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Droit de la famille
Déclaration d’abandon et adoption plénière : les procédures françaises jugées conformes à l’article 8 de la Conv. EDH
Mots-clefs : Déclaration d’abandon, Adoption plénière, Grande détresse du parent, Droit au respect de la vie privée et familiale, Intérêt supérieur de l’enfant
La Cour européenne des droits de l’homme approuve les juridictions françaises d’avoir déclaré un enfant abandonné et permis son adoption plénière au motif que son intérêt supérieur le recommandait eu égard au désintérêt que sa mère lui portait.
L’article 350 du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est recueilli par un particulier ou un service d’aide social à l’enfance et que ses parents se sont manifestement désintéressés de lui pendant l’année d’introduction de la demande en déclaration d’abandon, le tribunal de grande instance peut le déclarer abandonné. À la suite d’une telle procédure d’abandon, l’enfant peut alors être placé en vue d’une adoption plénière (C. civ. art. 347, 3°).
La condition de désintérêt est définie par l’article 350, alinéa 2, du Code civil comme l’absence d’entretien des relations nécessaires au maintien des liens affectifs avec l’enfant. L’article poursuit en énonçant des événements qui ne sont pas de nature à motiver de plein droit le rejet d’une demande en déclaration d’abandon. Il en est ainsi de la simple rétractation du consentement à l’adoption, de la demande de nouvelles et de l’intention exprimée mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant. La définition de la notion de désintérêt est donc strictement encadrée par la loi. Il en va de même pour son appréciation temporelle qui doit se faire pendant la période de référence, qui est « l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration d’abandon » (C. civ. art. 350, al. 1er).
Depuis la loi n°2005-774 du 4 juillet 2005, il n’est plus possible pour un parent de justifier son désintérêt par un état de grande détresse. Toutefois cette exception est restée applicable aux litiges nés avant le 1er juillet 2006, date de son entrée en vigueur. L’exception de détresse était très peu retenue par les juges, ce qui a conduit le législateur à la supprimer (v. P. Salvage-Gerest ; F. Chénedé).
L’arrêt ici rapporté est une illustration de la notion de désintérêt du parent à l’égard de son enfant guidée par l’intérêt supérieur de ce dernier.
En 2002, une femme a accouché d’une petite fille et a demandé le secret de la naissance. Deux mois après, la mère est finalement revenue sur sa décision et a décidé de la reconnaître. Jusqu’en 2007, l’enfant fut placé, la requérante ayant été de nombreuses fois hospitalisée pour des troubles mentaux et un état dépressif. De ce fait, la Direction de la prévention et du développement social a demandé au procureur de la République de déclarer l’enfant abandonné en se fondant sur la procédure prévue par l’article 350 du Code civil. Le tribunal de grande instance a constaté le désintérêt de la mère pour son enfant et l’a ainsi admis en qualité de pupille de l’État, tout en déléguant l’autorité parentale à l’Aide sociale à l’enfance. Un an plus tard, le tribunal de grande instance a prononcé l’adoption plénière de l’enfant au profit de sa famille d’accueil.
La requérante a interjeté appel du premier jugement déclarant l’abandon, pour absence de convocation de son curateur à l’audience. La cour d’appel l’a annulé mais a déclaré à nouveau l’enfant abandonné et a délégué l’autorité parentale à l’Aide sociale à l’enfance dû au fait que la mère s’était désintéressée de l’enfant depuis sa naissance et durant l’année précédant la requête.
Après épuisement des voies de recours internes, la mère exerça donc un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme en ce que les décisions ayant admis sa fille en qualité de pupille de l’État et prononcé l’adoption plénière étaient contraires au droit au respect de sa vie familiale tel que garanti par l’article 8 de la Conv. EDH. En effet, la requérante considérait que l’exception consistant en la grande détresse du parent, anciennement prévue par l’article 350 du Code civil, aurait dû lui être appliquée, au regard des nombreuses hospitalisations dont elle avait fait l’objet à l’époque. Elle arguait, en outre, que toute cette procédure était inutile étant donné que sa fille était déjà placée en famille d’accueil.
