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De nouvelles précisions sur l’indemnisation du preneur victime du manquement du bailleur à son obligation de délivrance
En cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance, le locataire peut, d’une part, demander l’indemnisation des dommages résultant de ce manquement, notamment la perte de chance d’exploiter les lieux loués dans de meilleures conditions et, d’autre part, obtenir l’exécution forcée en nature, dont l’autorisation de faire exécuter lui-même les travaux avec l’avance des sommes nécessaires aux travaux à réaliser.
Civ. 3e, 6 avr.2023, n° 19-14.118 B
Une société avait acquis un fonds de commerce situé dans des locaux insalubres au point que, dès l’année suivant la conclusion du bail, celle-ci avait assigné les propriétaires indivis en réalisation des travaux requis et en indemnisation du préjudice résultant de leur non-accomplissement. Le tribunal de grande instance saisi de ces demandes avait ordonné, avant dire droit, une mesure d’instruction pour établir la nature et l’origine des désordres allégués, leur imputation, le coût des travaux nécessaires pour y remédier, ainsi que les préjudices éventuellement subis par la locataire. Dans le cadre d’une procédure distincte, le tribunal, après avoir constaté que la société preneuse rencontrait de graves difficultés rendant son redressement « manifestement impossible » (C. com., art. L. 640-1), avait ouvert à son encontre une procédure de liquidation judiciaire. C’est dans le cadre de cette instance que le mandataire judiciaire de la société preneuse avait étendu l’objet de la demande initiale de réalisation des travaux au seul paiement de leur coût, dès lors que l’activité de la société à liquider et son occupation des lieux étaient irrémédiablement compromises. Or si le tribunal avait reconnu le manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance, il avait limité l’indemnisation de la société preneuse aux préjudices « résultant directement » de l’inexécution des travaux, à l’exclusion des pertes d’exploitation et du coût des travaux à réaliser. Sur ce dernier point, le tribunal avait estimé que « la liquidation judiciaire du preneur, qui ne peut plus poursuivre l’activité commerciale, rend irrecevable une [demande de] condamnation du bailleur à effectuer ou payer des travaux ». En cause d’appel, cette analyse fut partiellement infirmée. Tenant pour acquis l’empêchement du preneur à poursuivre son activité, la juridiction du second degré reprocha toutefois aux premiers juges d’en avoir déduit que le preneur n’était plus recevable à solliciter le paiement du coût des travaux. Elle considéra au contraire que ce coût constituait, à la manière d’un préjudice subi, « une créance certaine acquise au bénéfice de la procédure de liquidation judiciaire du preneur, même si les travaux correspondant ne doivent pas être réalisés ». En outre, elle étendit l’indemnisation du preneur à la réparation de la chance perdue d’exploiter un commerce rentable. Or sur ces deux points, la Cour de cassation désapprouve l’analyse des juges du fond, ce qui la conduit à redéfinir les contours de l’indemnisation du preneur victime d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance conforme.
Coût des travaux – La troisième chambre civile reproche à la cour d’appel d’avoir assimilé la demande de provision sur travaux formée par le preneur et son liquidateur à une demande indemnitaire, cette assimilation dénaturant la faculté de remplacement telle qu’elle est prévue dans le Code civil. Au titre des mesures d’exécution forcée en nature, celle-ci permet au créancier d’une obligation de faire de charger un tiers de l’exécuter en lieu et place du débiteur défaillant, le législateur ayant prévu, en sus de ce remplacement, la possible condamnation du débiteur « à faire l’avance des sommes nécessaires à cette exécution » (C. civ., art. 1222, al. 2). Sur la base, non discutée en l’espèce, d’un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance, la troisième chambre civile, délaissant la question de la recevabilité de la demande litigieuse, précise en revanche la nature et l’objet des demandes distinctes susceptibles d’être en ce cas formulées : d’une part, une demande indemnitaire en réparation du préjudice résultant de ce manquement ; d’autre part, une demande d’avance des sommes nécessaires à l’exécution, par un tiers, des travaux nécessaires. Partant, en estimant que la demande en paiement du coût des travaux constituait une demande indemnitaire, la cour d’appel a confondu deux types de réparation, en nature et par équivalent, et par voie de conséquence, deux prétentions distinctes, dès lors « le coût des travaux de remise en état des locaux ne constitue pas un préjudice indemnisable mais une avance sur l’exécution des travaux », ie une mesure d’exécution forcée en nature, sous réserve que ces travaux soient effectivement réalisés par la suite (v. déjà, Civ. 3e, 7 juill. 2016, n° 15-18.306). Irréalisables en l’espèce, ces travaux ne pouvaient ni donner lieu à l’octroi d’une avance ni constituer une créance indemnitaire au bénéfice de la procédure collective ; la cassation sur ce point devait donc être prononcée.
Pertes d’exploitation - Celles-ci constituaient bien, à l’inverse du coût des travaux, une demande indemnitaire recevable. Cependant, à la faveur du contrôle normatif opéré par la Cour de cassation sur l’appréciation des juges du fond, celle-ci ne parviendra pas davantage à prospérer. Il convient de relever que dès la première instance, le tribunal avait refusé d’indemniser à ce titre le locataire, jugeant qu’au vu d’une pluralité d’éléments (désordres, emplacement, saisonnalité), l’exploitation n’offrait pas la « perspective certaine d’un profit ». Encore une fois, la cour d’appel s’était montrée plus clémente. En faveur du locataire, elle considéra que le tribunal ne pouvait en déduire l’absence d’une perte de chance d’une rentabilité d’exploitation, dont il avait pourtant énoncé le principe sur la base du rapport d’expertise ayant établi la capacité du commerce à dégager, annuellement, un chiffre d’affaires non négligeable. La cour d’appel évalua cette perte de chance, imputable à la défaillance du bailleur, à un certain montant, qu’elle précisa être « équivalent au montant du prix d’acquisition du droit au bail ». C’est cette dernière précision qui motive la censure, par la Cour de cassation, de l’arrêt d’appel qui, en ayant estimé que « cette perte de chance devait être évaluée au montant du prix d’acquisition du droit au bail », a indûment indemnisé la société preneuse d’un « préjudice sans lien avec la chance perdue de réaliser une exploitation rentable ». En effet, dans la mesure où « seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ.1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674), s’agissant de la perte de chance d’exploiter favorablement une activité commerciale, la valeur du droit au bail doit rester étrangère à l’appréciation du préjudice, lequel doit uniquement reposer sur les profits qu’aurait pu réaliser l’exploitant. Implicite, le principe d’une indemnisation de la chance perdue d’exploiter dans de meilleures conditions ne semble cependant pas remis en cause.
Dont acte : en l’espèce rendue au détriment du preneur, la solution lui reconnaît néanmoins, par principe, la possibilité d’obtenir à la fois une réparation en nature et par équivalent face au manquement du bailleur à son obligation de délivrance conforme. Encore faut-il exactement qualifier les demandes formées et déterminer avec la même exactitude les critères d’appréciation des préjudices allégués pour que celles-ci puissent prospérer …
Références :
■ Civ. 3e, 7 juill. 2016, n° 15-18.306 P : DAE, 20 sept. 2016, note M. H ; D. 2016. 1563 ; RTD civ. 2016. 854, obs. H. Barbier.
■ Civ.1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674 P : D. 2006. 3013, et les obs.
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