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Libertés fondamentales - droits de l'homme
De l’obligation de prévoir un recours contre l’atteinte à la vie privée
Mots-clefs : Atteinte à l’intégrité personnelle, Mineure, Droit au respect de sa vie privée, Principe de légalité criminelle
Constitue une atteinte à l’intégrité personnelle de la requérante, le fait pour une mineure d’avoir été filmée nue à son insu par son beau père. N’est pas en conformité avec l’article 8 de la Conv. EDH, la législation suédoise qui n’assure à cette personne aucun recours pénal ou civil.
En 2002, une jeune suédoise de quatorze ans découvrait que son beau père l’avait filmée nue et à son insu, en disposant une caméra dans la salle de bain où elle avait l’habitude de se dévêtir pour prendre sa douche. Le film fut brûlé immédiatement après sa découverte par sa mère et des poursuites du chef d’abus sexuel furent engagées contre le beau-père.
Condamné en première instance, le beau-père de la jeune fille fut finalement relaxé en appel. La Cour estimait que l’abus sexuel devait être écarté dans la mesure où l’auteur des faits n’avait jamais souhaité que sa belle-fille découvre qu’elle était filmée. Le droit suédois n’incriminant pas spécifiquement le fait de filmer autrui sans son consentement, la responsabilité pénale ne pouvait être engagée.
Les juges d’appel évoquèrent néanmoins l’hypothèse de la tentative de pornographie enfantine, pour finalement l’écarter faute d’accusation de ce chef portée contre le prévenu (le film ayant disparu, il était difficile pour le parquet de vérifier le caractère pornographique de son contenu).
Enfin, la Cour suprême ayant refusé à la requérante l’autorisation de la saisir, celle-ci formait une requête devant les juges de Strasbourg.
Dans la présente décision, la Cour européenne sanctionne les lacunes du droit suédois qui n’offrait, au moment des faits, aucun recours, pénal ou civil, à la victime. Ce recours était, en l’espèce, d’autant plus nécessaire du fait que les agissements constituaient une atteinte à l’intégrité personnelle d’une mineure, qu’ils émanaient d’un membre de sa famille en qui elle pouvait avoir confiance et avaient été perpétrés à son domicile. En outre, la demande de réparation civile avait été rejetée du fait qu’en vertu du Code de procédure judiciaire suédois, lorsqu’une action civile est jointe à la procédure pénale, la chose jugée au pénal s’impose au civil.
Le droit en vigueur à l’époque des faits n’ayant pas assuré à cette victime une protection adéquate de son droit au respect de sa vie privée contre de tels actes, les obligations positives découlant pour l’État suédois de l’article 8 de la Convention se trouvaient ainsi insatisfaites. La Cour européenne illustre par cet arrêt, que le principe de légalité criminelle ne constitue pas seulement une interdiction faite au juge pénal de raisonner par analogie pour faire entrer dans les prévisions de la loi toute sorte d’agissements. Elle rappelle, par cette décision, que ce principe met à la charge du législateur une véritable obligation positive d’incriminer.
La Cour avait affirmé pour la première fois dans l’arrêt X et Y c/ Pays- Bas du 26 mars 1985, que des obligations positives inhérentes à l’article 8 pouvaient impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée dans les relations entre individus dans un strict cadre privé.
De même, dans un arrêt M.C. c/ Bulgarie, du 4 décembre 2003, les juges de Strasbourg ont imposé aux États une obligation positive de promulguer une législation pénale permettant de punir effectivement le viol et d’appliquer ces mesures au moyen d’une enquête et de poursuites effective.
Si certains déplorent l’inflation du droit pénal spécial et l’augmentation du nombre d’infraction, le présent arrêt illustre que cette précision demeure parfois nécessaire pour éviter des situations d’impunité quelque peu injustes. Ainsi, l’évolution des nouvelles technologies fait apparaître, notamment, de nouvelles formes d’atteintes que le droit pénal doit pouvoir appréhender rapidement.
CEDH 12 nov. 2013, Söderman c/ Suède, req. n° 5786/08
Références
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ CEDH 26 mars 1985, X et Y c/ Pays-Bas, req. n°8978/80.
■ CEDH 4 déc. 2003, M.C. c/ Bulgarie, no 39272/98, JCP G 2004. I. 107, n°1, chron. F. Sudre.
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