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[ 29 novembre 2012 ] Imprimer

Droit pénal général

Délaissement de personne vulnérable : un acte positif exprimant une volonté définitive d’abandon

Mots-clefs : Délaissement, Personne vulnérable, Acte positif, Abandon définitif, Mise en danger de la personne

Dans un arrêt du 9 octobre 2012, la Cour de cassation rappelle que le délit de délaissement de personne vulnérable suppose un acte positif, exprimant de la part de son auteur la volonté d'abandonner définitivement la victime.

L'article 223-3 du Code pénal incrimine le fait de délaisser, en un lieu quelconque, une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique. Ce délit est classé parmi les infractions de mise en danger de la personne. La chambre criminelle rappelle dans sa décision du 9 octobre 2012 les contours de ses éléments constitutifs.

En l'espèce, un individu avait été condamné du chef de délaissement de personne hors d'état de se protéger caractérisé, selon les juges du fond, par une série de manquements commis au préjudice de sa mère. Il avait tout d’abord et par deux fois, congédié les infirmiers chargés de soigner les plaies de sa mère grabataire sans mettre en place les protections minimales du lit, lui occasionnant ainsi des blessures. Refusant ensuite l'aide d'une auxiliaire de vie malgré la prescription du médecin et laissant sa mère macérer pendant plusieurs semaines dans ses excréments, il avait finalement, en dernière extrémité, sollicité son médecin traitant qui, devant l'état d'inconscience de la patiente, l'avait faite hospitaliser.

En ce qui concerne l'élément matériel de l’infraction, la Cour rappelle que le délaissement résulte d’un acte positif. Si certains auteurs ont pu parler à propos de l’infraction de délaissement de personne hors d’état de se protéger d’ « omission immorale » (J.-P. Doucet), cette expression demeure discutable. En effet, la Cour rappelle constamment la nécessité d’un acte positif dans la réalisation du délit, excluant toute attitude simplement négative ou passive. Elle décide ainsi que le fait de ne pas venir chercher des personnes vulnérables (en l’espèce, des enfants), qui, à la suite d’un malentendu entre leurs parents, se retrouvent seuls sur le port d’Ajaccio et doivent être placés provisoirement, ne rentre pas dans les prévisions de l’article 223-3 du Code pénal (Crim. 23 févr. 2000). Cette infraction se distingue donc des diverses formes d’abandon passif telles l’omission de porter secours, la non-dénonciation de crime ou de délit, ou encore l’infraction de privation de soin.

Quant à l'élément moral, la Cour précise que l’acte positif de délaissement doit clairement exprimer de la part de son auteur, la volonté d’abandonner définitivement la victime, de s’en défaire totalement. Le délaissement de personne vulnérable dépasse donc la simple négligence, le défaut de surveillance ou encore l’absence d’intérêt. En l’espèce, le fait que le prévenu se soit finalement résigné à solliciter un médecin, fût-ce « en dernière extrémité », exclut donc la volonté d’abandonner définitivement sa mère en dépit de ses manquements moraux difficilement contestables. La Cour rappelle régulièrement cette exigence de volonté d’abandon définitif. Elle avait eu l’occasion d’affirmer par le passé que faire obstacle à la venue d’une aide ménagère au bénéfice d’une personne âgée ne constituait pas un acte positif exprimant la volonté de l’auteur d’abandonner définitivement la victime (Crim. 13 nov. 2007). La jurisprudence admet en revanche que l’abandon d’un enfant par sa mère dans le but de se soustraire à son obligation d’en prendre soin, sans volonté de retour, constitue un délaissement de personne vulnérable (Paris, 2 juill. 1982).

En précisant l’élément moral de l’infraction, la Cour exige en réalité la caractérisation d’un dol spécial. Cette rigueur dans l’appréciation des éléments constitutifs s’explique certainement par le fait que, contrairement à une certaine conception du droit pénal, les infractions de mise en danger de la personne ne s’intéressent pas exclusivement au comportement de l’auteur. Souvent, ce comportement doit se doubler de la réalisation d’un dommage effectif, qui peut faire basculer le simple manquement à un devoir moral dans la catégorie des infractions pénales. L’article 223-4 du Code pénal confère au délaissement de personne vulnérable une qualification criminelle en cas de mort, ou d’infirmité permanente de la victime. L’évolution de la répression d’un même comportement en fonction de la gravité du dommage demeure un élément d’insécurité juridique qui doit être compensé par une appréciation prétorienne rigoureuse des éléments constitutifs de l’infraction.

La Cour rappelle régulièrement la nécessité d’un acte positif exprimant une volonté définitive d’abandon, précisions qui font l'essentiel de la contribution jurisprudentielle à la définition de l’infraction de délaissement de personne hors d’état de se protéger. Les décisions en la matière sont peu nombreuses mais non moins utiles face à de nombreuses infractions de mise en danger de la personne dont les frontières sont souvent poreuses et la répression sévère et variable.

Crim. 9 oct 2012, n° 12-80.412

Références

■ Code pénal

Article 223-3

« Le délaissement, en un lieu quelconque, d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. »

Article 223-4

« Le délaissement qui a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

Le délaissement qui a provoqué la mort est puni de vingt ans de réclusion criminelle.»

■ Crim. 23 févr. 2000, n° 99-82.817, RSC 2000. 610.

 Crim, 13 nov. 2007, n° 07-83.621, RSC 2008. 342.

■ Paris, 2 juill. 1982, Rev. pénit. 1984. 100.

 

Auteur :C. d. B.


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