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[ 10 avril 2023 ] Imprimer

Droit de la consommation

De l’appréciation de l’abus des clauses de déchéance de terme

Dans deux arrêts rendus le 22 mars 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler la position de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’appréciation de l’abus des clauses de déchéance du terme sans mise en demeure préalable ni préavis d’une durée raisonnable.

Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 et n° 21-16.044 B

Fréquemment stipulées dans les contrats de prêt, les clauses de déchéance du terme sans préavis ni mise en demeure préalable, sources d’abus au détriment du consommateur, sont à l’origine d’un contentieux foisonnant, notamment auprès de la première chambre civile de la Cour de cassation (v. par ex., sur la notification de celle-ci, Civ. 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386) qui, face à la multiplication des pourvois à ce titre formés, consulte régulièrement la Cour de justice de l’UE (v. not. Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154). La position des juges européens sur l’appréciation de l’abus de ce type de clauses se voit rappelée et mise en œuvre dans les deux arrêts rapportés, chacun prononçant une cassation pour violation de la loi, à savoir de l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation (devenu l’article L. 212-1 du même code). Transposant dans l’ordre interne les solutions dégagées par les juges européens, notamment quant à la méthode employée, les décisions sous commentaire sont d’une importance certaine qui justifie leur double publication au Bulletin et aux Lettres de chambre.

Dans la première affaire (pourvoi n° 21-16.476), une banque avait conclu avec une personne physique un prêt immobilier garanti par une hypothèque et assorti d’une clause d’exécution forcée à effet immédiat en cas de manquement du débiteur à une seule échéance, sans mise en demeure préalable ni préavis. Après la défaillance de la débitrice principale, la banque avait fait délivrer un commandement pour obtenir la vente forcée des biens hypothéqués. Après que cette vente fut ordonnée par un jugement, lequel avait également fixé le montant de la créance détenue par la banque, l’emprunteuse forma un pourvoi en cassation, estimant que la clause prévoyant l’exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt était abusive au sens du Code de la consommation. Dans la seconde affaire (pourvoi n° 21-16.044), une banque avait consenti à un couple d’emprunteurs un prêt immobilier stipulant également une clause de déchéance du terme. Une fois la déchéance prononcée, le créancier avait engagé une procédure d’exécution forcée des immeubles appartenant aux emprunteurs. Ceux-ci dénonçaient le caractère abusif de la clause de déchéance, ainsi que d’une clause pénale également insérée au contrat. En appel, la cour refusa de juger abusive la clause stipulant la résiliation de plein droit du prêt en considérant que la déchéance du terme avait été prononcée après une première mise en demeure, restée infructueuse, et que cette même clause précisait le délai durant lequel les emprunteurs pouvaient s’y opposer. Ces derniers se sont alors pourvus en cassation, reprochant aux juges du fond une violation de l’article L. 132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2008-776 du 4 août 2008.

Par l’adoption d’une motivation « enrichie », la Cour de cassation renvoie, dans les deux arrêts, à la jurisprudence récente de la Cour de justice, qu’elle explicite. Le premier arrêt fondateur rendu à propos des clauses de déchéance du terme est le fameux arrêt Banco Primus du 26 janvier 2017 (CJUE 26 janv. 2017, Banco Primus, aff. C-421/14) à propos duquel la première chambre civile reprend la liste des critères dressés par les juges européens pour apprécier l’abus en cas de manquement du débiteur dans le cadre d’un prêt à durée déterminée (pourvoi n° 21-16.476, §8 ; pourvoi n° 21-16.044, §12). Les juges internes doivent à ce titre examiner : 

-        le caractère essentiel ou accessoire de l’obligation inexécutée ;

-        la gravité de l’inexécution au regard de la durée et du montant du prêt ;

-        le caractère dérogatoire ou non au droit commun applicable en l’absence d’une telle clause ;

-        la prévision par le droit interne de moyens « adéquats et efficaces » pouvant laisser au consommateur le soin de remédier aux effets de cette exigibilité.

