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Droit des obligations
De la réparation intégrale du préjudice matériel en matière contractuelle
Mots-clefs : Responsabilité contractuelle, Préjudice matériel, Réparation intégrale, Obligation de minimiser son dommage, Projets de réforme de droit des obligations
La Cour de cassation réaffirme l’absence d’obligation pour la victime d’un préjudice matériel de minimiser son dommage.
Une femme a confié à un maçon des travaux de terrassement nécessaires au raccordement d’une maison au tout-à-l’égout qui ont causé des fissurations et une désolidarisation du mur. Le maçon a donc posé des étais afin de contenir ce dommage initial, qui ont été, par la suite, volés sur le chantier, ce qui a provoqué une aggravation du dommage initial conduisant à la destruction de l’immeuble. La propriétaire a donc assigné le maçon en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 1147 du Code civil.
La cour d’appel de Poitiers a limité la réparation au dommage initial, considérant que le maçon avait correctement monté les étais et qu’il appartenait à la propriétaire de prendre toute mesure conservatoire utile à éviter l’aggravation du dommage provoquée par le vol.
La Cour de cassation était donc saisie de la question de la réparation intégrale du préjudice dans une situation où la victime aurait pu elle-même éviter l’aggravation de son dommage.
La deuxième chambre civile réaffirme ici le principe de la réparation intégrale du préjudice en refusant de limiter la réparation au dommage initial pour tenir compte de la négligence de la victime.
Cette règle avait déjà été énoncée sous forme de principe dans deux arrêts de 2003 (Civ. 2e, 19 juin 2003) où la même chambre avait affirmé que « la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». Mais un arrêt de 2011 est venu semer le trouble au sein de la doctrine (Civ. 2e, 24 nov. 2011).
Dans cette affaire, un assureur avait signifié à l’un de ses assurés qu’il ne pouvait plus bénéficier de cette qualité. Privé d’assurance, ce dernier n’a pas utilisé son véhicule, pendant un certain temps, et a donc agi en réparation du préjudice de privation de jouissance de son bien. La cour d’appel a refusé de lui accorder une indemnisation car il n’établissait pas que la décision de l’assureur l’avait empêché d’utiliser son véhicule en s’adressant à un autre assureur. La deuxième chambre civile a censuré cette décision, au motif que les juges du fond n’avaient pas caractérisé la faute de l’assuré ayant conduit à l’aggravation de son préjudice.
Certains auteurs ont analysé cet arrêt comme le signe d’une inflexion de la position de la Cour de cassation, alors que d’autres plus réservés, n’y ont vu que la sanction d’une absence de preuve du préjudice de jouissance.
Cependant, malgré l’engouement de certains auteurs pour cette décision, la Cour de cassation a, par la suite, confirmé le principe de réparation intégrale du préjudice (Civ. 2e, 29 mars 2012) et l’exclusion de toute obligation de la victime de minimiser son propre dommage, comme le montre l’arrêt ici commenté.
Pourtant, l’obligation pour la victime de minimiser son dommage se retrouve déjà dans le droit positif français à travers la convention de Vienne applicable à la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (art. 77), et également, mais plus alors dans notre droit contemporain, dans les principes Unidroit (art. 7.4.8) et les Principes européens de droit des contrats (art. 9 : 505). Ainsi, en matière de contrats internationaux la France a déjà recours à cette obligation de minimiser son dommage.
Les projets de réforme universitaires ont même été plus loin en édictant l’obligation pour la victime de minimiser son dommage aussi bien en matière contractuelle qu’en matière délictuelle, avec toutefois une limite importante liée à la nature du préjudice invoqué. En effet, pour le projet Catala (art. 1373) et le projet Terré (art. 53) le devoir de minimisation du préjudice de la victime ne s’applique pas au préjudice corporel. Ces projets cherchent à se rapprocher de la notion anglo-saxonne de « mitigation of damages », d’autant qu’en droit comparé, de nombreux pays de tradition civiliste ont adopté cette notion. La solution française, qui rejette cette notion en arguant du principe de réparation intégrale du préjudice, semble donc isolée.
