne peut mettre en œuvre sa faculté de résolution unilatérale que dans l’hypothèse d’un manquement grave du débiteur. Cette notion a été progressivement précisée par la Cour de cassation, qui en contrôle l’existence. Ainsi le manquement grave du débiteur consiste-t-il le plus souvent en l’inexécution grossière ou répétée d’une obligation essentielle de la convention, mettant en cause la pérennité de la relation contractuelle (pour une synthèse de la jurisprudence, v. B. Fauvarque-Cosson, D. 2010.224 s.). En outre, la jurisprudence antérieure à la réforme a dès le départ affirmé que le droit du créancier de résoudre seul le contrat était exercé « à ses risques et périls ». Dans l’hypothèse où le débiteur estimerait infondée la décision du créancier de résoudre le contrat, il a donc toujours été admis qu’il puisse saisir le juge afin de contester cette décision. Ainsi, le recours au juge, en cas de résolution unilatérale du contrat, a-t-il toujours été ouvert au débiteur (v. C. civ., art. 1226, al. 4 nouv. : « le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution »). Il incombera alors au juge d’apprécier le bien-fondé de la rupture du contrat. Plus précisément, il lui faudra vérifier que l’inexécution dont s’est prévalu le créancier était suffisamment grave pour justifier la résolution.
Si au vu des preuves rapportées, le juge estime a posteriori que sa mise en œuvre était infondée, il peut, selon les demandes formées par le débiteur, ordonner la poursuite du contrat ou lui allouer simplement des dommages-intérêts. Ainsi, en l’espèce, en l’absence de preuve d’une faute grave imputable au débiteur, les juges ont refusé de constater la résolution du contrat mais observant que la rupture du contrat était définitivement consommée par la faute du créancier, ont condamné ce dernier à indemniser le débiteur victime de l’exercice fautif de cette faculté offerte au créancier.
La charge de la preuve de l’inexécution - En tout état de cause, en cas de saisine du juge par le débiteur, c’est au créancier qu’il reviendra de prouver la gravité de l’inexécution. Si la solution va de soi pour les contrats conclus à partir du 1er octobre 2016, elle s’étend également à ceux qui n’y sont pas soumis, comme le précise la Cour dans l’arrêt rapporté. En effet, l’article 1226, al. 4 nouveau du Code civil, disposant expressément qu’en cas de contestation de la résolution par le débiteur, « le créancier doit (…) prouver la gravité de l’inexécution », est conforme à la jurisprudence antérieure : en soulignant que la faculté de résolution s’exerce aux « risques et périls » du créancier, les juges entendaient, notamment, faire peser la charge de la preuve sur lui, en cas de contestation par le débiteur. Ce qui justifie en l’occurrence le renversement de la charge de la preuve, puisqu’en principe, celle-ci devrait peser sur le débiteur.
En effet, par principe, « personne ne doit rien à personne » (H. Roland et L. Boyer, Droit civil. Introduction au droit, 5e éd., n° 1525) ; parce qu’il entend remettre en cause une situation « normale », le demandeur à l’instance doit être également demandeur à la preuve. C’est la raison pour laquelle la charge pèse sur lui, comme le traduit l’adage actori incumbit probatio : le demandeur qui avance une prétention supporte la charge de prouver le fait qu’il allègue à l’appui de sa prétention, le défendeur n’ayant, quant à lui, rien à prouver. Rapportée à l’hypothèse de la résolution unilatérale du contrat, ce serait donc logiquement au débiteur qui entend contester la décision du créancier de prouver que celle-ci n’est pas fondée, soit de prouver qu’il a correctement exécuté ses obligations. Mais à l’effet d’encadrer cette prérogative contractuelle détenue par le seul créancier et de prévenir les risques d’abus susceptibles de résulter de son exercice, la jurisprudence, puis en 2016, le législateur, ont prévu d’opérer un renversement de la charge de la preuve en faveur du débiteur.
Supportant la charge de la preuve, le créancier en assume également le risque, traduit en l’espèce par le refus des juges de constater la résolution du contrat et la condamnation de la société l’ayant décidée à indemniser celle qui en avait injustement été victime.
Références :
■ Civ. 1re, 13 oct. 1998 : n° 96-21.485 : D. 1999. 197, note C. Jamin ; ibid. 115, obs. P. Delebecque ; RDSS 2000. 378, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 1999. 394, obs. J. Mestre ; ibid. 506, obs. J. Raynard
■ Civ. 1re, 20 févr. 2001, n° 99-15.170 : D. 2001. 1568, note C. Jamin ; ibid. 3239, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2001. 363, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Com. 10 févr. 2009, n° 08-12.415 : RTD civ. 2009. 318, obs. B. Fages
■ Civ. 1re, 28 oct. 2003, n° 01-03.662 : RTD civ. 2004. 89, obs. J. Mestre et B. Fages
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