La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que la procédure d’abandon puis d’adoption constitue une ingérence dans la vie familiale de la requérante qu’il faut donc examiner sous l’angle du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. Ce dernier prévoit, en effet, qu’il ne peut y avoir ingérence que lorsqu’elle est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique.
La Cour constate, tout d’abord, que l’ingérence est bien prévue par la loi puisque la procédure d’abandon est précisée dans l’article 350 du Code civil et que l’adoption est par la suite rendue possible par l’article 347, 3°, du même code.
Ensuite, elle procède à la vérification de la condition de « nécessité dans une société démocratique ». Pour cela, elle raisonne tant vis-à-vis de la procédure d’abandon que de celle de l’adoption. Elle recherche ainsi si un juste équilibre a été préservé entre les intérêts de l’enfant et ceux de la mère tout en rappelant que l’intérêt de l’enfant est supérieur (CEDH 10 janv. 2008, Kearns c. France). La Cour relève le désintérêt important de la mère pour son enfant et approuve la motivation des juges du fond et de la Cour de cassation (Civ. 1re, 23 juin 2010) de ne pas considérer que l’état de détresse de la mère en était à l’origine. Il faut souligner que cette exception de détresse avait déjà disparu du droit positif au moment où la cour d’appel et la première chambre civile ont rendu leurs décisions, ce qui explique peut-être l’appréciation qui en a été faite.
Enfin, en réponse à l’argument avancé par la mère relatif à l’intérêt de la procédure, la Cour européenne considère que même si l’enfant était placé lors des procédures d’abandon et d’adoption, il n’y avait pas lieu de maintenir une situation de prise en charge provisoire, son intérêt nécessitant de consolider la situation le plus rapidement possible.
La Cour européenne conclut donc à l’absence de violation de l’article 8 de la Conv. EDH des procédures françaises d’abandon et d’adoption.
Avec cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme met une fois de plus à l’honneur l’intérêt supérieur de l’enfant au travers d’une appréciation stricte des notions françaises de « désintérêt » et de « grande détresse ».
CEDH 26 sept. 2013, Zambotto Perrin c. France, no 4962/11
Références
■ Code civil
« Peuvent être adoptés :
1° Les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l'adoption ;
2° Les pupilles de l'État ;
3° Les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues par l'article 350. »
« L'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration d'abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa. La demande en déclaration d'abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l'établissement ou le service de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant à l'expiration du délai d'un an dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l'enfant.
Sont considérés comme s'étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.
La simple rétractation du consentement à l'adoption, la demande de nouvelles ou l'intention exprimée mais non suivie d'effet de reprendre l'enfant n'est pas une marque d'intérêt suffisante pour motiver de plein droit le rejet d'une demande en déclaration d'abandon. Ces démarches n'interrompent pas le délai figurant au premier alinéa.
L'abandon n'est pas déclaré si, au cours du délai prévu au premier alinéa du présent article, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l'enfant et si cette demande est jugée conforme à l'intérêt de ce dernier.
Lorsqu'il déclare l'enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d'autorité parentale sur l'enfant au service de l'aide sociale à l'enfance, à l'établissement ou au particulier qui a recueilli l'enfant ou à qui ce dernier a été confié.
La tierce opposition n'est recevable qu'en cas de dol, de fraude ou d'erreur sur l'identité de l'enfant. »
■ Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Civ. 1re, 23 juin 2010, Bull. civ. n°143, n°09-15.129.
■ P. Salvage-Gerest, « Genèse d'une quatrième réforme, ou l'introuvable article 350, alinéa 1 du code civil », AJ fam. 2005. 350.
■ F. Chénedé, « Abandon de l'enfant : absence de grande détresse de la mère », à propos de Civ. 1re, 23 juin 2010, AJ fam. 2010. 433.
■ CEDH 10 janv. 2008, Kearns c. France, n°35991/04.
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