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Droit du travail - relations collectives
De l’importance de distinguer une union, un syndicat primaire et une section syndicale
Une organisation syndicale ne peut avoir une activité purement politique. Un syndicat primaire regroupe des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou connexes et ne peut donc avoir une vocation intercatégorielle. Une union de syndicats est un regroupement d’au moins deux syndicats primaires et peut avoir une vocation intercatégorielle. L'interprétation des statuts d'une organisation syndicale ne relève pas de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Soc. 12 juill. 2024, n° 24-60.173 (affaire 1, Union des syndicats gilets jaunes) ; Soc. 12 juill. 2024, n° 24-60.174 (affaire 2, Syndicat commerce indépendant démocratique) ; Soc. 12 juill. 2024, n° 24-16.083 (affaire 3, Syndicat Sindikad Labourerien Breizh)
Du 25 novembre au 9 décembre 2024, doit se dérouler le scrutin en vue de mesurer l’audience des organisations syndicales auprès des salariés des entreprises de moins de onze salariés, permettant ensuite d’identifier leur représentativité. Dans le cadre de la préparation de ce scrutin, le directeur général du travail a établi, par décision du 13 mars 2024, la liste des organisations recevables à déposer leurs candidatures et certains de ses choix ont fait l’objet de recours devant le tribunal judiciaire puis de pourvois en cassation (art. R. 2122-33, R. 2122-39 c. trav.). Dans trois affaires, la première concernant une union (Union des syndicats gilets jaunes), la seconde un syndicat primaire (SCID) et la troisième une organisation prétendant être une union (SLB), le tribunal judiciaire de Paris considère que ces organisations ne peuvent se porter candidates. La Cour de cassation censure les deux premiers jugements mais rejette le troisième pourvoi. Les arrêts permettent non seulement de mieux cerner la notion de syndicat professionnel mais encore de rappeler les différences essentielles entre sections syndicales, syndicats primaires et unions de syndicat.
L’objet d’un syndicat professionnel
Différentes prérogatives sont confiées par le code du travail aux syndicats professionnels, c’est-à-dire aux organisations qui « ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts » (art. L. 2131-1 c. trav.). Dans la première affaire, le tribunal judiciaire déniait à l’Union des syndicats gilets jaunes la qualité de syndicat au motif qu’elle avait une activité purement politique et qu’elle ne visait donc pas à défendre les intérêts des travailleurs. La Cour de cassation censure ce raisonnement après avoir visé la Convention n° 87 de l’OIT, l’article 11 de la Conv. EDH, l’alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 et l’article L. 2131-1 du Code du travail qui reconnaissent la liberté syndicale. Certes, une organisation ne peut prétendre être un syndicat si elle poursuit un objectif essentiellement politique (Ch. Mixte, 10 avr. 1998, n° 97-17.870). Il ne s’agit toutefois pas de dénier à un syndicat toute analyse ou critique des choix politiques mais de vérifier que son action concerne les travailleurs. La contestation de la licéité de son objet est alors possible en examinant son action concrète. En l’espèce, l’union avait publié sur son site internet différents articles concernant les effets des vaccins contre la covid-19 et le tribunal judiciaire avait considéré que ces publications établissaient sa nature purement politique. Or la Cour de cassation relève qu’il aurait fallu vérifier si ces articles n’étaient pas en lien avec les relations de travail puisqu’ils dénonçaient la suspension du contrat de travail de certains professionnels de santé ou des pompiers. Par ailleurs, le tribunal judiciaire aurait dû examiner les autres actions de l’union (désignation de responsables de section syndicale, manifestation pour la défense des salariés, présentation de candidats aux élections…). Le jugement est donc censuré pour défaut de base légale.
