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[ 22 février 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Déchéance du droit de visite du père en raison de ses convictions religieuses : discrimination

Viole l’article 14 (interdiction de la discrimination), combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme, les juridictions hongroises qui, pour préserver les intérêts supérieurs de l’enfant, ont prononcé la déchéance du droit de visite du père en raison de ses convictions religieuses.

Après son divorce, et plusieurs demandes en révision de son droit de visite restées infructueuses, un ressortissant hongrois s’est vu déchu de son droit par les juridictions nationales au motif que ce dernier imposait ses convictions religieuses à son fils. Devant la CEDH, l’homme invoque l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), l’article 9 (liberté de religion) et l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, Conv. EDH) et soutient que cette suppression de droit était motivée par ses croyances religieuses et qu’il avait été traité différemment d’autres personnes demandant un droit de visite après un divorce ou une séparation.

La Cour conclue à la violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination), combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Conv. EDH.

Elle souligne tout d’abord, l’importance des relations parents/enfants comme élément fondamental de la vie familiale.

Elle reconnaît, ensuite, que le fondement retenu par les juridictions nationales pour prononcer la déchéance (à savoir la pratique de sa religion) a pour conséquence de traiter différemment le requérant par rapport à d’autres parents placés dans une situation semblable mais qui n’auraient pas de fortes convictions religieuses. Suivant les critères clairement établis par sa jurisprudence, la Cour qualifie cette différence de discriminatoire car non fondée sur une justification objective et raisonnable (absence de preuves suffisantes pour établir le caractère dommageable et dangereux pour l’enfant de la pratique de cette religion).

La Cour précise, enfin, que l’intérêt supérieur de l’enfant justifie une protection, mais que seules des circonstances exceptionnelles peuvent légitimer une mesure aussi radicale que la suppression de tout lien entre un père et son enfant. Elle regrette qu’une mesure intermédiaire, comme un droit de visite assorti de mesures de contrôle, n’ait pas été envisagée par les juridictions hongroises (v. déjà : CEDH 26 oct. 2006, Wallova et Walla c/ République tchèque). À titre d’exemple, en France, le juge peut suspendre ou limiter les modalités d'exercice de ce droit lorsque l'intérêt d'un enfant l'exige au regard du comportement ou de l'attitude de l'un de ses parents, notamment en autorisant uniquement un droit de correspondance. Soucieux que le lien entre les parents et l’enfant ne soit rompu que de manière exceptionnelle, le législateur français a précisé que ce droit ne peut être refusé que pour « des motifs graves » (C. civ., art. 373-2-1). Si les juges sont très réticents à refuser un droit de visite au parent non titulaire de l'exercice de l'autorité parentale, ils admettent toutefois que certaines circonstances les y obligent (appréciation souveraine des juges du fond). Il en va ainsi par exemple de la brutalité d’un parent (v. à propos de l’alcoolisme d’un père : Agen, 5 nov. 1992), du danger pour la santé ou l’équilibre de l’enfant (v. sur les mœurs d’un père qui projetait des vidéos de scènes érotiques à ses enfants : Rennes, 3 mars 1994), et enfin, le fait pour un parent de faire peser sur sa fille des pressions morales et psychologiques d’ordre religieux (Civ. 1re, 24 oct. 2000).

La décision commentée s’inscrit donc dans la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme qui se veut protectrice des ingérences dans la vie familiale (v. déjà pour une mesure de retrait de l’autorité parentale à des parents témoins de Jéhovah : CEDH 23 juin 1993, Hoffmann c/ Autriche et CEDH 16 déc. 2003, Palau-Martinez c/ France).

CEDH 12 févr. 2013, Vojnity c. Hongrie, n° 29617/07

Références

■ C. Delaporte-Carré , L’articulation des institutions de protection de la personne de l’enfant contre ses parents, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », 2008.

■ F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, n°434 s.

■ CEDH 26 oct. 2006, Wallova et Walla c/ République tchèque, n° 23848/04.

■ CEDH 23 juin 1993, Hoffmann c/ Autriche, n° 12875/87, RTD civ. 1993. 817, obs. Hauser.

■ CEDH 16 déc. 2003, Palau-Martinez c/ France, n ° 64927/01, D. 2004. 1261, note Boulanger.

■ Agen, ch. 1, 5 nov. 1992, JurisData 1992-145961.

■ Rennes, ch. 6, sect. B, 3 mars 1994, JurisData1994-045185.

■ Civ. 1re, 24 oct. 2000, n° 98-14.386, Bull. civ. I, n° 262, RTD civ. 2001. 126, obs. Hauser.

■ Article 373-2-1 du Code civil

« Si l'intérêt de l'enfant le commande, le juge peut confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un des deux parents.

L'exercice du droit de visite et d'hébergement ne peut être refusé à l'autre parent que pour des motifs graves.

Lorsque, conformément à l'intérêt de l'enfant, la continuité et l'effectivité des liens de l'enfant avec le parent qui n'a pas l'exercice de l'autorité parentale l'exigent, le juge aux affaires familiales peut organiser le droit de visite dans un espace de rencontre désigné à cet effet.

Lorsque l'intérêt de l'enfant le commande ou lorsque la remise directe de l'enfant à l'autre parent présente un danger pour l'un d'eux, le juge en organise les modalités pour qu'elle présente toutes les garanties nécessaires. Il peut prévoir qu'elle s'effectue dans un espace de rencontre qu'il désigne, ou avec l'assistance d'un tiers de confiance ou du représentant d'une personne morale qualifiée. 

Le parent qui n'a pas l'exercice de l'autorité parentale conserve le droit et le devoir de surveiller l'entretien et l'éducation de l'enfant. Il doit être informé des choix importants relatifs à la vie de ce dernier. Il doit respecter l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 371-2. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 9 - Liberté de pensée, de conscience et de religion

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

 

Auteur :H. V.

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