Si la question de l’opportunité d’intégrer dans notre corpus contractuel se pose, ses éventuelles modalités resteraient encore à déterminer, quant à la nature des mesures à accomplir par la victime et quant aux effets de celles-ci. D’une part, les projets universitaires sont concordants sur le fait qu’il ne devra pas s’agir de moyens déraisonnables : le projet Terré vise des moyens « sûrs et raisonnables » alors que le projet Catala vise des moyens « sûrs, raisonnables et proportionnés ». Il reste, d’autre part, à savoir si ces mesures doivent simplement éviter une aggravation d‘un dommage ou en réduire l’étendue lorsqu’il est déjà apparu. Le projet Catala vise les deux possibilités, « réduire l’étendue de son préjudice ou en éviter l’aggravation », tandis que le projet Terré ne vise que la seule « réduction du préjudice ».
En définitive, le suspense demeure entier quant à l’intégration éventuelle de l’obligation de minimiser son dommage en droit français. La réforme du droit des obligations devrait enfin permettre d’y mettre fin.
Civ. 3e, 10 juil. 2013, n°12-13.851
Cet arrêt fera prochainement l'objet d'un commentaire dans la rubrique « À vos copies ».
Références
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
■ Article 77de la convention de Vienne
« La partie qui invoque la contravention au contrat doit prendre les mesures raisonnables, eu égard aux circonstances, pour limiter la perte, y compris le gain manqué, résultant de la contravention. Si elle néglige de le faire, la partie en défaut peut demander une réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui aurait dû être évitée. »
■ Article 7.4.8 des Principes Unidroit - Atténuation du préjudice
« 1. Le débiteur ne répond pas du préjudice dans la mesure où le créancier aurait pu l’atténuer par des moyens raisonnables.
2. Le créancier peut recouvrer les dépenses raisonnables occasionnées en vue d’atténuer le préjudice ».
■ Article 9 : 505 des Principes européens de droit des contrats - Réduction du préjudice
« (1) Le débiteur n'est point tenu du préjudice souffert par le créancier pour autant que ce dernier aurait pu réduire son préjudice en prenant des mesures raisonnables.
(2) Le créancier a droit au remboursement de tous frais qu'il a raisonnablement engagés en tentant de réduire le préjudice. »
■ Article 1373 du Projet Catala
« Lorsque la victime avait la possibilité, par des moyens sûrs, raisonnables et proportionnés, de réduire l'étendue de son préjudice ou d'en éviter l'aggravation, il sera tenu compte de son abstention par une réduction de son indemnisation, sauf lorsque les mesures seraient de nature à porter atteinte à son intégrité physique. »
« Sauf en cas d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne, le juge pourra réduire les dommages et intérêts lorsque le demandeur n’aura pas pris les mesures sûres et raisonnables propres à limiter son préjudice. »
■ Civ. 2e, 19 juin 2003, n° 01-13.289, D. 2003. 2326, note J.-P. Chazal ; ibid. 2004. 1346, obs. D. Mazeaud ; GAJC, 12e éd. 2008, n° 190 ; RTD civ. 2003. 716, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 24 nov. 2011, n°10-25.635, D. 2012. 141, note H. Adida-Canac ; ibid. 644, chron. H. Adida-Canac, O.-L. Bouvier et L. Leroy-Gissinger ; JCP 2012, n° 170, note V. Rebeyrol ; RCA 2012. comm. 34, obs. S. Hocquet-Berg et n° 530, obs. Ph. Stoffel-Munck.
■ Civ., 2e 29 mars 2012, n°11-14.661.
■ P. Jourdain, « Vers une sanction de l'obligation de minimiser son dommage ? », RTD civ. 2012. 324.
■ H. Adida-Canac, « “Mitigation of damage ” : une porte entrouverte ? », D. 2012. 141.
■ P. Brun, O. Gout, « Responsabilité civile », D. 2013. 40.
■ D. Mazeaud, « La passivité de la victime, l'intérêt de l'auteur du dommage », D. 2004. 1346.
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