Le tribunal judiciaire avait également estimé que d’après les statuts de l’union, celle-ci pouvait accueillir comme adhérents à la fois des organisations de salariés mais également des « indépendants », ceux-ci pouvant être assimilables à des employeurs. Or, une organisation syndicale de salariés ne peut évidemment pas avoir vocation à défendre les intérêts des employeurs. Les statuts étaient toutefois assez ambigus et sujet à discussion. La Cour de cassation précise alors que « l'interprétation des statuts d'une organisation syndicale ne relève pas de l'appréciation souveraine des juges du fond ». Il ne s’agit pas d’un revirement puisque d’autres arrêts révélaient déjà un contrôle plein et entier de la Cour régulatrice sur les décisions des juges du fond (par exemple : Soc. 8 oct. 2014, n° 14-11.317) mais la formule a le mérite de clarifier la solution. En l’espèce, la Cour casse pour violation de la loi la décision du tribunal judiciaire car elle considère que les statuts ne permettaient pas d’affirmer que l’adhésion à l’Union était ouverte aux employeurs.
Les syndicats primaires
Dans la seconde affaire, le directeur général du travail avait déclaré le SCID irrecevable à se porter candidat au scrutin au motif qu’il avait une vocation intercatégorielle, position confirmée par le tribunal judiciaire. Était ici en question le principe de spécialité des syndicats primaires. La Cour a déjà été amenée à poser la distinction entre un syndicat primaire et une union de syndicat. Un syndicat dit primaire doit respecter dans ses statuts les prescriptions de l’article L. 2131-2 du Code du travail, c’est-à-dire réunir des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l’établissement de produits déterminés. Il ne peut pas avoir vocation à défendre les intérêts de tous les travailleurs de tous les secteurs d’activité. (Soc. 21 oct. 2020, n° 20-18.669). Il appartient donc aux juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, d’identifier la vocation statutaire spécifique du syndicat. En l’espèce, les statuts du syndicat indiquaient qu’il réunissait les salariés travaillant dans le commerce, les services, les industries de l’habillement, du cuir et du textile. Le tribunal judiciaire avait estimé ce regroupement trop hétéroclite : le commerce et les services regrouperaient des secteurs très différents et l’industrie de l’habillement, du cuir et du textile ne viserait aucune branche d’activité spécifique. La vocation statutaire serait donc interprofessionnelle, ce qui n’est pas possible pour un syndicat primaire. La Cour censure cette lecture des statuts et considère au contraire que l’objet du SCID respecte le principe de spécialité et qu’il n'a pas vocation à représenter tous les salariés et toutes les activités. La Cour fait donc le choix d’une grande souplesse en matière de « similitude » ou de « connexité » des métiers. En revanche, si les statuts d’un syndicat indiquaient qu’il avait vocation à représenter les travailleurs d’un secteur identifié (par exemple les artistes interprètes, enseignants de la musique de la danse et des arts dramatiques) tout en ajoutant « ainsi que tous les salariés et tous les secteurs d’activité », il ne pourrait être qualifié de syndicat primaire (Soc. 21 oct. 2020, n° 20-18.669).
