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[ 3 juillet 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

De l'application circonscrite d’une législation d’un land

Mots-clefs : Libre prestation de services, Cohérence, Identité nationale, État membre, Entrave

Une entrave imposée par un État membre à une liberté de circulation peut être justifiée si elle vise la réalisation d’un objectif d’intérêt général, encore faut-il que cet objectif soit protégé de manière cohérente et systématique. La Cour juge que cette cohérence est maintenue dans le cas où un État fédéré a adopté temporairement une législation plus libérale, empêchant la protection des objectifs visés au niveau national. La Cour insiste cependant sur le caractère circonscrit de l’application de cette législation pour que la condition de la cohérence puisse être remplie.

La Cour de justice de l’Union européenne reconnaît une large marge d’appréciation aux États membres en ce qui concerne l’encadrement du secteur des jeux de hasard et de paris. Il s’agit pour les juges de prendre en considération les particularités morales, culturelles et religieuses dans chaque État membre. Cette jurisprudence porte à conséquence à l’égard de la liberté d’établissement (TFUE, art. 49) et de la libre prestation de services (TFUE, art. 56), qui constituent des libertés fondamentales au regard de la jurisprudence de la Cour de justice. En effet, les États sont en mesure de dresser des obstacles dans ce secteur d’activité en interdisant, par exemple, la publicité ou en exigeant l’obtention préalable d’un agrément ou d’une licence afin de protéger le consommateur ou, encore, de lutter contre la criminalité.

La contrepartie imposée par la Cour de justice, à cette marge d’appréciation, est la protection cohérente et systématique de l’objectif d’intérêt général justifiant la restriction. La difficulté est que cette cohérence est appréhendée habituellement au niveau de l’ensemble du territoire de l’État membre. Or, en Allemagne, la réglementation en matière de jeux dépend des lands, lesquels s’étaient entendus en 2008 sur une réglementation commune. Cependant en 2012, un land a décidé d’adopter sa propre réglementation, plus libérale, remettant potentiellement en cause l’exigence de cohérence de la législation en Allemagne. La Cour de justice a ainsi été invitée à se prononcer sur le respect de cette condition de cohérence au regard de la mise en œuvre d’une législation différenciée dans un land.

À l’origine du litige, il y a l’adoption d’une nouvelle disposition relative aux jeux de hasard dans le land allemand de Schleswig-Holstein. Ce land a autorisé l’organisation de jeux de hasard par Internet entre le 1er janvier 2012 et le 8 février 2013 et leur publicité à la télévision et sur Internet. Or, cette autorisation était contraire avec les dispositions s’appliquant dans tous les autres lands qui interdisaient notamment l’organisation de jeux par Internet et la publicité. Cette nouvelle législation s’appliquait à toute personne dans l’Union qui répondait à différentes conditions objectives. La difficulté provenait du fait que la société Digibet avait proposé des jeux de hasard et des paris en ligne depuis Gibraltar où la société détient une licence. En conséquence, la société de loterie publique de la Rhénanie a engagé une action contre cette société et son gérant estimant que la loi allemande était violée. La société a été condamnée en octobre 2009 et septembre 2010. Au regard de la loi du land de Schleswig-Holstein, la société a demandé une révision de son jugement, estimant que la libre prestation de services était violée au regard du non-respect de la condition de la cohérence.

La Cour de justice juge que les dispositions allemandes demeurent justifiées au regard du droit de la libre prestation de services, la cohérence de la législation allemande n’étant pas remise en cause par les dispositions litigieuses du land. La Cour considère que l’atteinte a été très temporaire et qu’elle a été limitée géographiquement. À ce sujet, on peut toutefois remarquer que le raisonnement de la Cour est « bancal » étant donné que les autorisations accordées pendant cette période demeurent valables jusqu’à leur terme, le caractère temporaire est ainsi très relatif.

L’arrêt est également intéressant étant donné que la Cour intègre dans son raisonnement la question de l’identité nationale des États membres figurant à l’article 4, paragraphe 2 du traité de l’Union européenne. Au regard de cette disposition, les institutions de l’Union européenne (dont la Cour de justice) ont l’obligation de respecter l’organisation interne des États membres et, notamment, la répartition des compétences au sein de l’État membre, y compris avec les collectivités infraétatiques. La Cour est ainsi obligée d’accepter la possibilité de législations différenciées au sein d’un même État membre. Cependant, il revient à la Cour de justice d’en tirer les conséquences par rapport à la protection du marché intérieur et, notamment, de déterminer si l’exigence de cohérence est respectée conformément à sa jurisprudence. Au regard de cet arrêt, pour la Cour, la reconnaissance de l’identité nationale ne doit pas conduire à une remise en cause injustifiée du marché intérieur.

CJUE 12 juin 2014Digibet Ltd et Gert Albers c/ Westdeutsche Lotterie GmbH, C-156/13

Références

 Article 4 Traité sur l'Union européenne

« 1. Conformément à l'article 5, toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres.

2. L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre.

3. En vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les États membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités.

Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union.

Les États membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union. »

■ Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 49

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre.

La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. »

Article 56

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.

Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d'un État tiers et établis à l'intérieur de l'Union. »

 

Auteur :V. B.

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