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Droit des obligations
Délais de prescription de l’action en garantie des vices cachés dans une chaîne de contrats
L’action de l’acquéreur victime d’un vice caché doit être intentée contre son vendeur dans un double délai de deux ans à compter de la découverte du vice et de cinq ans à compter de la date de conclusion de la vente peu important que, dans une chaîne de contrats, l’action du vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire soit prescrite dès lors que celle du sous-acquéreur ne l’est pas.
Civ. 1re, 8 avr. 2021, n° 20-13.493
Le 23 mai 2006, un vendeur professionnel avait acquis un véhicule auprès d’un fabricant, qu’il avait ensuite cédé, le 11 juin 2013, à un couple de particuliers. Ces derniers, alléguant l’existence de vices cachés affectant l’usage du véhicule, avaient, par acte du 6 novembre 2014, assigné en référé aux fins d’expertise le vendeur qui avait alors, par acte du 3 janvier 2017, appelé son fabricant en garantie. Cette garantie fut écartée en cause d’appel au motif que l’action des sous-acquéreurs était prescrite.
Par leur pourvoi en cassation, les acquéreurs finaux du véhicule contestaient principalement que la prescription de leur action fut déduite de celle de de leur vendeur contre le fabricant.
La Haute Cour devait alors répondre à la question suivante : en cas de ventes successives d’un même bien, les sous-acquéreurs peuvent-ils agir en garantie des vices cachés contre le vendeur intermédiaire alors que sa propre action en garantie à l’encontre du vendeur initial est prescrite ?
Elle y répond par l’affirmative. La première chambre civile rappelle que selon les articles 1648 du Code civil (« L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ») et L.110-4 du Code de commerce (« Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes« ), « l’action de l’acquéreur résultant de vices rédhibitoires doit être intentée contre son vendeur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, tout en étant enfermée dans le délai de la prescription quinquennale qui court à compter de la date de la vente conclue entre les parties, peu important que l’action du vendeur contre le fabricant soit prescrite ».
La cour d’appel, pour ordonner la restitution des sommes versées par le vendeur après avoir écarté comme prescrite l’action des acquéreurs, avait retenu que ceux-ci, qui invoquaient l’existence de vices antérieurs à la vente, ne pouvaient agir contre leur vendeur puisque sa propre action en garantie contre le fabricant était prescrite. Or, il résultait de ses constations que les acquéreurs avaient agi contre le vendeur moins de deux ans après la découverte des vices, et moins de cinq ans après avoir acquis le véhicule : la cour d’appel a donc violé les textes susvisés.
Ainsi, dans le cas de l’espèce d’une vente conclue entre un commerçant (le vendeur intermédiaire) et un non-commerçant (le couple de particuliers), deux délais doivent être respectés pour agir en garantie des vices cachés :
- un délai de deux ans qui court à compter de la découverte du vice ;
- un délai quinquennal qui court à compter de la conclusion de la vente initiale
L’action en garantie des vices cachés est donc enfermée dans un double délai : elle doit être exercée dans les deux ans qui suivent la découverte du vice, cette action étant au surplus enfermée dans un délai de cinq ans à compter de la vente initiale (v. déjà Civ. 1re, 9 déc.2020, n° 19-14.772 ; Com. 16 janv. 2019, n° 17-21.477 ; Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438). Or en l’espèce, les sous-acquéreurs du bien avaient bien respecté ce double délai, ayant « agi contre le vendeur moins de deux ans après la découverte des vices, et moins de cinq ans après avoir acquis le véhicule », comme le souligne la Cour.
La juridiction d’appel leur avait pourtant opposé la prescription de leur action en s’appuyant sur les effets de l’action directe. En effet, la garantie des vices cachés trouve à s’appliquer dans les chaînes de contrats, notamment en cas de ventes successives d’un même bien (chaîne contractuelle homogène), pour reconnaître au sous-acquéreur une action directe en garantie contre le vendeur initial. Dans cette configuration contractuelle, en application du fondement intuitu rei, les droits et actions accessoires d’une chose (dont l’action en garantie des vices cachés) sont transmis avec cette chose à ses acquéreurs successifs. Le sous-acquéreur jouit ainsi de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenaient à son auteur, et dispose à cet effet, contre le vendeur initial, d’une action directe en garantie des vices cachés (Civ. 3e, 7 mars 1990, n° 88-15.668). Or la cour d’appel avait estimé que dans ce cadre, l’action en garantie du vendeur intermédiaire contre le vendeur initial étant prescrite au moment où les acquéreurs finaux (ou sous-acquéreurs) ont assigné le vendeur intermédiaire en garantie, ils devaient, par voie de conséquence, être eux-mêmes prescrits à agir contre le vendeur intermédiaire. Au contraire, la Cour de cassation juge que la prescription de l’action du vendeur intermédiaire contre le vendeur initial n’a pas pour effet d’éteindre leur action, elle-même non prescrite, contre le vendeur intermédiaire.
