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Droit des successions et des libéralités
De l’interprétation stricte de l’incapacité de recevoir à titre gratuit et de l’effet relatif des contrats à l’égard de tiers
Mots-clefs : Libéralités, Incapacités de recevoir, Aide-ménagère, Clause contractuelle, Effet relatif des contrats
Exclue des professions frappées d’incapacité de recevoir à titre gratuit visées à l’article 909 du Code civil, une aide-ménagère peut bénéficier d’un legs qui lui a été consenti par une personne âgée dont elle s’occupe, quand bien même son contrat de travail en disposerait autrement.
La théorie selon laquelle « la capacité est la règle, l’incapacité l’exception » (v. Terré et Lequette) se trouve consacrée en droit des libéralités à l’article 902 du Code civil. Sous le vocable « incapacité » de disposer ou recevoir, il faut d’avantage parler de « restrictions à » prévues par le législateur en vue de protéger le disposant des personnes entretenant un lien étroit et particulier avec lui et pouvant avoir une emprise négative. La capacité légale de recevoir à titre gratuit peut-elle être contractuellement restreinte ? C’est à cette question que la Cour de cassation a eu à se prononcer dans cette affaire.
Un homme avait consenti par deux testaments (olographe puis authentique) divers legs particuliers à son aide-ménagère, salariée d’une association d’aide à domicile. À son décès, son fils contesta les libéralités.
Après avoir constaté que l’aide-ménagère avait, dans un temps assez bref, été hébergée gratuitement chez le disposant, puis avait reçu procuration sur ses comptes bancaires et, enfin, avait bénéficié d'un legs portant sur un bien immobilier, les juges du fond relevèrent qu’il était précisé dans son contrat de travail et le règlement intérieur de l’association, qu’elle ne pouvait recevoir d’une personne âgée « aucune rémunération ni gratification », « en nature ou argent, ni pourboire ». Soulignant que ces dispositions contractuelles s’imposaient à elle « avec d'autant plus de force » que le de cujus, privé de toute relation avec son fils, avait été, dès la prise de fonctions de cette femme, dans un état de santé physique et psychologique déficient, le rendant totalement dépendant et vulnérable, les juges prononcèrent la nullité des testaments, le premier en considération de l'interdiction faite à la gratifiée de recevoir à titre gratuit, le second pour insanité d'esprit.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour violation des articles 902 (capacité à disposer ou recevoir) et 1165 (effet relatif du contrat à l’égard des tiers) du Code civil aux motifs que l’aide-ménagère n’était frappée d’aucune incapacité de recevoir à titre gratuit et que « l'inobservation des obligations mises à sa charge par son employeur ne pouvait affecter la validité du legs qui lui avait été consenti ».
Sur le terrain du droit des libéralités, on rappellera que depuis la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, l’article 909 du Code civil édicte une incapacité de recevoir à titre gratuit ou testamentaire à l’encontre des certaines personnes parmi lesquelles figurent, notamment, les « membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ».
Si par le passé, la Cour avait précisé que ces incapacités étaient d’interprétation stricte et qu’elles ne pouvaient être étendues à d’autres personnes que celles que cet article énumère (Req. 12 mai 1931, à propos d’un avocat bénéficiaire d’un legs qui avait défendu les intérêts du testateur pendant sa dernière maladie), elle confirme, par cet arrêt, que l’aide-ménagère (ou auxiliaire de vie qui accompagne, assiste ou réconforte les personnes en fin de vie) n’entre toujours pas dans le champ des professions visées (v. déjà Bordeaux, 30 sept. 2008, RG no 05/02997, précisant que l'aide ménagère n'était pas habilitée à donner des soins relevant des professionnels de la santé) au grand regret d’une partie de la doctrine et de sénateurs (v. Carbonnier, Catala, de Saint-Affrique et Morin ; et aussi, Lacour) qui auraient souhaité que soit étendue l'incapacité de recevoir à « toutes les autres personnes qui, à titre professionnel et rémunéré pour cela, auront soigné, assisté ou hébergé une personne durant la maladie dont elle meurt » (v. Sénat, Proposition de loi visant à la protection des héritiers des personnes malades en fin de vie, no 350, 9 mars 2010, devenue caduque à ce jour).
Sur le terrain du droit des obligations, l’arrêt ici commenté ne présente pas de difficulté et fait une application classique du principe de l’effet relatif qui veut que les actes conclus par les uns ne peuvent ni nuire, ni profiter aux autres (res inter alios acta aliis neque nocere neque prodesse potest ; C. civ., art. 1165). Aussi, ni l’incapacité de recevoir prévue au contrat de travail, ni le non-respect par l’aide-soignante de ses obligations contractuelles ne pouvaient bénéficier valablement à l’héritier, ce dernier n’étant pas partie au contrat. Ces éléments ne devaient constituer, au mieux, qu’une source de renseignement pour les juges du fond (Civ. 3e, 21 mars 1972) notamment car l’action était engagée par l’héritier afin d’obtenir la nullité de la libéralité, et non par l’employeur pour juger de la mauvaise exécution d’un contrat de travail.
Ainsi, comme l’avait très justement argué l’avocat de l’aide-ménagère, la capacité de recevoir à titre gratuit de cette dernière ne pouvait être contractuellement réduite : la clause insérée dans son contrat de travail « ne pouvait valablement restreindre sa capacité légale de recevoir ». La Cour applique strictement l’article 909 du Code civil (en se référant à l’article 902 dans son visa) et écarte donc la clause sans toutefois se prononcer sur sa validité.
Civ. 1re, 25 sept. 2013, n°12-25.160
Références
■ Terré, Lequette, Droit civil, Les successions, Les libéralités, 4e, éd., Dalloz, coll. « Précis », 2014, n°285 s., à paraître.
■ Req. 12 mai 1931, DH 1931. 348.
■ Bordeaux, 30 sept. 2008, RG no 05/02997.
■ Civ. 3e, 21 mars 1972, Bull. civ. III, n°193.
■ Carbonnier, Catala, de Saint-Affrique et Morin, « Des libéralités, Une offre de loi », Defrénois 2003, p. 27.
■ Lacour, « L’extension de l’incapacité spéciale de recevoir de l’article 909 du Code civil : droit positif et droit prospectif », Dr. fam. 2010, étude 35, p. 24 s.
■ Code civil
« Toutes personnes peuvent disposer et recevoir soit par donation entre vifs, soit par testament, excepté celles que la loi en déclare incapables. »
« Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci.
Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions ne peuvent pareillement profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que les personnes dont ils assurent la protection auraient faites en leur faveur quelle que soit la date de la libéralité.
Sont exceptées :
1° Les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus ;
2° Les dispositions universelles, dans le cas de parenté jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe ; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite ne soit lui-même du nombre de ces héritiers.
Les mêmes règles seront observées à l'égard du ministre du culte. »
« Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121. »
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