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Droit des obligations
De la preuve du terme de l’obligation d’entretien de l’enfant majeur
Il appartient à celui qui demande la suppression d'une contribution à l'entretien d'un enfant de rapporter la preuve des circonstances permettant de l'en décharger. Dès lors, viole les articles 371-2 et 1353 du Code civil une cour d'appel qui, pour supprimer la contribution d'un père à l'entretien de son enfant majeur, retient que les pièces produites par la mère de l'enfant ne peuvent suffire à justifier de ce que celui-ci serait toujours à sa charge.
Civ. 1re, 19 nov. 2025, n° 23-12.415 B
Un couple dont l’enfant commun est âgé de 19 ans divorce. L’ex-époux interjette appel du jugement ayant mis à sa charge le versement d’une pension en exécution de son obligation d’entretien de l’enfant, ayant pourtant atteint l’âge de la majorité. Accueillant sa demande, la cour d’appel supprime toute contribution du père à son obligation d’entretien, au motif que la mère de l’enfant échoue à rapporter la preuve, qui lui incombe, que sa fille continue d’être à sa charge. Devant la Cour de cassation, la mère de l’adolescente soutient que l’obligation d’entretien ne cessant pas à la majorité de l’enfant, il revient au parent demandant sa suppression de justifier, dans les conditions du droit commun de la preuve, d’éléments suffisamment probants pour être libéré de son obligation. Il en résulterait en l’espèce que la charge de la preuve incombe au père, et non à la mère de l’enfant, en sorte qu’en lui demandant de justifier que sa fille serait encore à sa charge, la cour d’appel aurait inversé la charge de la preuve.
La première chambre civile lui donne raison. Au visa des articles 371-2 et 1 353 du Code civil, elle casse et annule la décision des juges du fond. La Cour rappelle qu’aux termes du premier de ces textes, chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant, cette obligation ne cessant de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur. Elle ajoute que selon le second, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation (C. civ., art. 1353, al. 2). Il en résulte qu'il appartient à celui qui demande la suppression d'une contribution à l'entretien de son enfant de rapporter la preuve des circonstances permettant de l'en décharger. Or pour supprimer la contribution du père à son obligation d’entretien, l'arrêt retient que la mère de l’enfant n’est pas parvenue, faute d’éléments de preuve suffisants, à établir que sa fille serait toujours à sa charge.
Ainsi la cour d’appel a-t-elle, en violation des textes susvisés, inversé la charge de la preuve applicable en matière de contribution à l’obligation parentale d’entretien et d’éducation de l’enfant, même majeur.
En dépit des termes trompeurs de l’article 203 du Code civil, l’obligation d’entretien n’est pas un impératif conjugal, mais un devoir parental : elle découle de l’instauration d’un lien de filiation. Son existence est d’ailleurs rappelée par une disposition parfaitement indifférente à la nature des relations existant entre les parents : il est ainsi prévu à l’article 371-2 du Code civil que « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants ». Indépendant de l’union matrimoniale, le devoir d’entretien des enfants survit à la dislocation du couple. Lors d’une procédure de divorce, le juge fixe en conséquence une pension autonome de celle attribuée au conjoint au titre du devoir de secours, à verser en exécution de l’obligation distincte d’entretien des enfants communs. Celle-ci tend à assurer la subsistance et l’éducation de chacun des enfants du couple, même lorsque ces derniers ont atteint l’âge de la majorité.
La majorité de l’enfant ne fixe pas le terme de l’obligation d’entretien, à laquelle chaque parent, au titre de ses devoirs parentaux inférés de la filiation et non de l’autorité parentale, doit impérativement contribuer (donc même lorsqu’il se trouve privé de l’exercice ou de la jouissance de l’autorité parentale, v. C. civ., art. 371-2, al. 2 et 373-2-1, al. 5 ; Civ. 1re, 18 mai 1972). Contrairement à l’autorité parentale, l’obligation d’entretien ne s’éteint pas à l’instant où la minorité de l’enfant prend fin : l’obligation d’entretien « ne cesse pas de plein droit (…) lorsque l’enfant est majeur » (C. civ., art. 371-2 et 373-2-5 ; v. Civ. 1re, 18 sept. 2019, n° 19-40.022). Elle bénéficie donc très fréquemment à de jeunes adultes, l’obligation d’entretien subsistant tant que l’enfant majeur poursuit des études et, de façon encore plus extensive, jusqu’à ce qu’il occupe un emploi lui garantissant une autonomie financière (C. civ., art. 373-2-5 ; Civ. 2e, 27 janv. 2000, n° 96-11.410 ; v. J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, coll. « Hypercours », 3e éd., n° 994). À compter de sa majorité, le fils ou la fille ne peut plus en revanche se prévaloir de l’obligation de ses parents de subvenir à ses besoins s’il demeure délibérément oisif (Civ. 1re, 25 juin 1996, n° 94-17.619 et n° 94-17.773 ; v. aussi C. civ., art. 342-2, al. 2).
L’obligation d’entretien n’étant pas liée à la minorité, la pension qui aura été attribuée à l’enfant mineur ne disparaît donc pas de façon automatique une fois ce dernier devenu majeur (Civ. 2e, 8 févr. 1989, n° 87-17.771). Le parent qui en est débiteur peut certes demander qu’elle soit supprimée, mais comme le rappelle ici la Cour, il lui incombe alors de rapporter la preuve des circonstances permettant de l’en décharger (v. déjà, Civ. 2e, 2 avr. 1997, n° 95-18.749 ; Civ. 1re, 7 nov. 2012, n° 12-17.394). Conformément au droit commun de la preuve, la charge probatoire pèse sur le parent prétendument libéré, qui doit pouvoir justifier d’une réunion d’éléments suffisamment probants pour que le juge accède à sa demande. Il supporte donc seul la charge d’établir la réalité des faits allégués pour obtenir cette suppression. Le second parent n'a, quant à lui, rien à prouver, ce qui justifie la cassation de la décision des juges du fond. En l’espèce, pour obtenir la suppression de son obligation d’entretien, il incombait donc exclusivement au père de l’enfant d’établir que sa fille disposait désormais d’une autonomie financière suffisante (Civ. 2e, 2 déc. 1987, n° 86-17.248) ou qu’elle s’abstenait, sans raison valable, de travailler pour parvenir à cette autonomie.
Références :
■ Civ. 1re, 18 mai 1972, n° 70-14.534, Bull. I, n° 135
■ Civ. 1re, 18 sept. 2019, n° 19-40.022 B : D. 2019. 1834 ; Just. & cass. 2020. 191, rapp. F. Bozzi ; ibid. 228, avis P. Poirret ; AJ fam. 2019. 587, obs. M. Saulier.
■ Civ. 2e, 27 janv. 2000, n° 96-11.410 P : D. 2000. 96 ; RTD civ. 2000. 303, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 25 juin 1996, n° 94-17.619 et n° 94-17.773
■ Civ. 2e, 8 févr. 1989, n° 87-17.771 P : D. 1990. 115.
■ Civ. 2e, 2 avr. 1997, n° 95-18.749 P
■ Civ. 1re, 7 nov. 2012, n° 12-17.394 P : D. 2012. 2661 ; ibid. 2013. 591, chron. C. Capitaine et I. Darret-Courgeon ; ibid. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2012. 607, prat. E. Buat-Ménard ; RTD civ. 2013. 96, obs. J. Hauser.
■ Civ. 2e, 2 déc. 1987, n° 86-17.248 P : D. 1990. 115.
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