Ceci posé, encore faut-il savoir si ces critères sont alternatifs ou cumulatifs. Au cœur de la question préjudicielle posée par la Cour de cassation à la CJUE dans l’arrêt précité (Civ. 1re, 16 juin 2021), la réponse donnée par les juges européens dans le second arrêt fondateur en la matière (CJUE 8 déc. 2022, aff. C-600/21) a eu de quoi dérouter. Plutôt que d’opter pour l’une ou l’autre branche de l’alternative, ces derniers ont estimé préférable de recourir à la méthode du faisceau d’indices pour déterminer, sur la base de l’ensemble des critères précités, si la clause considérée revêt ou non un caractère abusif. Concrètement, l’abus doit être retenu lorsqu’un nombre suffisant, parmi l’ensemble des critères répertoriés, se trouve réuni. Pragmatique, la méthode est toutefois délicate : le non-cumul de ces critères conduit à ce que chacun d’eux soit examiné isolément pour apprécier l’éventuel abus. In concreto, cette méthode d’appréciation de l’abus, adoptée à l’identique dans les deux arrêts rapportés, aboutit toutefois à des solutions assez différentes, ce que son empirisme permettait d’augurer.

C’est sur le fondement de l’arrêt Pannon (CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt, aff. C-243/08) et l’obligation faite au juge de relever d’office les clauses abusives que le premier arrêt est cassé pour violation de la loi. En effet, rappelons que la cour d’appel avait ordonné la vente forcée de l’immeuble hypothéqué en se contentant de relever que la clause litigieuse prévoyait bien une exigibilité immédiate des sommes dues en cas d’inexécution de l’emprunteur. Insuffisant, ce contrôle ne répondait pas aux nécessités d’encadrement de ce type de clauses, dont les dangers avaient pourtant été explicitement mis en exergue par la Cour de justice en 2022. Dans cet arrêt (CJUE 8 déc. 2022, préc.,), il s’agissait en effet d’opérer un contrôle serré sur la clause prévoyant « de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat pouvait être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n’avait pas fait l’objet d’une négociation individuelle et créait au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat » (pts 47 et 48). Ayant de toute évidence méconnu leur office, les juges du fond se voient ainsi rappelés à l’ordre. Il va de soi qu’en conséquence, la cour d’appel de renvoi verra sa marge de manœuvre d’appréciation de l’abus réduite à la portion congrue, le caractère abusif de la clause litigieuse se devinant aisément à l’aune des critères fixés et des faits de l’espèce relevés au fond (soumission à l’exécution forcée immédiate en raison du manquement du débiteur à une seule échéance et permettant de prononcer la déchéance immédiate sans mise en demeure préalable ni préavis).

Dans la seconde affaire, si le contrôle de la clause abusive avait bien été opéré par les juges du fond, les demandeurs au pourvoi ayant sollicité sa mise en œuvre dès la naissance du litige, le résultat de ce contrôle, à savoir l’absence d’abus, justifie autrement la cassation toutefois prononcée, là encore, pour violation de la loi. Rappelons que la cour d’appel avait retenu qu’une mise en demeure était restée sans effet alors que les emprunteurs bénéficiaient d’un certain délai pour exécuter ce qui constituait l’obligation principale du prêt (v. l’arrêt Banco Primus). En l’espèce, l’abus naissait cependant de l’absence de préavis d’une durée raisonnable (§15). Dans cette seconde affaire, la cour d’appel de renvoi n’aura pas davantage que la première la liberté d’écarter la qualification de clause abusive.

Dont acte : par ces deux décisions, les banques sont fortement incitées à éradiquer de leurs contrats de prêts les clauses de déchéance du terme sans préavis ni mise en demeure préalable, celles-ci générant un déséquilibre significatif au détriment du consommateur que la Cour de cassation entend bien, sur les conseils avisés des magistrats européens, protéger du danger auquel il se voit, par ces clauses notoirement déséquilibrées, exposé.

Références :

■ Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 B : D. 2023. 597

■ Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.044 B : D. 2023. 596 

■ Civ. 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386 B D. 2021. 2084 ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki

■ Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154 B : D. 2021. 1619, note A. Etienney-de Sainte Marie ; RTD eur. 2022. 203, obs. A. Jeauneau.

 CJUE 26 janv. 2017, Banco Primus, aff. C-421/14 D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 525, obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron.

■ CJUE 8 déc. 2022, aff. C-600/21 D. 2022. 2220.

■ CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrtaff. C-243/08 D. 2009. 2312, note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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