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Droit des obligations
Délégation : le principe d’inopposabilité des exceptions n’a qu’une valeur supplétive
Les dispositions civiles applicables à la délégation étant supplétives de la volonté des parties, celles-ci peuvent déroger à l'interdiction faite au délégué d'opposer au délégataire les exceptions tirées des rapports entre le délégant et le délégataire.
Civ. 3e, 23 nov. 2023, n° 22-17.027
Une société immobilière (Chartes développement), agissant comme maître de l'ouvrage, avait confié à une société de construction (la société Spie Batignolles) la réalisation de certains travaux. Cette dernière avait sous-traité une partie de son marché à une société (la société AMG), qui avait également fait appel à un sous-traitant pour la fourniture des matériaux (la société Alf).
La société AMG, sous-traitante de premier rang, avait délégué la société Spie Batignolles, entreprise principale, dans le paiement de la société Alf, sous-traitante de second rang.
Après la mise en liquidation judiciaire de la société délégante (AMG), la société délégataire (Alf) avait mis en demeure la société déléguée (Spie Batignolles) de lui payer le solde de sa créance puis l'avait assignée en paiement.
La cour d’appel la débouta de sa demande au motif que les factures dont la délégataire sollicitait le paiement par la société déléguée n’avaient pas été acceptées par la société délégante, ce défaut d’acceptation contredisant les termes de la clause de la convention de délégation selon laquelle le délégué ne s'engage au paiement du délégataire que pour les factures préalablement acceptées par le délégant.
Devant la Cour de cassation, la société délégataire fait valoir le principe légal de l’inopposabilité des exceptions interdisant au délégué d’opposer au délégataire aucune des exceptions tirées de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre le délégant et le délégataire. Ainsi, en l'espèce, la société déléguée (Spie Batignolles) ne pouvant opposer à la société délégataire (Alf) aucun moyen de défense inhérent à sa relation avec la société délégante (AMG), elle ne pouvait en conséquence lui opposer que son obligation de paiement ne naissait qu'après acceptation de la facture par la société délégante (AMG).
La Cour de cassation juge le moyen non fondé, motif pris de la valeur supplétive de l’article 1275 ancien du Code civil. Les dispositions impératives de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 sur la délégation de créances ne trouvant pas à s’appliquer en l’espèce dès lors que le sous-traitant de premier rang a délégué au sous-traitant de second rang, non pas le maître de l'ouvrage, comme le prescrit l'article 14 de la loi précitée, mais l'entreprise principale, la délégation de l'entreprise principale au paiement du sous-traitant se trouvait en conséquence soumise aux seules dispositions supplétives de l'article 1275 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et désormais à celles de l'article 1338 de ce code, de sorte que les parties pouvaient déroger à l'interdiction faite au délégué d'opposer au délégataire les exceptions tirées des rapports entre le délégant et le délégataire.
Or sur la base de la convention de délégation, la cour d’appel a recherché si les conditions prévues par cette convention pour le paiement du délégataire étaient réunies et c'est par une interprétation souveraine de ses stipulations ambiguës que la cour d'appel a retenu que le délégué ne s'était pas engagé à payer les factures qui lui adressées directement par le délégataire, son engagement ayant été circonscrit au paiement des seules factures acceptées par le délégant, ce qu’il pouvait opposer au délégataire pour refuser, en l’espèce, le paiement des factures que ce dernier lui avait directement adressées.
La délégation est l’opération par laquelle une personne (le délégant) demande à une autre qui y consent (le délégué) d’exécuter en son nom au profit d’un tiers (le délégataire). Avant la réforme, la délégation était évoquée sommairement à l’article 1275 ancien du code civil comme une variété de novation. Elle avait cependant connu, en marge des textes, un développement important en pratique, principalement en ce que, outre la simplification du paiement qu’elle permet, la délégation joue un rôle de sûreté, le délégué garantissant, par son engagement, la dette du délégant envers le délégataire. L’ordonnance du 10 février lui reconnaît donc une autonomie en lui réservant une section spécifique (C. civ., art. 1336 nouv. s.), qui opère surtout une clarification des solutions dégagées par la jurisprudence, sans les modifier substantiellement.
Le droit reconnaît deux types de délégation, dont les effets diffèrent. Celle convoquée en l’espèce, la délégation parfaite (ou novatoire) opère une novation par changement de débiteur. Le délégué s’engageant à l’égard du délégataire et libérant ainsi le délégant, le consentement échangé entre ces deux parties crée un nouveau lien d’obligation entre le tiers délégué et le créancier délégataire, contrairement à la délégation dite imparfaite (ou simple), dans laquelle le délégataire conserve ses droits contre le délégant tout en acquérant des droits nouveaux à l’égard du délégué ; cette dernière étant donc sans effet novatoire.
Indépendante de l’obligation dont était tenu le délégué à l’égard du délégant, l’autonomie de cette obligation nouvelle souscrite par le délégué à l’égard du délégataire se traduit par un principe d’inopposabilité des exceptions tirées de la relation délégué/délégant, ainsi que celles issues du rapport délégant/délégataire, dont le délégué ne peut tirer parti pour s’opposer au paiement. L’autonomie de son engagement par rapport aux relations juridiques préalables à la délégation est toutefois relative. Elle n’a, en effet, qu’une valeur supplétive, en sorte que les parties sont libres d’y déroger. Ainsi le délégué pouvait-il en l’espèce opposer au délégataire la limite de son engagement prévue dans la convention de délégation conclue avec le délégant : circonscrit au paiement des factures acceptées par le délégant, son engagement ne s’étendait pas aux factures qui lui seraient adressées directement par le délégataire, ce qu’il avait la liberté d’opposer à ce dernier pour s’opposer au paiement demandé.
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