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Procédure pénale
Débat sur le placement en détention provisoire : la présence de la personne mise en examen est de droit…sauf cas de force majeure
Mots-clefs : Placement en détention provisoire, Présence, Force majeure, Comparution personnelle, Accusé
L’ordonnance de placement en détention provisoire rendue à la suite d’un débat contradictoire tenu en l’absence de la personne mise en examen incarcérée doit être annulée, dès lors que cette non-comparution est imputable non à l’existence de circonstances imprévisibles et insurmontables extérieures au service de la justice, mais à un dysfonctionnement dans l’organisation du service en charge des extractions judiciaires.
Le droit à comparaître personnellement est un principe directeur qui irrigue le procès pénal. Selon, la Cour européenne, les États ont « une obligation positive d’assurer la comparution personnelle de l’accusé à son procès » (Poitrimol c/ France, 23 nov. 1993, n° 14032/88). Ce droit ne se limite pas à la phase de jugement. Il doit être garanti notamment devant la chambre de l'application des peines se prononçant sur une demande de révocation de libération conditionnelle (Crim. 15 avr. 2015, n° 14-82.622) ou lors des débats relatifs au placement en détention provisoire. Ainsi, le Code de procédure pénale prévoit-il, à l’article 145, alinéa 6, que « Le juge des libertés et de la détention statue après un débat contradictoire au cours duquel il entend (…) les observations de la personne mise en examen ». Par exception, dans l’hypothèse de circonstances insurmontables, le débat contradictoire relatif au placement en détention provisoire peut se tenir quand même sans que la personne soit présente. Reste alors à déterminer les caractères de ces circonstances insurmontables permettant de statuer sur le sort du mis en examen en son absence. La chambre criminelle apporte une précision dans un arrêt de principe rendu le 5 octobre dernier.
Le 3 juin 2016, un individu, mis en examen des chefs de séquestration, infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, a comparu, assisté de son avocat, devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance du Havre, aux fins qu’il soit statué sur son placement en détention provisoire. Le magistrat, auquel la personne mise en examen avait demandé un délai pour préparer sa défense, a immédiatement différé le débat contradictoire au 8 juin à 16 heures, a ordonné l’incarcération provisoire de cette dernière jusqu’à cette date. Le magistrat a aussitôt adressé une réquisition aux fins de faire extraire le mis en examen de la maison d’arrêt en vue de l’audience à l’Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires de Lille, laquelle a répondu le 7 juin par message électronique qu’elle ne disposerait pas d’effectif mobilisable. Le même jour, le magistrat a adressé une réquisition au service de gendarmerie territorialement compétent qui lui a fait la même réponse. Il a alors proposé de procéder au débat par visio-conférence, ce qu’a refusé la personne mise en examen. Dans l’impossibilité de se transporter sur le lieu de détention en raison de sa charge de travail, ainsi que de reporter le débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention, après avoir constaté qu’il était confronté à des circonstances insurmontables ayant rendu impossible la comparution du mis en examen et après avoir recueilli les observations de son avocat, a ordonné le 8 juin son placement en détention provisoire.
En appel, la chambre de l'instruction a annulé l’ordonnance de placement en détention provisoire et ordonné la mise en liberté de la personne mise en examen. Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Rouen, la chambre criminelle approuve le raisonnement mené par les juges d’appel. Selon ces derniers, « le premier juge, pour statuer sur la détention de l’intéressé en son absence, ne pouvait se limiter à constater qu’il avait épuisé les limites de ses propres diligences, l’existence de circonstances insurmontables ne pouvant se déduire de la seule affirmation par les services en charge des extractions judiciaires d’une absence de moyen mobilisable à la date prévue pour le débat, sans autre explication sur les circonstances particulières, imprévisibles et insurmontables, seules de nature à justifier un tel manquement à leur mission ». La haute juridiction affirme que « méconnaît les dispositions impératives de l’article 145, alinéa 8, du Code de procédure pénale et doit être annulée l’ordonnance de placement en détention provisoire rendue à la suite d’un débat contradictoire tenu en l’absence de la personne mise en examen incarcérée, dès lors que cette non-comparution est imputable non à l’existence de circonstances imprévisibles et insurmontables extérieures au service de la justice, mais à un dysfonctionnement dans l’organisation du service en charge des extractions judiciaires ».
Dès lors le droit à comparaitre personnellement ne peut être écarté que si les circonstances imprévisibles et insurmontables sont extérieures au service de la justice. Tel est le cas lorsque le mis en examen qui est hospitalisé, est soudainement intransportable (Crim. 25 oct. 2000, n° 00-85.227) ou en cas de grève du personnel pénitentiaire qui s'oppose à toute extraction de détenus ainsi qu'à toute entrée du magistrat instructeur dans les locaux de détention et alors que le débat ne pouvait plus être reporté à une date ultérieure (Crim. 31 janv. 1989, n° 88-86.527). En l’espèce, l’impossibilité de faire comparaitre le prévenu était liée à un dysfonctionnement dans l’organisation du service en charge des extractions judiciaires, lequel n’est pas extérieur au service de la justice. Le magistrat aurait dû pour justifier son ordonnance de placement en l’absence du mis en examen caractériser des circonstances particulières, imprévisibles et insurmontables affectant ce service. Une telle solution n’est pas sans rappeler que traditionnellement la force majeure requière trois caractères pour être retenue : imprévisible, irrésistible et extérieure !
Crim. 5 octobre 2016, n° 16-84.629
Références
■ CEDH 23 nov. 1993, Poitrimol c/ France, n° 14032/88, D. 1994. 187, obs. J. Pradel ; RSC 1994. 362, obs. R. Koering-Joulin.
■ Crim. 15 avr. 2015, n° 14-82.622 P, D. 2015. 925 ; AJ pénal 2015. 270, obs. M. Herzog-Evans ; ibid. 562, obs. M. H.-Evans; Dalloz actualité 6 mai 2015, obs. L. Priou-Alibert.
■ Crim. 25 oct. 2000, n° 00-85.227 P.
■ Crim. 31 janv. 1989, n° 88-86.527 P.
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