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[ 28 juin 2017 ] Imprimer

Procédure pénale

De l’incompétence des juridictions des mineurs concernant les intérêts civils en cas d’irresponsabilité pénale de l’auteur faute de discernement !

Mots-clefs : Mineurs, Irresponsabilité pénale, Discernement, Intérêts civils, Compétence

En l’absence de disposition spécifique le prévoyant, la juridiction pénale déclarant un mineur pénalement irresponsable au motif qu’il était privé de discernement au moment de la commission des faits n’a pas compétence pour statuer sur sa responsabilité civile ni celle de ses ayants-droit, l’examen des conséquences civiles relève alors de la seule compétence des juridictions civiles.

En raison des problématiques spécifiques que peut poser la délinquance des mineurs, ces derniers, auxquels est imputée une infraction, ne sont pas déférés aux juridictions pénales de droit commun mais à des juridictions dédiées (juge des enfants, tribunal pour enfants ou cour d'assises des mineurs).

Ces juridictions spécialisées saisies en premier lieu de l’action publique doivent se prononcer sur le principe de la responsabilité pénale du mineur. Rappelons qu’aux termes de l’article 122-8 du Code pénal, seuls les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables. Une fois acquis le principe de la responsabilité, ces juridictions déterminent la réponse pénale adéquate (mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation ; sanctions éducatives ou peines) en fonction de l’âge du mineur (Ord. 2 févr. 1945, art. 2). A l’image des juridictions de droit commun, les juridictions pour mineurs peuvent en principe connaître, en second lieu, de l’action civile. L’article 6 de l’ordonnance de 1945 reconnaît ainsi le droit pour la victime d'un mineur d'exercer l'action civile « conformément au droit commun devant le juge des enfants, devant le juge d'instruction, devant le tribunal pour enfants et devant la cour d'assises des mineurs ».

Mais, une telle compétence civile reconnue à ces juridictions est-elle subordonnée à une déclaration de responsabilité pénale établissant la capacité de discernement du mineur ? La réponse ne va pas de soi.

En l’espèce, un mineur avait été renvoyé devant le tribunal pour enfants du chef d’agressions sexuelles aggravées sur sa cousine âgée de six ans, pour des faits remontant à une époque où il était lui-même âgé de dix ans. Le tribunal, après avoir retenu l’absence de discernement, l’a déclaré pénalement irresponsable en application de l’article 122-8 du Code pénal. La mère de la victime, qui s’était constituée partie civile en son nom personnel et au nom de sa fille, a été déboutée de ses demandes. Cette dernière a, seule, interjeté appel de la décision, en faisant valoir qu’en dépit de la déclaration d’irresponsabilité, les faits caractérisaient une faute civile ouvrant droit à réparation. Admettant que si la déclaration d’irresponsabilité pénale fondée sur l’absence de discernement ne fait pas obstacle à l’indemnisation des parties civiles, la cour d’appel, en chambre spéciale des mineurs, a cependant estimé que le lien de causalité entre la faute civile commise et le dommage allégué n’était pas démontré. Elle a donc confirmé le jugement en ce qu’il avait débouté la mère de ses demandes indemnitaires.

Dans le cadre du pourvoi formé par la mère, la chambre criminelle casse l’arrêt d’appel, sur un moyen soulevé d’office, après avis donné aux parties, pris de l’absence de disposition légale relative à la compétence de la juridiction pénale des mineurs pour statuer sur la responsabilité civile d’un mineur dont l’absence de discernement a été constatée. Au visa des articles 122-8 du Code pénal, 3 du Code de procédure pénale et 6 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, elle affirme « qu’il se déduit de ces textes qu’en l’absence de disposition spécifique le prévoyant, la juridiction pénale qui déclare un mineur pénalement irresponsable au motif qu’il était privé de discernement au moment de la commission des faits n’a pas compétence pour statuer sur sa responsabilité civile ni celle de ses ayants-droit ; que l’examen des conséquences civiles relève alors de la seule compétence des juridictions civiles ». Dès lors elle censure l’arrêt de la cour d’appel qui avait retenu à tort sa compétence pour statuer sur l’action civile.

La solution de la chambre criminelle n'est guère satisfaisante. Certes, elle semble en creux reposer le principe de la légalité des délits et des peines, qui s'applique également en matière de procédure pénale. Mais y avait-il lieu de distinguer là où la loi reste silencieuse ? Rien n’est moins sûr. Dès lors que les juridictions pour mineurs sont compétentes pour se prononcer, en cas de reconnaissance de culpabilité du mineur, sur la réparation, elles devraient l’être également en cas d’irresponsabilité en l’absence de discernement. Une telle solution aurait le mérite en outre de mieux respecter le principe de spécialisation de la justice des mineur, y compris en matière d'intérêts civils. C’est d’ailleurs le raisonnement qu’avait tenu la chambre criminelle, lorsqu’elle s’était prononcée sur l'appel formé contre le seul arrêt rendu sur l'action civile, par la cour d'assises des mineurs, considérant qu’il devait être porté est porté devant la chambre spéciale des mineurs de la cour d'appel (Crim. 28 mars 2012, n° 11-80.011).

La solution ne convainc pas non plus tant elle complique la tâche des victimes et ne facilite pas leur indemnisation. 

Une modification du droit, afin de renverser la solution ici dégagée, serait donc souhaitable. Elle pourrait s’inspirer de la solution retenue pour les majeurs, qui prévoit que le tribunal correctionnel prononçant une irresponsabilité pénale pour trouble mental « déclare que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés », puis « se prononce sur la responsabilité civile de la personne auteur des faits (...) et statue, s'il y a lieu, sur les demandes de dommages et intérêts formées par la partie civile » (C. pr. pén., art. 706-133).

Crim. 8 juin 2017, n° 16-83.345

Référence

■ Crim. 28 mars 2012, n° 11-80.011 P, Dalloz actualité 10 avr. 2012, obs. M. Bombled, D. 2012. 948 ; ibid. 1775, chron. C. Roth, B. Laurent, P. Labrousse et M.-L. Divialle ; AJ pénal 2012. 485, obs. J. Lasserre Capdeville ; RSC 2012. 893, obs. D. Boccon-Gibod.

 

Auteur :C. L.

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