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[ 12 décembre 2025 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Décès en milieu hospitalier et obligation d’enquête effective

La procédure engagée devant les juridictions administratives pour éclaircir les causes d’un décès suspect en milieu hospitalier relève du volet procédural de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. La durée excessive d’une telle procédure viole le droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention.

CEDH 16 oct. 2025, Brun et Lledo c/ France, n° 53686/21

Les requérants sont la mère et le beau-père d’un individu décédé après quatre mois d’hospitalisation à la suite d’un grave accident de la route. Cet accident a fait l’objet d’une enquête de police suivie d’une information judiciaire, laquelle s’est conclue par un classement sans suite.

Estimant que plusieurs fautes avaient été commises dans la prise en charge hospitalière, la mère et le beau-père ont introduit un recours devant le tribunal administratif en 2014. Par un jugement de 2019, le tribunal administratif a conclu que le décès est sans lien avec la prise en charge hospitalière. Les requérants ont interjeté appel et se sont pourvus en cassation sans succès. La procédure interne s’est achevée en 2021.

Les requérants saisissent ensuite la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une violation de l’article 2 § 1 de la Conv. EDH (droit à la vie).

■ Droit à la vie

L’article 2 § 1 de la Convention dispose que le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La CEDH distingue deux volets : un volet matériel et un volet procédural.

Volet matériel : L’État doit, d’une part, s’abstenir de donner la mort (obligation négative) sauf exceptions strictement encadrées. D’autre part, l’État doit adopter des mesures raisonnables pour protéger la vie des individus (obligation positive). Dans cette perspective, les requérants soutiennent que le personnel hospitalier aurait manqué à son obligation positive de protection de la vie en commettant des fautes médicales qui auraient causé le décès de leur proche.

Volet procédural : Lorsqu’un individu décède dans des circonstances suspectes, l’État doit mener une enquête effective destinée à éclaircir les circonstances du décès, identifier et sanctionner les responsables (v. CEDH, gr. ch., 14 avr. 2015, Mustafa Tunç et Fecire Tunç c/ Turquie, n° 24014/05, pt. 136 et s.). Les requérants soutiennent sur ce point que la durée de la procédure a été excessive, ce qui serait contraire à l’exigence d’effectivité.

Il est important de souligner que la notion d’« enquête » au sens de l’article 2 de la Convention s’entend de toute procédure ayant pour but de déterminer les causes d’une mort suspecte. Cela ne se limite pas à l’enquête pénale et à l’instruction criminelle (v. CEDH 30 mars 2016, Armani Da Silva c/ Royaume-Uni, n° 5878/08). Une procédure devant le juge administratif concernant les causes d’un décès lors d’une hospitalisation relève donc du volet procédural de l’article 2.

■ Appréciation de la CEDH

Sur le volet matériel, les requérants affirment que trois fautes médicales auraient précipité le décès (pt. 53). Le tribunal administratif a ordonné une expertise indépendante, laquelle a conclu à l’absence de lien entre les actions du personnel médical et le décès (pt. 54).

La CEDH estime que les juridictions nationales ont procédé à un examen suffisamment approfondi, et rappelle « qu’il ne lui appartient pas de revenir sur l’appréciation qu’ont faite des professionnels de la santé (…) » (pt. 57). La Cour conclut à l’absence de lien causal entre la prise en charge médicale et le décès et, partant, à l’absence de violation de l’article 2 sous son volet matériel.

Sur le volet procédural, la CEDH relève que les requérants pouvaient légitimement soupçonner que le décès de leur proche pourrait être le résultat d’une négligence médicale (pt. 58). Le décès était donc suspect, et nécessitait qu’une enquête effective soit menée. L’État français devait donc veiller à ce que la procédure engagée devant les juridictions administratives respecte les exigences procédurales découlant de l’article 2 de la Convention.

Le respect des exigences procédurales s’apprécie suivant une pluralité de critères. L’enquête doit être indépendante, adéquate, être menée avec une célérité et une diligence raisonnable, être accessible aux proches et permettre un contrôle adéquat du public. Conformément à une jurisprudence établie de la Cour, l’obligation procédurale impose que la procédure soit menée à terme dans un délai raisonnable, ce particulièrement dans les affaires concernant les circonstances d’un décès survenu à l’hôpital (v. CEDH, gd. ch., 19 déc. 2017, Lopes de Sousa Fernandes c/ Portugal, n° 56080/13, pt. 218 et 219).

En l’espèce, la procédure a duré au total sept ans et deux mois (pt. 59). En outre, le tribunal administratif a mis près de trois ans avant d’ordonner une expertise. Le gouvernement français n’a pas fourni de justification convaincante pour ces retards. La CEDH conclut que la procédure n’a pas été achevée dans un délai raisonnable. Dès lors, il y a violation de l’article 2 sous son volet procédural.

 

Auteur :Egehan Nalbant


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