Les unions de syndicats
Les organisations syndicales peuvent souhaiter coordonner leurs actions, aborder des problèmes sociaux plus généraux, accroître leur influence sur un territoire plus vaste. À cette fin, elles peuvent se regrouper sous forme d’union. Tout comme un syndicat primaire, une union a la personnalité juridique. Mais, à la différence des syndicats primaires, une union peut être intercatégorielle. En France, les organisations syndicales s’organisent soit de manière horizontale, c’est-à-dire se regroupent selon des critères géographiques (par exemple une union départementale ou régionale) soit de manière verticale, en fonction du secteur professionnel (les fédérations). Les confédérations ont vocation à réunir, au plan national et interprofessionnel, les fédérations et les unions locales d’une même tendance. Il faut préciser qu’en vertu de l’article L. 2133-3 du Code du travail, les unions jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels. Elles peuvent donc présenter des candidatures aux élections permettant de mesurer l’audience syndicale dans les petites entreprises. On ne saurait évidemment pas se contenter d’une affirmation statutaire pour reconnaître qu’une organisation est une union. Cette qualité est donc contestable en justice. Dans la troisième affaire, était en cause une organisation qui prétendait être une union. Le tribunal judiciaire lui avait refusé cette qualité au motif qu’elle ne démontrait pas réunir plusieurs syndicats primaires. La Cour de cassation approuve le raisonnement en apportant d’utiles précisions. Elle indique tout d’abord qu’une union de syndicats doit être composée d’au moins deux syndicats primaires (mais il n’est pas obligatoire que tous les adhérents soient des syndicats, Soc. 15 nov. 2012, n° 12-27.315). Ensuite, elle identifie le régime probatoire. L’article L. 2133-2 du code du travail dispose que l’union doit faire connaître en mairie le nom des syndicats qui la composent. La Cour considère que cette formalité n’est pas une condition d’existence de l’union (Voir déjà : Soc. 28 févr. 2007, n° 06-60.099). En cas de contestation lorsque cette formalité n’a pas été respectée, l’union peut donc soit faire valoir ses statuts s’ils indiquent le nom des syndicats adhérents, soit justifier, par d’autres moyens, de l’adhésion d’au moins deux syndicats. Il est alors essentiel de bien distinguer une section syndicale d’un syndicat primaire. Une section syndicale n’a pas la personnalité juridique, elle regroupe les salariés d’une même entreprise qui adhèrent à une même organisation syndicale. Une structure ne peut donc pas prétendre être une union si elle ne réunit que des sections syndicales. Un syndicat est, en revanche, une personne morale dotée de la personnalité juridique. Il a une existence légale à compter du jour du dépôt en mairie de ses statuts et du nom des personnes chargées de sa direction et de son administration. Une union peut ainsi prouver qu’elle compte parmi ses adhérents au moins deux syndicats en produisant leurs statuts et le récépissé de leur dépôt en mairie. Or le SLB ne produisait que des bulletins d’adhésion sans démontrer que ces « adhérents » avaient la personnalité juridique.
Pour conclure, on relèvera que dans cette troisième affaire, le SLD faisait valoir que la CGT-FO n’était pas une confédération. Le moyen est écarté au motif que la CGT-FO a été reconnue représentative au niveau national et interprofessionnel par un arrêté ministériel et qu’eu égard au principe de la séparation des pouvoirs, la qualité d’union de syndicats de la confédération ne peut être contestée devant le juge judiciaire.
Références :
■ Ch. Mixte, 10 avr. 1998, n° 97-17.870 : D. 1998. 389, note A. Jeammaud ; AJFP 1998. 81 ; ibid. 82, note F. Mallol ; Dr. soc. 1998. 565, rapp. J. Merlin
■ Soc. 8 oct. 2014, n° 14-11.317 : D. 2014. 2055
■ Soc. 21 oct. 2020, n° 20-18.669 : D. 2020. 2069 ; ibid. 2021. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2021. 84, obs. F. Petit ; RDT 2021. 63, obs. B. Gomes, JCP 3, 2021, n° 16-17, p. 48, note Y. Pagnerre
■ Soc. 15 nov. 2012, n° 12-27.315 : D. 2012. 2745 ; ibid. 2013. 114, chron. F. Ducloz, P. Flores, L. Pécaut-Rivolier, P. Bailly et E. Wurtz ; Dr. soc. 2013. 69, obs. F. Petit ; RDT 2013. 277, obs. M. Grévy
■ Soc. 28 févr. 2007, n° 06-60.099 : D. 2007. 869
■ J. Merlin, Liberté syndicale et spécialité syndicale, Dr. Soc. 1998, p. 565.
■ Y. Ferkane, Repertoire de droit du travail : Syndicats professionnels : constitution et fonctionnement
■ Alexis Bugada, N’est pas interprofessionnel qui veut !, Lexbase Social, novembre 2020, n°844
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