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[ 2 février 2012 ] Imprimer

Droit pénal spécial

Dégradation involontaire : preuve du manquement à une obligation de sécurité ou de prudence

Mots-clefs : Incendie, Manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, Locataire, Dégradation, Détérioration, Destruction (involontaire), Explosion, Loi, Règlement

Pour caractériser le délit de dégradation involontaire par explosion ou incendie (art. 322-5 C. pén.), il faut prouver un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement que ne renferme pas l’article 1728 du Code civil.

Un locataire avait jeté une cigarette mal éteinte par sa fenêtre et provoqué un incendie. Il a été condamné sur le fondement de l’article 322-5 du Code pénal qui incrimine la dégradation involontaire du bien d’autrui par explosion ou incendie due au manquement à une obligation de sécurité ou de prudence. La cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal correctionnel retenant qu’il avait méconnu les dispositions de l’article 1728 du Code civil selon lequel le preneur est notamment tenu d’user de la chose louée en bon père de famille.

Est-il impératif que l’obligation de sécurité ou de prudence soit prévue de manière expresse dans la loi ou le règlement afin de caractériser l’élément moral du délit de dégradation involontaire par explosion ou incendie ?

La Haute cour répond positivement. Elle casse et annule au visa de l’article 322-5 du Code pénal l’arrêt d’appel, considérant que « le délit de dégradation involontaire par explosion ou incendie ne peut être caractérisé qu’en cas de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». En l’espèce, l’article 1728 du Code civil n’impose pas d’obligation de sécurité ou de prudence, au sens de l’article 322-5 du Code pénal.

L’article 322-5 du Code pénal définit une infraction d’imprudence qui se distingue du délit prévu à l’article 322-6 du Code pénal qui, lui, est intentionnel. Contrairement aux articles 221-6 (homicide involontaire) et 222-19 (atteintes involontaires à l’intégrité physique) du Code pénal qui évoquent au titre de la faute, la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou « le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement », l’article 322-5 ne se réfère qu’à ce dernier manquement (v. Crim. 3 nov. 2004). Soulignons que le terme « règlement » est entendu largement incluant les décrets, les arrêtés, les circulaires, mais pas les autres formes de réglementations de sécurité, tels que les règlements intérieurs des entreprises.

Pour caractériser ce délit, il faut donc impérativement démontrer l’existence d’un lien entre une faute et une règle de conduite prédéterminée par les textes. En effet, la simple maladresse de l’auteur ne suffit pas (v. Crim. 12 janv. 2010, pour un salarié qui avait jeté un mégot de cigarette encore allumé sur le parquet en bois de son local de travail, à côté d’un amoncellement de cartons). De plus, si les juges considèrent qu’une obligation de sécurité et de prudence imposée par les textes a été ignorée, ils doivent encore en préciser la source et la nature.

L’arrêt commenté s’inscrit dans la lignée de cette jurisprudence. En l’espèce, les juges du fond avaient estimé que l’infraction était caractérisée en raison de la méconnaissance par le locataire des dispositions de l’article 1728 du Code civil. Or, l’obligation pour le preneur d’user de la chose louée en bon père de famille ne constitue pas une obligation de sécurité ou de prudence au sens de l’article 322-5 du Code pénal.

La chambre criminelle a une conception assez large du délit de dégradation involontaire par incendie. Dans un arrêt récent elle a ainsi retenu l’infraction, alors que le manquement n’avait pas de lien direct avec « le déclenchement involontaire de l’incendie d’origine électrique », mais avait simplement « contribué aux destructions résultant de la propagation de l’incendie » (v. Crim. 22 févr. 2011).

Crim. 18 janv. 2012, n°11-81.324, FP+B

Références

■ D. Viriot-Barrial, V° « Destructions-dégradation-détériorations », Rép. pén. Dalloz, n°236 s.

 Crim. 3 nov. 2004, n°04-80.011.

 Crim. 12 janv. 2010, n°09-81.936, AJ pénal 2010. 239, obs. J. Lasserre Capdeville.

 Crim. 22 févr. 2011, n°10-87.676, D. 2011, 985, obs. J. Lasserre Capdeville.

■ Code pénal

Article 221-6

« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. 

En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. »

Article 222-19

« Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende. 

En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende. »

Article 322-5

« La destruction, la dégradation ou la détérioration involontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'une explosion ou d'un incendie provoqués par manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. 

En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à deux ans d'emprisonnement et à 30000 euros d'amende. 

Lorsqu'il s'agit de l'incendie de bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements d'autrui, les peines sont portées à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le premier alinéa, et à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le deuxième alinéa. 

Si cet incendie est intervenu dans des conditions de nature à exposer les personnes à un dommage corporel ou à créer un dommage irréversible à l'environnement, les peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le premier alinéa, et à cinq ans d'emprisonnement et à 100 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le deuxième alinéa. 

Si l'incendie a provoqué pour autrui une incapacité totale de travail pendant au moins huit jours, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le premier alinéa, et à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le deuxième alinéa. 

S'il a provoqué la mort d'une ou plusieurs personnes, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le premier alinéa, et à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 Euros d'amende dans le cas prévu par le deuxième alinéa. »

■ Article 1728 du Code civil

« Le preneur est tenu de deux obligations principales : 

1° D'user de la chose louée en bon père de famille, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention ;  

2° De payer le prix du bail aux termes convenus. »

 

Auteur :Y. D.

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