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Procédure pénale
De la notification du droit de se taire devant la chambre de l’instruction
L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme impose l’obligation d’informer la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction, saisie de l’appel formé contre l’ordonnance de mise en accusation, de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire.
Mis en accusation pour meurtre, un individu a relevé appel de l’ordonnance du juge d’instruction le renvoyant devant la cour d’assises. Ayant comparu à l’audience au cours de laquelle son recours a été examiné, il n’a pas été informé, à l’ouverture des débats devant la chambre de l’instruction, de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire. Dans un pourvoi dirigé contre l’arrêt ayant confirmé sa mise en accusation, il invoquait, sur le fondement des articles 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du Code de procédure pénale, une violation du droit à un procès équitable résultant de ce défaut d’information. A cette occasion, il a également saisi la chambre criminelle d’une question prioritaire de constitutionnalité interrogeant la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution (DDH, art. 9 et 16 ) de l’article 199 du Code de procédure pénale, qui organise les débats devant la chambre de l’instruction, « en ce qu’il ne prévoit pas que devant [cette juridiction] statuant sur la mise en accusation d'une personne mise en examen, cette dernière doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ».
Statuant au visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Haute Cour énonce qu’« il se déduit de cette disposition que la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction, saisie de l’appel formé contre l’ordonnance du juge d’instruction la renvoyant devant une cour d’assises, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire » et que « la méconnaissance de l’obligation d’informer l’intéressé du droit de se taire lui fait nécessairement grief ». Dès lors, en statuant comme elle l’a fait, la chambre de l’instruction a méconnu le principe ainsi énoncé. La cassation est prononcée, la cause et les parties sont renvoyées devant la même juridiction autrement composée. Par arrêt séparé, la chambre criminelle déclare la QPC sans objet puisque l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme s’applique et impose bien dans ce contexte de notifier à l’intéressé son droit de se taire.
Dans la jurisprudence européenne, le droit de se taire de tout « accusé » au sens de l’article 6 (c’est-à-dire celui à qui est officiellement formulé le reproche d’avoir commis une infraction) et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont au cœur de la notion de procès équitable parce qu’ils permettent de protéger l’intéressé contre une coercition abusive de la part des autorités et d’éviter les erreurs judiciaires (V. CEDH 25 févr. 1993, Funke c/ France, n° 10588/83, § 44 ; CEDH, gr. ch., 8 févr. 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, n° 18731/91 § 45).
On sait que la reconnaissance d’un droit au silence au profit du gardé à vue, en France, s’est faite progressivement et non sans heurts : introduite par la loi du 15 juin 2000, l’obligation de notifier au gardé à vue son droit de ne pas répondre aux questions posées, a été modifiée en 2002 puis supprimée en 2003, avant d’être finalement rétablie par le législateur en 2011, dans sa formulation consacrée en 2002 (« droit de faire des déclarations, de répondre ou de se taire »), sous la pression de la jurisprudence européenne, précisément (V. CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c/ Turquie , n° 36391/02, § 50-62 ; CEDH 13 oct. 2009, Dayanan c/ Turquie, n° 7377/03, § 30-34 ; CEDH 14 oct. 2010, Brusco c/ France, n° 1466/07, § 45 ; appelant à la prise en compte immédiate des apports de la jurisprudence européenne et accueillant la nullité des auditions non conformes réalisées en garde à vue, V. Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, nos 10-17.049 , 10-30.313 , 10-30.316 et 10-30.242). Dans le cadre de l’instruction préparatoire, un droit au silence est reconnu lors de l’interrogatoire de première comparution, qu’il ait ou non été fait utilisation de l'article 80-2 du Code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 116 , dans sa rédaction issue de la L. no 2014-535 du 27 mai 2014). On rappellera aussi qu’en 2016, le Conseil constitutionnel avait abrogé sur QPC la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 153 du Code de procédure pénale, estimant « qu'en faisant obstacle, en toute circonstance, à la nullité d'une audition réalisée sous serment lors d'une garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire, les dispositions contestées port[ai]ent atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée » (Cons. const. 4 nov. 2016, no 2016-594 QPC).