Cette limite à la transmission de l’action en garantie du revendeur au sous-acquéreur se comprend en l’espèce dans la mesure où les sous-acquéreurs avaient agi hors du cadre de cette chaîne de contrats, ayant dirigé leur action contre leur cocontractant direct (le vendeur intermédiaire), et non contre le vendeur originaire, comme le veut la logique de l’action directe. En effet, l'action directe permet au sous-acquéreur d’agir en garantie contre le vendeur de son propre vendeur. Le primo-vendeur est en effet débiteur de la garantie non seulement à l’égard de l’acheteur avec qui il a contracté mais également à l’égard de tous les sous-acquéreurs de la chose. L’action directe exercée contre lui résulte ainsi de la transmission de la créance en garantie à titre d’accessoire de la chose le long d’une chaîne translative de propriété. Celle-ci est exercée par le créancier, en son nom personnel, pour son seul profit et directement contre le tiers contractant de son propre débiteur. Le titulaire de l’action directe exerce donc un droit dérivé qui correspond au droit de créance de son débiteur contre ce tiers. Ainsi, le créancier se voit-il proposer un second débiteur, qui viendrait, en cas de défaillance du débiteur initial, se substituer à ce dernier, offrant au créancier une garantie supplémentaire quant au recouvrement de sa créance. Parce qu’il exerce un droit dérivé, le sous-acquéreur ne peut donc agir contre le vendeur initial que si les conditions de l’action en garantie, notamment celles tenant à sa recevabilité dont dépend son absence de prescription, sont réunies en la personne du vendeur intermédiaire.
Cependant, cette analyse, qui était celle des juges du fond, suppose que le sous-acquéreur ait effectivement exercé l’action directe, c’est-à-dire qu’il ait dirigé son action en garantie contre le vendeur originaire. Or en l’espèce, quoique intégrés dans une chaîne de contrats, les sous-acquéreurs n’avaient pas fait le choix d’agir contre le vendeur initial (le fabricant) mais contre leur propre vendeur, en sa qualité de cocontractant, comme dans le cadre d’une vente ordinaire, non intégrée dans une chaîne de contrats. Le vendeur initial ne fut en fait appelé en garantie par le vendeur intermédiaire qu’à la suite de l’assignation de ce dernier par ses acheteurs. Dès lors, l’effet translatif de l’action en garantie, sous l’angle de la prescription, ne se justifiait pas au regard du maillon de la chaîne (le dernier et non le premier) contre lequel l’action en garantie avait été dirigée, qui ne relevait pas de l’action directe (comp. Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438; Com. 27 nov. 2001, n° 99-13.428). C’est la raison pour laquelle l’action des sous-acquéreurs ne pouvait être entravée par la prescription de l’action récursoire de leur vendeur contre son fabricant et que la cassation de la décision des juges du fond est prononcée pour violation de la loi.
La même logique justifie également la règle, qui précède autant qu’elle complète celle ici affirmée, selon laquelle le vendeur originaire ne peut être tenu, en cas de résolution du contrat entaché d’un vice rédhibitoire, de restituer au sous-acquéreur davantage qu’il n’a reçu de son propre acquéreur que dans le cas c’est le sous-acquéreur lui-même qui aura sollicité, par le biais de l’action directe, la résolution de la vente initiale ; si au contraire, le sous-acquéreur n’engage l’action en résolution que contre son propre vendeur, le vendeur initial ne saurait être tenu de lui restituer quoi que ce soit puisque le contrat auquel il est partie n’aura pas été anéanti (Com. 18 mai 2017, n° 15-26.512).
De surcroît, la prescription de l’action des demandeurs ne pouvait être déduite de celle de leur vendeur en raison d’un autre élément du régime applicable à la prescription de l’action en garantie des vices cachés dans les chaînes de contrats : l’absence d’identité du point de départ du délai de deux ans selon le titulaire de l’action ; en effet, ce délai court à compter de la découverte du vice lorsque l’action en garantie est exercée par le sous-acquéreur, alors qu’elle débute dès la date de l’assignation par son acquéreur lorsqu’elle est exercée par le vendeur intermédiaire qui entend se retourner contre le vendeur initial (puisqu’il ne peut avant cette date exercer d’action récursoire, en application de l’adage Actioni non natae non praescribitur : pas de prescription de l’action avant sa naissance).
