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Procédure pénale
De la nécessaire motivation des obligations particulières du contrôle judiciaire : le cautionnement et l’interdiction professionnelle
Mots-clefs : Contrôle judiciaire, Cautionnement, Interdiction professionnelle, Motivation
En matière de contrôle judiciaire, le montant et les délais de versement du cautionnement doivent être fixés compte tenu, notamment, des ressources et des charges de la personne mise en examen. De même, la juridiction d’instruction qui interdit à la personne mise en examen de se livrer à certaines activités de nature professionnelle ou sociale, doit constater que l’infraction a été commise dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ces activités et qu’il existe un risque de commission d’une nouvelle infraction.
Dans le cadre d’un placement sous contrôle judiciaire, le juge peut soumettre la personne mise en examen à l'une ou plusieurs des 17 obligations énumérées à l'article 138 du Code de procédure pénale. Il choisit souverainement celles qui lui paraissent les plus appropriées compte tenu des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté (C. pr. pén., art. 137). Parmi les obligations prévues, certaines ne peuvent être imposées que dans des conditions déterminées. Tels sont les cas du cautionnement (C. pr. pén., art. 138, al. 2, 11°) et de l’interdiction se livrer à certaines activités de nature professionnelle ou sociale (C. pr. pén., art. 138, al. 2, 12°). Le présent arrêt offre l’occasion de les rappeler.
En l’espèce, dans le cadre d’une information judiciaire pour corruption passive, une mise en examen a été placée sous contrôle judiciaire assorti :
– d’une obligation de s’abstenir de rencontrer, de recevoir ou d’entrer en relation de quelque manière que ce soit avec une personne déterminée ;
– d’une obligation de verser entre les mains du régisseur du tribunal de grande instance un cautionnement en numéraire de 30 000 euros ;
– d’une interdiction de se livrer aux activités professionnelles ou sociales en lien avec l’instruction, à savoir la préparation de tout projet relatif à des modifications des plans d’occupation des sols et plans locaux d’urbanisme.
Or s’agissant de ces deux dernières obligations, les juges avaient omis de justifier leur prononcé au regard des exigences du texte, ce qui impliquait la censure de la chambre criminelle.
S’agissant, tout d’abord, du cautionnement exigé, qui s’entend comme la consignation d'une somme d'argent qui est versée, la décision du magistrat doit expressément se référer aux ressources de la personne mise en examen (Crim. 3 févr. 1993 ; Crim. 7 déc. 1994) et, depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, à ses charges (Crim. 4 nov. 2008).
Or, en l’espèce, pour mettre à la charge de la mise en examen un cautionnement de 30 000 euros, devant être versé en vingt mensualités de 1 500 euros, la chambre de l’instruction énonçait simplement que le principe d’un cautionnement était en adéquation avec les faits reprochés à l’intéressée et que le montant de celui-ci doit être fixé en tenant compte de ses facultés contributives.
Cette motivation abstraite ne répond pas aux exigences légales, et ce d’autant plus que la personne mise en examen, avait fait valoir qu’elle assurait l’entretien de deux enfants mineurs, remboursait un emprunt immobilier, ne disposait d’aucune épargne liquide, et se proposait de constituer une sûreté réelle sur l’immeuble d’habitation dont elle est propriétaire.
La censure était inévitable. Une juridiction d’instruction ne peut ordonner un cautionnement, sans s'expliquer sur les charges de l'intéressé (Crim. 10 juill. 2002 ; Crim. 8 janv. 2003), les magistrats de la chambre criminelle restant soucieux d'une motivation concrète de la somme fixée par les juges du fond.
Concernant, ensuite, l’obligation de ne pas se livrer à certaines activités de nature professionnelle ou sociale, l'article 138, alinéa 2, 12° du Code de procédure pénale pose deux conditions cumulatives. Ainsi, la juridiction d'instruction doit constater :
– que l'infraction a été commise dans l'exercice ou à l'occasion de ces activités (Crim. 5 mars 2003) ;
– et qu'il existe un risque de commission d'une nouvelle infraction. L’existence d’un tel risque actuel de commission d'une nouvelle infraction, doit être, là encore, motivé (Crim. 13 oct. 1998).
Tel est le cas pour une chambre de l'instruction qui, pour interdire à une personne mise en examen des chefs de corruption de mineur et agressions sexuelles aggravées d'exercer des activités professionnelles en lien avec les mineurs, retient que les faits reprochés ont été commis à l'occasion de son activité de moniteur d'équitation, sur des jeunes filles de moins de quinze ans et dans deux centres équestres distincts, et qu'il existe un risque de commission d'une nouvelle infraction (Crim. 7 mars 2012).
En revanche, dans l’arrêt d’espèce, les dispositions de l’ordonnance – interdisant la mise en examen de se livrer à toute activité en relation avec l’instruction et la préparation des projets de modification des plans d’occupation des sols et plans locaux d’urbanisme – se bornaient à énoncer que cette interdiction est en adéquation avec les faits reprochés à l’intéressée.
La chambre criminelle censure donc sans surprise, les juges ayant omis de se prononcer in concreto sur le risque de commission d'une nouvelle infraction.
Crim. 17 sept. 2014, n° 14-84.282 FS-P+B+I
Références
■ Crim. 3 févr. 1993, n°92-85.852, Bull. crim. n° 56.
■ Crim. 7 déc. 1994, n° 94-84.669, Bull. crim. n° 397.