Par le présent arrêt (PBRI) promis à la plus large diffusion et rendu au visa de l’article 6 de la Convention, la chambre criminelle complète utilement sa jurisprudence en ce qui concerne les garanties devant être accordées à la défense devant la chambre de l’instruction. Concernant le droit de se taire, la chambre criminelle avait estimé en 2018 que l’information du mis en examen de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui seraient posée ou de se taire, ne s’imposait pas devant la chambre de l’instruction saisie de l’appel de l’ordonnance du juge d’instruction ayant statué sur la restitution d’objets placés sous main de justice (Crim. 19 déc. 2018, no 18-84.303). Solution qui pouvait se comprendre au regard de l’objet de l’audience en question, statuer sur la restitution d’objets saisis au cours de la procédure. Il en va de même quand la chambre de l’instruction est saisie de la procédure d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (C. pr. pén., art. 695-30) : dans ce cas, l’absence de notification à la personne recherchée d’un droit de se taire ne contrevient pas aux dispositions conventionnelles, dès lors que la formalité de l'audition devant la chambre de l'instruction ne constitue pas un interrogatoire sur les faits dont la personne recherchée peut être accusée (Crim. 6 janv. 2015, no 14-87.893). La même solution s’impose en matière d’extradition (C. pr. pén., art. 695-15), la chambre criminelle estimant que l'absence de notification du droit de se taire dans cette phase de la procédure n'est pas contraire aux droits de la défense et notamment au droit de la personne de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Crim. 21 janv. 2015, n° 14-87.377, refusant de renvoyer une QPC au Conseil constitutionnel).
En revanche, dès lors qu’il s’agit pour cette même juridiction d’apprécier la vraisemblance des charges pesant sur le mis en examen - donc de statuer sur le « bien-fondé d’une accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme-, pour déterminer son renvoi ou non devant la juridiction de jugement, il lui incombe de notifier à l’intéressé son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. C’est le sens de la présente solution, qui fait de la violation de cette obligation – essentielle au regard du droit à un procès équitable - une cause de nullité d’intérêt privé assimilée à une nullité d’ordre public, l’intéressé étant ainsi dispensé de la preuve d’un grief.
Crim. 14 mai 2019, n° 19-81.408, FS-P+B+R+I
Crim., QPC, 14 mai 2019, n° 19-81.408, FS-D
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ CEDH 25 févr. 1993, Funke c/ France, n° 10588/83 : D. 1993. Somm. 387, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1994. 362, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 1993. 581, obs. L.-E. Pettiti ; RUDH 1993. 217, obs. F. Sudre
■ CEDH, gr. ch., 8 févr. 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, n° 18731/91 : AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1997. 977, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1997. 476, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 481, obs. R. Koering-Joulin
■ CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c/ Turquie , n° 36391/02: AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss
■ CEDH 13 oct. 2009, Dayanan c/ Turquie, n° 7377/03: D. 2009. 2897, note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2010. 27, étude C. Saas ; RSC 2010. 231, obs. D. Roets
■ CEDH 14 oct. 2010, Brusco c/ France, n° 1466/07: D. 2010. 2950, note J.-F. Renucci ; ibid. 2425, édito. F. Rome ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2850, point de vue D. Guérin ; RSC 2011. 211, obs. D. Roets
■ Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, nos 10-17.049 P, 10-30.313 P, 10-30.316 P et 10-30.242 P : D. 2011. 1080, et les obs. ; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro ; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade ; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli ; RTD civ. 2011. 725, obs. J.-P. Marguénaud
■ Cons. const. 4 nov. 2016, no 2016-594 QPC : Dalloz Actu Etudiant, 6 déc. 2016 ; D. 2017. 395, note A. Gallois.
■ Crim. 19 déc. 2018, no 18-84.303 P
■ Crim. 6 janv. 2015, no 14-87.893 P: RTD eur. 2016. 374-31, obs. B. Thellier de Poncheville ; ibid. 374-31, obs. B. Thellier de Poncheville
■ Crim. 21 janv. 2015, no 14-87.377
■ Rép. pén. Dalloz, v° Convention européenne des droits de l’homme – jurisprudence de la Cour européenne en matière pénale, par P. Dourneau-Josette, n° 377
■ Rép. pén. Dalloz, v° Chambre de l’instruction, par Ph. Belloir, n°s 643 et 657
■ Rép. pén. Dalloz, v° Instruction préparatoire, par C. Guéry, n° 411
■ Rép. pén. Dalloz, v° Garde à vue, par C. Mauro, n° 120
■ Rép. pén. Dalloz, v° Nullités de la procédure, par M. Guerrin, n° 38 s.
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