Ainsi doit-on comprendre la relativité de l’effet translatif de l’action en garantie dans les chaînes contractuelles. D’ailleurs, une véritable limite y a été apportée dans les rapports revendeur/sous-acquéreur par la règle prétorienne selon laquelle « le vendeur intermédiaire ne perd pas la faculté de l’exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain » (Civ. 1re, 19 janv .1998, n° 86-13.449). Autrement dit, le revendeur peut exercer une action (en garantie des vices cachés) qu’il a, par hypothèse, transmis à son ayant cause. Plusieurs explications ont été avancées pour justifier cette antinomie, comme la subrogation, la conservation par chacun des propriétaires successifs d’une « trace de la propriété », ou encore la non-rétroactivité des effets attachés à la cession (v. P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, 7e éd., n°484). En toute hypothèse, cela signifie que le droit du vendeur intermédiaire peut être conservé, même à titre subsidiaire, puisqu’il reste détenu à titre principal par le sous-acquéreur ; c’est ce qui explique que lorsque l’action en garantie est exercée à la fois par le sous-acquéreur et par le vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire, seule peut être accueillie l’action du premier, le second pouvant seulement agir contre le vendeur originaire aux fins de garantie des condamnations prononcées contre lui à l’endroit du sous-acquéreur (Civ. 1re, 20 mai 2010, n° 09-10.086). Rapportée à l’espèce commentée, cela signifie et justifie à nouveau l’absence d’influence de la prescription de l’action récursoire du vendeur intermédiaire contre son fabricant, dès lors que celle des acheteurs finaux n’était pas prescrite.
Cette dernière jurisprudence signifie aussi que le droit du revendeur est relatif ; partant ce dernier ne saurait, en l’exerçant, nuire à celui à qui il l’a transmis : qui doit garantie ne peut évincer ! Cette formule généralement employée à propos de la garantie d’éviction trouve également ici à s’appliquer en raison de la dualité des éléments constitutifs de l’action directe inhérente aux chaînes de contrats : si cette action n'existe qu'en vertu d'un droit de créance dont le débiteur du titulaire de l'action est lui-même investi contre le tiers, elle « constitue un droit propre du créancier qui en bénéficie, c'est-à-dire un droit qui n'appartient et n'a jamais appartenu qu'à lui » et que son débiteur ne doit jamais entraver ( J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t.3, Le rapport d'obligation, 3e éd., Armand Colin, p. 67, n° 99).
Dans cette lignée jurisprudentielle, la Cour de cassation confirme donc ici, sur le terrain de la prescription, la nécessité d’individualiser les différents maillons de la chaîne lorsque la transmission de l’action ne trouve pas à s’appliquer, ainsi que la priorité donnée au sous-acquéreur dans la titularité des droits transmis dans une chaîne translative de propriété.
La solution ici rendue est alors opportune, le vendeur intermédiaire n’étant pas en droit de faire supporter à son cocontractant la prescription de sa propre action, son exercice ne devant pas, rappelons-le, nuire à celui auquel il l’a transmis, a fortiori lorsque ce dernier entend agir directement contre lui, sans même se prévaloir de cette transmission. Il importait donc peu que le vendeur intermédiaire fût privé de toute possibilité de recours contre le fabricant, dès lors que les sous-acquéreurs n’étaient pas eux-mêmes prescrits à agir en garantie contre lui.
Références
■ Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 19-14.772
■ Com. 16 janv. 2019, n° 17-21.477 P: D. 2019. 124 ; ibid. 1956, obs. L. d'Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2020. 1074, obs. C. Witz et B. Köhler ; AJ contrat 2019. 139, obs. C. Nourissat ; RTD civ. 2019. 294, obs. L. Usunier ; ibid. 358, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2019. 199, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438 P: D. 2018. 2166, note C. Grimaldi ; ibid. 2039, chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth ; AJ contrat 2018. 377, obs. D. Mainguy ; RTD civ. 2018. 919, obs. P. Jourdain ; ibid. 931, obs. P.-Y. Gautier
■ Civ. 3e, 7 mars 1990, n° 88-15.668 P: RTD civ. 1990. 287, obs. P. Jourdain
■ Com. 27 nov. 2001, n° 99-13.428 P
■ Com. 18 mai 2017, n° 15-26.512 P
■ Civ. 1re, 19 janv .1998, n° 86-13.449 P
■ Civ. 1re, 20 mai 2010, n° 09-10.086 P: D. 2010. 1757, obs. X. Delpech, note O. Deshayes ; RTD civ. 2010. 554, obs. B. Fages ; RTD com. 2011. 165, obs. B. Bouloc
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