■ Crim. 4 nov. 2008, n° 08-85.724 ; Dalloz actualité 3 déc. 2008, obs. M. Léna.
■ Crim. 10 juill. 2002, no 02-82.883.
■ Crim. 8 janv. 2003, no 02-86.793.
■ Crim. 5 mars 2003, n°02-88.089, Bull. crim. n° 59.
■ Crim. 13 oct. 1998, n°98-84.224, Bull. crim. n° 257 ; Dr. pén. 1999, chron. 17, Cl. Marsat.
■ Crim. 7 mars 2012, n° 11-88.514.
■ Code de procédure pénale
« Toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre.
Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou, si celles-ci se révèlent insuffisantes, être assignée à résidence avec surveillance électronique.
A titre exceptionnel, si les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettent pas d'atteindre ces objectifs, elle peut être placée en détention provisoire. »
« Le contrôle judiciaire peut être ordonné par le juge d'instruction ou par le juge des libertés et de la détention si la personne mise en examen encourt une peine d'emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave.
Ce contrôle astreint la personne concernée à se soumettre, selon la décision du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention, à une ou plusieurs des obligations ci-après énumérées :
1° Ne pas sortir des limites territoriales déterminées par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention ;
2° Ne s'absenter de son domicile ou de la résidence fixée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention qu'aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat ;
3° Ne pas se rendre en certains lieux ou ne se rendre que dans les lieux déterminés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention ;
4° Informer le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention de tout déplacement au-delà de limites déterminées ;
5° Se présenter périodiquement aux services, associations habilitées ou autorités désignés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention qui sont tenus d'observer la plus stricte discrétion sur les faits reprochés à la personne mise en examen ;
6° Répondre aux convocations de toute autorité, de toute association ou de toute personne qualifiée désignée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention et se soumettre, le cas échéant, aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles ou sur son assiduité à un enseignement ainsi qu'aux mesures socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l'infraction ;
7° Remettre soit au greffe, soit à un service de police ou à une brigade de gendarmerie tous documents justificatifs de l'identité, et notamment le passeport, en échange d'un récépissé valant justification de l'identité ;
8° S'abstenir de conduire tous les véhicules ou certains véhicules et, le cas échéant, remettre au greffe son permis de conduire contre récépissé ; toutefois, le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention peut décider que la personne mise en examen pourra faire usage de son permis de conduire pour l'exercice de son activité professionnelle ;
9° S'abstenir de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;
10° Se soumettre à des mesures d'examen, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation, notamment aux fins de désintoxication. Une copie de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire est adressée par le juge d'instruction au médecin ou au psychologue qui doit suivre la personne mise en examen. Les rapports des expertises réalisées pendant l'enquête ou l'instruction sont adressés au médecin ou au psychologue, à leur demande ou à l'initiative du juge d'instruction. Celui-ci peut également leur adresser toute autre pièce utile du dossier ;
11° Fournir un cautionnement dont le montant et les délais de versement, en une ou plusieurs fois, sont fixés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention, compte tenu notamment des ressources et des charges de la personne mise en examen ;
12° Ne pas se livrer à certaines activités de nature professionnelle ou sociale, à l'exclusion de l'exercice des mandats électifs et des responsabilités syndicales, lorsque l'infraction a été commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ces activités et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise. Lorsque l'activité concernée est celle d'un avocat, le conseil de l'ordre, saisi par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention, a seul le pouvoir de prononcer cette mesure à charge d'appel, dans les conditions prévues à l'article 24 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; le conseil de l'ordre statue dans les quinze jours ;
13° Ne pas émettre de chèques autres que ceux qui permettent exclusivement le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés et, le cas échéant, remettre au greffe les formules de chèques dont l'usage est ainsi prohibé ;
14° Ne pas détenir ou porter une arme et, le cas échéant, remettre au greffe contre récépissé les armes dont elle est détentrice ;
15° Constituer, dans un délai, pour une période et un montant déterminés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention, des sûretés personnelles ou réelles ;
16° Justifier qu'elle contribue aux charges familiales ou acquitte régulièrement les aliments qu'elle a été condamnée à payer conformément aux décisions judiciaires et aux conventions judiciairement homologuées portant obligation de verser des prestations, subsides ou contributions aux charges du mariage ;
17° En cas d'infraction commise soit contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, soit contre ses enfants ou ceux de son conjoint, concubin ou partenaire, résider hors du domicile ou de la résidence du couple et, le cas échéant, s'abstenir de paraître dans ce domicile ou cette résidence ou aux abords immédiats de celui-ci, ainsi que, si nécessaire, faire l'objet d'une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ; les dispositions du présent 17° sont également applicables lorsque l'infraction est commise par l'ancien conjoint ou concubin de la victime, ou par la personne ayant été liée à elle par un pacte civil de solidarité, le domicile concerné étant alors celui de la victime. Pour l'application du présent 17°, le juge d'instruction recueille ou fait recueillir, dans les meilleurs délais et par tous moyens, l'avis de la victime sur l'opportunité d'astreindre l'auteur des faits à résider hors du logement du couple. Sauf circonstances particulières, cette mesure est prise lorsque sont en cause des faits de violences susceptibles d'être renouvelés et que la victime la sollicite. Le juge d'instruction peut préciser les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement.
Les modalités d'application du présent article, en ce qui concerne notamment l'habilitation des personnes contribuant au contrôle judiciaire sont déterminées en tant que de besoin par un décret en Conseil d'Etat. »
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